Le second tour des élections au Libéria doit se dérouler dans la transparence

Alors que s’ouvre la campagne pour le second tour de la présidentielle, il apparaît essentiel de résoudre certains problèmes relevés lors du premier tour.

Les élections du 10 octobre ont marqué une étape importante pour la démocratie naissante au Libéria. Il s’agissait des premières élections générales entièrement gérées par le gouvernement depuis la fin de la guerre civile en 2003. Au cours des scrutins précédents, différents aspects étaient pris en charge par des acteurs extérieurs, notamment la Mission des Nations unies au Libéria (MINUL) qui a assuré la sécurité lors des élections générales organisées après le conflit.

Appelée aux urnes pour élire le président de la République, les 15 sénateurs et les 73 députés composant la Chambre des représentants, la population libérienne a pu se prononcer sur la politique économique et la stratégie de lutte contre la corruption menées jusqu’ici. Parmi les 20 candidats à la présidence, Joseph Boakai du Parti de l’unité (UP), le principal parti d’opposition, et le président sortant George Weah, du Congrès pour le changement démocratique (CDC), sont arrivés en tête.

Contrairement à l’élection présidentielle de 2017, où Weah affichait une avance de 10 points sur Boakai à l’issue du premier tour, ce dernier n’est cette fois distancé que de 0,39 point avec 43,44 % des voix contre 43,83 % pour Weah. Aucun des deux n’ayant obtenu la majorité absolue, un second tour est prévu le 14 novembre.

Bien que salué par la communauté internationale, le premier tour de scrutin a été marqué par quelques irrégularités qui ont conduit à l’arrestation de neuf personnes pour fraude électorale. Ces événements ont suscité une controverse entre la Commission électorale nationale (NEC) et l’opposition, dont trois partis ont demandé une expertise judiciaire des bulletins de vote utilisés et non utilisés. Compte tenu des enjeux, garantir la transparence lors du second tour est crucial.

Bien que salué par la communauté internationale, le premier tour a été marqué par des irrégularités

La rivalité reste intense entre les deux candidats en lice et leurs partis ne reculent devant rien. Lors du premier tour, l’UP et le CDC au pouvoir avaient tous deux commencé à revendiquer la victoire alors que la NEC avait publié les résultats de 16 bureaux de vote seulement sur 5 890. Cette violation manifeste des règles électorales et de la Déclaration de Farmington River de 2023 a fait craindre une escalade des tensions entre les deux partis.

Alors que s’ouvre la campagne pour le second tour, il apparaît essentiel de résoudre certains problèmes relevés lors du premier tour. Une rhétorique provocatrice a refait surface, accompagnée de confrontations physiques qui ont attisé la violence. Certaines grandes figures de l’opposition ont menacé de semer l’agitation en cas de fraude. Ces propos doivent être pris au sérieux. Des mises en garde similaires avant le premier tour avaient donné lieu à une série d’affrontements violents entre l’UP et le CDC.

Ces heurts sont en partie dus à la profonde suspicion et à la méfiance qui règnent entre ces deux partis. Le rejet du recensement national de la population et de l’habitat de 2022 par le principal parti d’opposition, au motif que le processus ne serait pas représentatif et viserait à manipuler les élections générales, illustre ces dissensions.

Par ailleurs, des doutes subsistent quant à la compétence et à l’impartialité de la NEC. Les partis d’opposition et des groupes de la société civile ont déploré la nomination par Weah de certaines personnes au Conseil des commissaires, considérant ces choix comme partisans. Le refus du président de permettre à l’opposition de nommer certains commissaires a également été critiqué, d’autant que l’ancienne présidente Ellen Johnson Sirleaf avait accordé cette faveur à Weah lorsqu’il était dans l’opposition.

Certaines grandes figures de l’opposition ont menacé de semer l’agitation en cas de fraude électorale

Ces élections sont également marquées par des questions liées au respect des règles du jeu qu’il faudra s’attacher à résoudre. Le parti au pouvoir et le principal parti d’opposition ont tous deux été accusés d’avoir mené certaines activités préélectorales et d’avoir enfreint les lois sur le financement des campagnes et la nouvelle législation électorale.

Les défis auxquels fait face le Libéria ne sont pas nouveaux. Le Nigéria et la Sierra Leone ont rencontré des problèmes similaires lors de leurs élections générales, ce qui accentue les préoccupations déjà anciennes au sujet de la transparence et de la crédibilité des scrutins en Afrique de l’Ouest. Si elles veulent éviter les incertitudes et les tensions qui ont suivi les élections au Nigéria et en Sierra Leone, les autorités libériennes doivent mettre l’accent sur la transparence lors du second tour. Pour cela, il faudra renforcer la confiance de la population dans le processus électoral, avec la NEC comme premier levier d’action.

Lors du regroupement du matériel nécessaire au second tour, la NEC doit veiller à ce que toutes les circonscriptions et tous les bureaux de vote disposent d’équipements adéquats. L’équipe spéciale conjointe chargée des questions de sécurité et les agents des partis politiques doivent faire preuve d’une attention maximale pendant le vote, le dépouillement et le décompte des voix afin d’éviter les vols d’urnes qui se sont produits  au premier tour. Il sera important d’anticiper et de prévenir les incidents tels que ceux observés dans certains centres de comptage des comtés de Nimba et de Montserrado.

Les votes nuls ont été relativement nombreux au premier tour (5,8 %). Il conviendra d’éviter ce phénomène au second tour, car il pourrait facilement changer la donne en faveur de l’un ou l’autre des candidats. Les autorités doivent renforcer l’éducation civique et électorale et les deux partis politiques doivent bénéficier d’un temps d’antenne égal dans les médias d’État.

Les deux partis devront veiller à ce que leurs membres s’abstiennent de tout discours de haine

La lutte contre la désinformation est également une composante centrale. Les deux partis devront veiller à ce que leurs membres s’abstiennent de tout discours de haine et évitent de revendiquer la victoire avant la proclamation des résultats définitifs par la NEC.

Cette transition en douceur vers la démocratie reste une grande réussite pour le Libéria, mais elle marque également le début d’une intense concurrence. Dans cette atmosphère tendue qui verra les espoirs et les attentes de certains se réaliser et ceux d’autres s’écrouler, les émotions sont exacerbées et une étincelle peut suffire à les enflammer.

David Kofi Asante-Darko, analyste chercheur, Réseau de solidarité pour la démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS) et Enoch Randy Aikins, chercheur, Afriques futures et innovation, ISS Pretoria

Image : © Wikimedia Commons

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