Comment amener plus de femmes à devenir marins ?
Quelles leçons tirer après vingt ans de promotion du rôle des femmes dans le secteur de la paix et de la sécurité ?
Publié le 07 juillet 2020 dans
ISS Today
Par
Denys Reva
chercheur, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
Environ 80 % du commerce international se fait par voie maritime, ce qui fait de la navigation un élément clé de la sécurité, du développement et de la prospérité économique à l’échelle mondiale. L’Organisation maritime internationale (OMI) rend régulièrement hommage aux gens de mer depuis 10 ans. Cette année, le 25 juin, le thème de l’OMI, « Les marins sont des travailleurs clés », a réaffirmé le rôle central des marins au cœur de l’économie mondiale.
Des gens courageux (hommes comme femmes) travaillent dans ce milieu souvent rude et difficile, en particulier en ces temps de COVID-19. Les femmes sont cependant peu nombreuses dans la marine. Bien que l’OMI ait activement plaidé pour une meilleure intégration des femmes dans le secteur maritime ces trente dernières années, elles y sont encore largement sous-représentées.
La marine a toujours été, et reste, un secteur d’activité dominé par les hommes. Peu de secteurs maritimes, y compris la marine marchande, disposent de politiques qui tiennent compte de l’égalité des genres. Selon l’étude la plus récente sur les femmes dans le secteur maritime, sur 1,2 million de marins, seuls 2 % environ sont des femmes, et presque toutes (94 %) travaillent dans le secteur des croisières. Les industries maritimes, les régimes juridiques et les établissements de formation sont davantage axés sur les hommes et excluent largement les femmes.
Les femmes sont également confrontées à de nombreux défis que les hommes ne connaissent pas. Leurs luttes et leurs préoccupations sont notamment souvent invisibles ou ignorées. Selon une enquête menée auprès de navigatrices en Afrique de l’Est et en Afrique australe, les femmes qui travaillent sur les navires se sentent souvent isolées, rabaissées et sous-estimées. Elles doivent travailler plus dur pour obtenir le même niveau de reconnaissance que leurs homologues masculins.
Le programme des Nations unies pour les femmes, la paix et la sécurité propose des orientations pour les femmes dans le secteur maritime
Un rapport récemment publié par l’Institut d’études de sécurité (ISS) examine ces problématiques et questionne la manière dont les femmes évoluent dans un secteur maritime dominé par les hommes. Il constate que le programme des Nations unies pour les femmes, la paix et la sécurité (WPS) fournit certaines orientations pour les femmes dans le secteur maritime.
Pour lutter contre l’exclusion des femmes dans ce domaine, il convient de comprendre et relever les défis structurels, tels que les croyances culturelles et les stéréotypes sexistes. Étant donné que le secteur maritime est considéré comme un espace masculin, y attirer davantage de femmes devrait être une priorité. Cela permettrait de créer une masse critique qui transformerait l’industrie en un secteur inclusif et sensible à la dimension de genre.
Par exemple, l’autorité sud-africaine de sécurité maritime a lancé le réseau Sisters of the Sea. Cette initiative permet à des navigatrices expérimentées d’encadrer les nouvelles recrues afin d’assurer la sécurité et de meilleures conditions de travail pour les femmes en mer.
Amener davantage de femmes à devenir marins ne se fera pas en un jour ; cela nécessite un engagement à tous les niveaux de l’espace maritime. Le secteur doit se réformer le plus rapidement possible, car l’écart entre les genres au niveau mondial se réduit beaucoup trop lentement. Les projections actuelles indiquent qu’il faudra 257 ans pour atteindre l’égalité de participation et de chances des femmes dans l’économie. Cette évolution s’inscrit dans le contexte d’une diminution attendue du nombre de marins au niveau mondial, alors que la demande augmente.
La priorité est d’attirer les femmes afin de créer une masse critique qui transformerait le secteur de la navigation
Pour que cette transformation se produise, il faut rendre le secteur maritime plus attrayant pour les femmes. Relever ces défis n’est pas seulement une « question de femmes ». Des études indiquent que la participation significative des femmes devrait conduire à de meilleures performances financières et à une plus grande productivité économique, quel que soit le secteur. L’absence de diversité des genres signifie que les entreprises du secteur maritime passent à côté d’un environnement plus innovant, plus dynamique et plus productif.
Le secteur maritime devrait tirer parti des progrès réalisés dans l’inclusion des femmes par le programme WPS. Ce processus reconnaît que l’augmentation du nombre de femmes dans les efforts de paix et de sécurité est un objectif louable en soi. Il concrétise également le droit des femmes à travailler dans les services de sécurité et à prendre part aux processus de paix. Par ailleurs, les approches sensibles à la dimension de genre permettent de parvenir à une paix durable et viable.
Le programme WPS illustre également l’importance de produire des données cohérentes sur les fonctions et responsabilités des femmes. Cela permet d’identifier les points d’entrée pour les interventions visant à instaurer l’égalité entre les genres.
En raison du manque de données ventilées par sexe dans l’espace maritime, en particulier dans les enquêtes mondiales sur le travail, on ignore où et dans quelle mesure les femmes sont représentées. Certaines données ne sont disponibles que pour certains secteurs, d’autres montrent que les femmes sont absentes ou sous-représentées dans les postes de responsabilité.
Selon les projections actuelles, l’égalité dans la participation économique des femmes sera atteinte dans 257 ans
Un autre enseignement du programme WPS est qu’il faut sensibiliser le grand public aux possibilités qui s’offrent aux femmes dans l’espace maritime. Tant que la navigation maritime sera perçue comme une option de carrière moins attrayante, les femmes, et la société en général, continueront à la considérer comme exclusivement masculine.
Le programme WPS a également démontré que l’intégration de la dimension de genre était essentielle. Dans le secteur maritime, le professionnalisme des femmes est souvent remis en question et soumis à rude épreuve. La plupart des cadres masculins, tant à terre qu’en mer, sont d’anciens marins et n’ont pas l’habitude de travailler avec des femmes ; ainsi, ils perpétuent des normes et valeurs néfastes, créant un environnement de travail désagréable pour les femmes.
Les femmes dans le secteur de la paix et de la sécurité sont confrontées à des défis similaires. Ceux-ci sont lentement surmontés grâce à une formation obligatoire à la sensibilité au genre qui met l’accent sur les préjugés qui sont néfastes. L’intégration de cette formation dans le secteur maritime pourrait contribuer à créer un environnement positif pour les femmes. Un autre aspect important consiste à proposer des programmes de formation visant à améliorer les carrières des femmes.
Les obstacles à une participation significative des femmes à la vie maritime ne font pas que saper l’égalité des genres et la diversité, ils étouffent les progrès dans un secteur qui est au cœur du commerce international et du développement. Il est important de célébrer le travail crucial des gens de mer, en particulier compte tenu de l’environnement de travail difficile créé par la pandémie de COVID-19. À long terme, cependant, l’objectif doit être de permettre aux femmes d’apporter une contribution significative à ce secteur.
Liezelle Kumalo, chercheuse, et Denys Reva, chargé de recherche, Opérations de paix et consolidation de la paix, ISS Pretoria
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Crédit photo : GCIS/Flickr