Jekesai NJIKIZANA / AFP

Défaillances du système électoral en Afrique : cinq facteurs alarmants

Dans le monde et en Afrique, de nombreux processus électoraux manquent de transparence, de confiance et de contrôle.

Cette année est une année électorale cruciale pour l’Afrique, avec 17 scrutins impliquant 180 millions d’électeurs. Au cours des trois dernières décennies, de nombreux pays africains ont vu émerger des démocraties multipartites, où le pouvoir est désormais acquis par les urnes plutôt que par la force.

Cependant, malgré ces progrès, de nombreux pays peinent à organiser des élections libres, régulières et transparentes, et à assurer des transitions de pouvoir sans heurts. Bien que les élections fortement disputées pourraient être un signe de démocratie active, cinq tendances inquiétantes menacent l’intégrité et la qualité des processus électoraux en Afrique.

La première est le manque de confiance des partis politiques et des électeurs dans les organes de gestion des élections. Selon Afrobarometer, le nombre de citoyens africains ayant peu ou pas confiance dans leur commission électorale nationale est passé de 41 % à 55 % entre 2011/13 et 2021/23.

Cette méfiance est profondément ancrée dans la constitution des organes de gestion des élections. Leurs processus de nomination manquent souvent de consultation et excluent largement les partis d’opposition et autres parties prenantes. Par exemple, les organes du Ghana, du Nigeria, du Liberia et du Zimbabwe seraient dominés par des loyalistes du parti au pouvoir.

En 2021/23, 55 % des citoyens ont perdu confiance en leur commission électorale

Deuxièmement, les scrutins en Afrique manquent souvent de transparence. Les organes de gestion des élections peinent à trouver un consensus au-delà des lignes politiques sur des questions cruciales telles que les calendriers, les restrictions de campagne et le financement des partis, ce qui nourrit la suspicion. Cette situation est aggravée par le contrôle de ces processus par les candidats sortants.

Dans les pays confrontés à des litiges électoraux comme le Ghana, le Nigeria, le Kenya et le Zimbabwe, les allégations d’abus de pouvoir des personnes en place et les accusations de partialité de la commission électorale envers les partis d’opposition sont légion. La méfiance est souvent amplifiée par l’influence du parti au pouvoir sur les mécanismes de résolution des litiges et les tribunaux.

La troisième tendance préoccupante est celle du coût. Une élection en Afrique coûte en moyenne 4,20 USD par habitant, soit le double de la moyenne mondiale, au-dessus des 4 USD dépensés en Europe, en Amérique du Nord et en Australie (figure 1). Entre 2000 et 2018, l’Afrique subsaharienne aurait dépensé près de 50 milliards de dollars pour les élections.

Le prix moyen d’une élection en Afrique est supérieur à celui d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Australie

Ces coûts élevés, auxquels s’ajoutent des frais de dépôt de candidature onéreux, des budgets de campagne excessifs et des fonds utilisés pour acheter des votes illicites, compromettent l’intégrité des scrutins. Au Ghana, le coût d’une candidature à la présidence est estimé à 100 millions de dollars américains, limitant ainsi l’accès aux élections pour les partis politiques et les individus aux ressources insuffisantes. 

Figure 1 : Coût moyen de l’administration des élections, 1990-2018

Chart 1: Average election administration costs, 1990-2018

Source : ResearchGate

Le quatrième facteur est le caractère agressif des campagnes présidentielles et législatives qui accroît la menace de violence électorale. L’émergence des militants et des groupes d’autodéfense armés associés à des partis politiques, comme au Ghana, constitue un obstacle majeur à la tenue de scrutins libres et réguliers et à l’intégrité des résultats des élections. Ces groupes armés intimident souvent les électeurs, en particulier dans les bastions des opposants, entravant ainsi leur choix.

Dans certains cas, les partis au pouvoir utilisent les services de sécurité de l’État pour intimider les électeurs, comme en témoignent les élections de 2023 au Nigeria, au Zimbabwe et à Madagascar, entre autres.

Enfin, l’utilisation de la désinformation pour compromettre les élections est une tendance mondiale croissante, exacerbée par les « fausses nouvelles » et leurs liens avec l’intelligence artificielle. Avant les élections sud-africaines du 29 mai, diverses campagnes de désinformation sur les médias sociaux ont utilisé l’intelligence artificielle. Des incidents similaires ont été signalés lors de scrutins précédents au Kenya, au Nigeria et dans d’autres régions d’Afrique.

Ces tendances négatives mettent en péril la démocratie sur l’ensemble du continent. Dans des pays comme le Gabon et la Guinée, l’absence d’élections libres et régulières a servi de justification ou de leurre à des coups d’État militaires. Dans d’autres, la mauvaise qualité des élections conduit souvent à des pétitions électorales prolongées qui affectent le bon fonctionnement de l’État.

En 2023, le taux d’abstention des Africains lors des élections nationales a atteint 24,7 %

Selon Afrobarometer la confiance des citoyens africains dans l’efficacité des élections pour assurer une représentation adéquate a diminué de sept points depuis 2008. De même, bien que les élections demeurent populaires, l’acceptation des citoyens du scrutin comme moyen de choisir les dirigeants a baissé en moyenne de huit points depuis 2011 dans 29 pays africains.

Enfin, l’abstention lors des élections nationales récentes en Afrique est passée de 18,2 % en 2001 à 24,7 % en 2023 (figure 2).

Figure 2 : Taux d’abstention aux dernières élections en Afrique

Chart 2: Proportion of Africans who did not vote in recent elections

Source : Afrobarometer

Pour améliorer la qualité des élections, les organes de gestion électorale doivent être véritablement indépendants de toute influence externe. Il faudrait donc nommer des personnes compétentes par des processus consultatifs, garantissant leur stabilité dans leurs fonctions et leur octroyant les ressources nécessaires.

Ces organes doivent travailler à instaurer la confiance du public en menant des réformes électorales de manière transparente et consensuelle, transcendant les clivages politiques.

Pour prévenir les accusations de partialité, des exemples tels que le Mozambique, où la loi assure une représentation équilibrée des partis politiques dans les organes électoraux, pourraient servir de référence. Toutefois, les initiatives doivent être adaptées à chaque contexte national.

Afin de réduire le coût croissant des élections, il est impératif d’instaurer des lois régissant les périodes de campagne et les limites de dépenses, tout en sanctionnant l’achat de voix et en garantissant une gestion judicieuse des finances par les organes électoraux.

Pour contrer la violence électorale, les gouvernements doivent garantir des ressources adéquates aux services de police et de sécurité nationale, dirigés de manière impartiale et soumis à un contrôle parlementaire pour prévenir toute ingérence de l’exécutif.

Enfin, une sensibilisation accrue aux médias, au public et aux services de communication gouvernementaux est nécessaire pour lutter contre la désinformation à l’ère numérique, soutenue par des lois appropriées et leur application effective.

Ces mesures sont essentielles pour restaurer la confiance des citoyens africains dans le processus démocratique électoral et ses retombées. 

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