Cibler le M23 profite à l'ADF dans l'est de la RDC
L’Alliance des forces démocratiques, alliée de l'État islamique, exploite les vides sécuritaires et tire profit des économies illicites.
Publié le 22 septembre 2025 dans
ISS Today
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La prise de Goma et de Bukavu en début d’année par le Mouvement du 23 mars (M23) / Alliance Fleuve Congo a attiré l'attention des autorités nationales, régionales et internationales. Elle a mis à rude épreuve l'armée nationale déjà affaiblie de la République démocratique du Congo (RDC), créant un vide sécuritaire dont l’Alliance des forces démocratiques (ADF) a profité pour étendre ses opérations.
L'ADF, créée en 1995 sous le nom d'ADF-Armée nationale pour la libération de l'Ouganda, résulte de la fusion de deux groupes rebelles ougandais. Les insurgés ont fui vers l'ancien Zaïre sous la pression militaire de l'Ouganda.
Implanté dans l'est de la RDC, le groupe s'est intégré au tissu local, tout en maintenant des liens externes. En 2019, il a officiellement prêté allégeance à l'État islamique.
Jusqu'en fin 2013, l'ADF a fait profil bas. La recrudescence des attaques contre les civils et les soldats congolais a néanmoins marqué un tournant, forçant une réponse militaire.
Cette escalade a exposé les limites de la lutte contre l'insurrection et conduit à une collaboration militaire. Les Forces de défense populaires de l'Ouganda et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont conjointement lancé l'opération Shujaa en 2021 visant à démanteler l'ADF en Ituri et au Nord-Kivu.
Zones d'opération de l'ADF : est de la RDC
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Cette expansion révèle deux dynamiques. D’une part, les insurgés, évincés de leurs bastions, se sont dispersés vers des zones moins bien gouvernées. Loin, des forces de l’ordre, ils ont reconstitué leurs cellules et contraint les civils à la fuite. Cette tendance s'est aggravée lorsque les FARDC ont été redéployées pour contrer le M23 plus au sud.
D’autre part, les données de l'ISS révèlent que l’ADF opère, non pas en troupe, mais en petites cellules infiltrées dans les zones urbaines et périurbaines comme chauffeurs de taxi et commerçants.
L’expansion de l'ADF est à la fois idéologique et stratégique. Le groupe utilise un modèle hybride insurgé-criminel et des tactiques de guérilla de type « coup de poing » pour se maintenir malgré ses pertes territoriales.
Les liens de l'ADF avec l'économie locale contribuent également à son expansion. Les données de l'ISS révèlent que, même si les opérations militaires ont réduit son emprise sur l'exploitation des ressources, le commerce transfrontalier et le contrôle des terres depuis 2014, le groupe reste actif dans le trafic d'or, de cacao et de bois. L'Ouganda reste un débouché important, les marchandises de contrebande contournant très souvent les marchés congolais.
Le commerce transfrontalier de l'ADF suggère que le groupe s’appuie sur des corridors commerciaux illicites, une pratique courante des groupes armés en Afrique. Son ancrage dans les réseaux économiques locaux renforce son modèle de financement. Les motos-taxis et les transporteurs sont parfois contraints d’acheminer des combattants, des marchandises et des armes.
Au lieu de démanteler les bases de l’ADF, l'opération Shujaa n’a fait qu’étendre la menace
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (ONU) rapporte que le groupe est impliqué dans des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements, de l'extorsion et de l'imposition forcée des communautés locales.
Les civils facilitent souvent à leur insu les transferts d'argent par le biais de services bancaires mobiles et de transferts d'argent non enregistrés. Les données de l'ISS révèlent que les intermédiaires de l’ADF intègrent le financement du terrorisme dans ces paiements informels quotidiens. Des transactions, modestes et fragmentées afin d'éviter toute détection, permettent au groupe de financer ses opérations, son recrutement et sa logistique.
Sur le plan idéologique, l'ADF s’inscrit dans le mouvement djihadiste mondial en tant que province d'Afrique centrale de l'État islamique, suivant sa stratégie de propagande. Par la coercition, l'endoctrinement et la tromperie, l'ADF recrute des combattants spécialisés dans la fabrication d’explosifs et l'entraînement militaire en RDC, au Burundi, au Kenya, en Somalie et en Tanzanie.
L'ADF présente tout de même une identité djihadiste hybride. Certaines de ses actions contredisent la politique de l'État islamique et rendent ses motivations peu claires.
L'implication de l'ADF dans l'économie locale brouille la frontière entre insurrection et crime organisé, soulignant la nécessité pour la RDC et l'Ouganda de perturber ses circuits de financement et d'approvisionnement. La collaboration transfrontalière entre les États est essentielle, car la résilience économique et idéologique de l'ADF menace la stabilité régionale.
L'implication de l'ADF dans l'économie locale brouille la frontière entre insurrection et crime organisé
Les efforts pour contrer l'insurrection du groupe ont été infructueux. Les limites militaires des FARDC (logistique et ressources insuffisantes, ingérences politiques et renseignements imprécis) ont contribué à la résilience de l'ADF. Le manque de volonté politique du gouvernement congolais accroît la difficulté.
Le double rôle de l'Ouganda comme partenaire militaire et acteur économique suscite des inquiétudes. Certaines analyses suggèrent que l'opération Shujaa viserait à protéger les intérêts financiers de l'Ouganda dans l'est de la RDC, et le groupe d'experts des Nations unies sur la RDC affirme que l'Ouganda a doublé sa présence depuis l'incursion du M23, ce qui laisse supposer des motivations cachées.
Les opérations et les ressources de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) ont également été mises à rude épreuve par le M23. La perception négative de la mission par la population locale a aussi entravé ses efforts pour combattre les ADF et prévenir les attaques contre les civils. Ces lacunes accentuent la désillusion et soulignent l’urgence de mettre en place des mécanismes de protection civile plus robustes.
Les initiatives contre l’insurrection devraient traiter l'ADF comme une menace asymétrique et non conventionnelle. Les stratégies devraient viser à désorganiser les réseaux d'approvisionnement et le modèle de financement du groupe, moteur de son expansion.
Les acteurs nationaux et régionaux devraient également combiner sanctions économiques et pourparlers de paix pour endiguer l'expansion de l'ADF. La RDC devrait doter son armée des moyens adaptés, notamment des drones pour le combat aérien.
Enfin, malgré des efforts régionaux parfois incohérents, la coopération transfrontalière reste indispensable et doit inclure la mise en place de mécanismes durables et coordonnés de partage de renseignements.
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