Côte d’Ivoire : l’exploitation minière met en péril l’environnement fragile
La Côte d’Ivoire peut-elle concilier l’expansion du secteur minier avec la protection de ses forêts et de son économie essentiellement agricole ?
Publié le 06 juin 2023 dans
ISS Today
Par
Moussa Soumahoro
chercheur, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba
L’expansion de l’exploitation minière en Côte d’Ivoire pourrait servir l’intérêt général alors qu’elle menace l’environnement du pays fortement tributaire de l’agriculture et de l’élevage de subsistance.
Le gouvernement a pour objectif d’accroître la contribution de l’exploitation minière au produit intérieur brut de 3 à 6 %. Depuis la révision du code minier en 2014, la diversification de ce secteur dominé par l’or est privilégiée. En raison de l’augmentation de la demande mondiale, la Côte d’Ivoire a favorisé l’extraction du nickel, du cobalt, des terres rares et du lithium.
Plusieurs gisements de lithium ont été trouvés récemment dans le sud et le nord. Le 25 janvier, la société australienne African Gold a découvert des sédiments de lithium dans la région d’Agboville, dans le sud. En novembre 2022, un consortium composé des sociétés Ricca Resources et Firering Strategic Minerals a été autorisé à exploiter le premier gisement de lithium-tantale, Atex, dans la région de Boundiali située dans le nord.
Nouveaux gisements miniers en Côte d’Ivoire Source : ISS(cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Cependant, l’accélération du développement du secteur minier prévue par l’État se fait au prix de la dégradation de l’environnement. Depuis son indépendance dans les années 1960, le pays a perdu 80 % de ses forêts. La majeure partie de la couverture forestière restante est concentrée dans de petites zones protégées qui souffrent de l’agriculture, des feux de brousse et de l’exploitation minière. La couverture forestière de la Côte d’Ivoire s’est effondrée, passant d’environ 16 millions d’hectares dans les années 1960 à moins de 3 millions aujourd’hui.
Bien qu’elle ne soit responsable que de 8 % de la déforestation – l’agriculture, l’exploitation forestière et les infrastructures étant les causes principales –, l’exploitation minière incontrôlée et mal réglementée pourrait détruire le peu de forêt qui subsiste. Les carrières (légales et illégales) sont à l’origine de 80 % de cette destruction et le traitement des minerais de celle des 20 % restants. Ce chiffre risque d’augmenter, compte tenu des découvertes récentes et de la propension de l’État à délivrer des permis industriels.
L’exploitation minière menace l’environnement d’un pays fortement dépendant de l’agriculture et de l’élevage de subsistance
La déforestation entraîne une baisse des précipitations et aggrave la désertification en Côte d’Ivoire. L’expansion incontrôlée du secteur minier entraîne la raréfaction des terres arables, perturbant davantage les écosystèmes et mettant l’agriculture en péril. Près de 60 % des terres arables de la Côte d’Ivoire sont dégradées. Préserver ce qui reste et restaurer les sols endommagés est un enjeu vital dans ce pays où l’agriculture de subsistance fait vivre les deux tiers des ménages, représente 75 % des exportations et emploie 70 % de la population active.
Le recours aux produits chimiques comme le mercure par l’exploitation minière, tant artisanale qu’industrielle, pollue l’eau, l’air et les sols. Si les chiffres sur l’utilisation de ces produits par les grandes entreprises ne sont pas publics, on sait que les mineurs artisanaux utilisent environ 558 kg de mercure par an, mettant en danger la biodiversité, la santé et les moyens de subsistance de la population.
Le nord de la Côte d’Ivoire est depuis longtemps un paradis pour l’exploitation illégale de l’or et du diamant en raison de la porosité des frontières, de la marginalisation des populations locales et de la rébellion de 2002-2011. Les activités illégales permettent aux habitants de la région de survivre et la proximité de la mine d’Atex avec les zones frontalières est un risque pour l’environnement vulnérable du site.
Les explorations à Atex et ses environs ont révélé des minéraux précieux autres que le lithium. Cette découverte pourrait déclencher une ruée vers ces minéraux et menacer le Parc national de la Comoé et les terres arables de la région agricole du nord.
Les produits chimiques utilisés dans l’exploitation minière artisanale et industrielle polluent l’eau, l’air et les sols
Le haut niveau de technologie et de compétence nécessaire à l’extraction du lithium n’est pas un obstacle insurmontable pour l’exploitation non industrielle, comme plusieurs exemples le montrent. La Chine a pris des mesures pour empêcher l’extraction artisanale de lithium à Yichun. En République démocratique du Congo, face à l’incapacité de l’État à les faire bénéficier des richesses minières, les habitants ont voulu exploiter eux-mêmes le cobalt qu’ils avaient découvert sous leurs maisons, détruisant leur ville. La Côte d’Ivoire est confrontée aux mêmes vulnérabilités.
Le gouvernement ivoirien doit agir rapidement pour restaurer la confiance des communautés. Il doit proposer des alternatives économiques à ceux qui dépendent de l’exploitation minière artisanale. Identifier les petits exploitants miniers et leur octroyer des permis constituent une première étape louable, mais le code minier de 2014 doit être entièrement appliqué, en particulier ce qui concerne l’exploitation minière artisanale.
En tant que signataire de la Convention de Minamata interdisant l’utilisation du mercure dans l’exploitation minière, les autorités ivoiriennes devraient renforcer la surveillance des sites miniers. Elles devraient s’assurer que les exploitants utilisent des méthodes respectueuses de l’environnement, qu’ils possèdent une autorisation d’exploitation et qu’ils demeurent dans les zones dédiées à cet effet.
Les patrouilles de police et les opérations de la Brigade de répression des infractions au code minier reflètent la volonté du gouvernement de faire respecter la loi. Les comités de suivi, les autorités locales et les communautés touchées pourraient soutenir l’État dans son action.
L’agriculture de subsistance fait vivre deuxtiers des ménages en Côte d’Ivoire
Il est également nécessaire de mettre en place des réponses innovantes et anticipées, telles que la délimitation de zones exclusivement vouées à l’agriculture et à la protection de la biodiversité. Compte tenu de la taille réduite de la Côte d’Ivoire, le gouvernement devrait délimiter les terres pouvant être cédées à l’exploitation minière afin de garantir des terres arables pour l’agriculture. Car la reconstitution des sols après l’exploitation minière prend des décennies.
Moussa Soumahoro, chercheur, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba
Image : © Lycopodium
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