Des enfants en ordre de bataille : les dernières recrues de l’État islamique en Afrique de l’Ouest

Les écoles ont toujours été la cible privilégiée de Boko Haram ; aujourd’hui, ses deux factions ont recours à de jeunes garçons dans les combats.

En janvier, le groupe extrémiste violent État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) a publié une vidéo montrant de jeunes garçons en train de suivre un entraînement intensif au combat. À la fin de la vidéo, on voit des enfants exécuter des soldats capturés lors d’affrontements. L’un des instructeurs explique que les garçons vont bientôt recevoir leur diplôme et sont prêts à être déployés.

Le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats par la faction Jama’tu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS) de Boko Haram sont des agissements bien connus. Cependant, on ne savait pas réellement si c’était le cas pour l’ISWAP, sa faction rivale. Il semble que la stratégie supposée de l’ISWAP de ne pas cibler les civils avait détourné l’attention du fait qu’elle recrutait de jeunes garçons.

C’est le dernier abus en date, dans la longue liste de ceux commis à l’encontre des enfants qui ont été particulièrement touchés par la crise de Boko Haram. Nombre d’entre eux ont été victimes de graves violations des droits humains, notamment d’enlèvements, d’esclavage, de privations de nourriture, de viols, de refus d’accès à l’éducation formelle et de décès.

Selon d’anciens membres de Boko Haram, pas moins de 200 jeunes garçons sont morts de faim dans les camps d’entraînement et de radicalisation du groupe – Darul Quran – avant la scission de Boko Haram en deux factions en 2016. Le défunt chef de la JAS, Abubakar Shekau, a déclaré un jour que peu lui importait que 100 000 enfants meurent.

La stratégie de l’ISWAP de ne pas cibler les civils avait détourné l’attention du fait qu’elle recrutait des jeunes garçons

L’armée nigériane privilégiant les raids aériens dans sa lutte contre les terroristes, il y a toujours un risque que des enfants soient victimes d’affrontements. Depuis le début de l’insurrection, l’armée de l’air nigériane a été impliquée dans la mort de plusieurs civils, dont des enfants, lors de raids aériens.

Les mauvais traitements infligés aux civils, notamment le recours à des jeunes dans les combats, l’asservissement des femmes et des filles, et la privation de nourriture des enfants jusqu’à ce qu’ils en meurent, font partie des causes de la scission de Boko Haram. L’ISWAP critiquait Shekau, en particulier parce qu’il était responsable de la mort de nombreux enfants. On aurait donc pu penser que l’ISWAP agirait différemment, mais les récentes pertes de combattants dans ses rangs, les affrontements avec la faction JAS et les désertions de ses membres l’ont peut-être obligé à revoir sa position sur la question des enfants soldats.

Les recherches menées par l’Institut d’études de sécurité (ISS) montrent qu’environ 200 jeunes garçons ont été diplômés de Darul Quran début février. Dans la vidéo de l’ISWAP, des instructeurs ont indiqué que le groupe disposait d’autres camps d’entraînement dans différents endroits. Des personnes connaissant bien ce programme ont parlé à l’ISS de l’existence d’une cinquantaine de camps de ce type sur les îles du lac Tchad, dans lesquels se trouvaient des jeunes venus du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria.

La vidéo, qui montre également des enfants bien nourris, avait peut-être pour objectif d’inciter d’autres enfants à s’engager, alors que la réalité est bien différente selon les informations communiquées par d’anciens enfants soldats à l’ISS. Ces derniers ont déclaré que les conditions dans les camps d’entraînement étaient désastreuses – caractérisées par des abus comme le fouet ou les coups sur les garçons, la privation de nourriture, l’épuisement et le manque de sommeil.

L’éducation est l’une des principales cibles de Boko Haram qui a rasé 5 000 salles de classe au Nigeria depuis 2009

Les enfants supposés avoir des difficultés d’apprentissage ou être inaptes à la formation sont traités comme des esclaves et se voient attribuer des rôles autres que celui de combattant. Ils sont déployés dans les maisons des commandants, où ils accomplissent des tâches comme aller chercher du bois de chauffage et de l’eau, faire la lessive et transmettre des messages aux autres villages. Ils sont également déployés en tant que meneurs pour donner du courage aux autres lors des attaques, et sont surnommés « jundullah » (« soldats de Dieu ») pour leur donner le sentiment d’être importants.

Ce récent revirement de l’ISWAP a des implications au-delà du bassin du lac Tchad. Étant l’une des factions les plus importantes et les plus performantes de Daech, tant en termes de nombre de combattants que d’attentats réussis, l’ISWAP pourrait faire des émules parmi d’autres factions de Daech.

Il existe déjà des liens entre l’ISWAP et des factions de Daech telles que l’État islamique du Grand Sahara (EIGS) et l’État islamique en Afrique centrale (ISCAP). Les membres de l’EIGS jouent un rôle important car ils facilitent les déplacements des combattants de l’ISWAP à l’intérieur et en dehors du bassin du lac Tchad.

Selon certaines sources, Daech a envoyé deux membres de l’EIGS pour former l’ISWAP sur la manière de partager le butin de guerre entre les combattants, en particulier les armes, et d’en récupérer auprès de combattants contre de l’argent. Des recherches menées actuellement par l’ISS révèlent également une relation florissante entre l’ISWAP et l’ISCAP, à commencer par des échanges d’idées entre les commandants des deux groupes par appels vidéo.

Les enfants qui se désengagent de Boko Haram sont des victimes au même titre que les communautés elles-mêmes

Les gouvernements et les autres parties prenantes de la région doivent de toute urgence empêcher le recrutement d’un plus grand nombre d’enfants. Ils doivent pour cela intervenir de manière préventive, et non réactive, et mieux comprendre les conditions qui favorisent le recrutement d’enfants, telles que le manque d’éducation formelle et de moyens de subsistance. L’éducation est l’une des principales cibles de Boko Haram, qui a rasé 5 000 salles de classe dans le nord-est du Nigeria depuis le début de l’insurrection en 2009.

Le gouvernement nigérian devrait rétablir l’initiative sur la sécurité dans les écoles, qui visait initialement à garantir l’accès à l’éducation et à l’apprentissage dans un environnement sécurisé en cas de conflits et de situations d’urgence. Les autres gouvernements du bassin du lac Tchad devraient envisager de mettre en place une telle politique, étant donnée la nature régionale de la crise de Boko Haram.

Les opérations militaires doivent éviter de faire des victimes parmi les enfants et avoir pour but de sauver les enfants de Boko Haram. Pour y parvenir, il sera nécessaire d’impliquer les communautés dans la planification, la reconnaissance et la coopération.

Il est important d’avoir recours à la radio et à d’autres programmes de médias de masse. Des enfants soldats qui ont quitté Boko Haram ont déclaré à l’ISS que les émissions de radio et les tracts qui encourageaient les départs avaient joué un rôle dans leur désengagement. Ces programmes pourraient compter parmi leurs invités d’anciennes de ces recrues. Ces enfants pourraient évoquer les difficultés rencontrées dans les camps et ainsi en décourager d’autres de rejoindre Boko Haram.

Le fait de consulter les communautés constitue le point d’ancrage de toute stratégie de lutte contre le recrutement d’enfants. Sans cette étape essentielle, les interventions seront moins efficaces, et les anciennes recrues risquent d’être stigmatisées et rejetées.

Les communautés doivent être sensibilisées au fait que les enfants qui quittent Boko Haram sont des victimes au même titre que ceux qui sont visés par les attaques d’extrémistes violents. Cela pourrait encourager davantage d’enfants à quitter le groupe, faciliter leur réintégration et empêcher la récidive.

Malik Samuel, chercheur, et Oluwole Ojewale, coordinateur de l’Observatoire régional d’ENACT sur la criminalité organisée pour l’Afrique centrale, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

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