Burundi : Les élections conduiront-elles à une nouvelle crise politique ?
Si le parti au pouvoir gagne et l'opposition crie au scandale, le Burundi pourrait être plongé dans une nouvelle crise prolongée.
Le principal candidat de l'opposition aux élections burundaises de cette semaine, Agathon Rwasa, respire la confiance. Malgré la violence exercée contre certains membres de son parti et la menace de la COVID-19 (que le personnel politique du pays a largement ignorée), ses rassemblements électoraux attirent sans cesse des foules.
Dans une lettre adressée à la commission électorale avant le vote du 20 mai, Rwasa signale de graves irrégularités concernant la liste électorale et la distribution des cartes d’électeur. Ses griefs constants quant au trucage des votes et aux conditions de concurrence inégales semblent indiquer qu'il se prépare à se faire entendre à bien plus grande échelle sur la crédibilité du scrutin.
Les recherches menées cette année par l'Institut d'études de sécurité (ISS) au Burundi ont révélé un climat tendu à l'approche du vote, compte tenu de la violence politique qui sévit dans le pays depuis plusieurs années. Le retrait du président Pierre Nkurunziza après 15 ans à la tête de l’État ouvre la possibilité d'une victoire de Rwasa. Cette figure historique de l'opposition a été chef rebelle des années durant et a fondé le Congrès national pour la liberté (CNL) en 2019.
Cependant, pour que Rwasa gagne, les élections devront être libres et équitables, ce qui semble peu probable. De nombreux opposants politiques au parti au pouvoir ont été enlevés, harcelés et torturés par les forces de sécurité et par la branche jeunesse du parti au pouvoir, Imbonerakure. Le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), au pouvoir, contrôle également la commission électorale et la Cour constitutionnelle. Or, ce sont ces deux institutions qui auront le dernier mot en cas de recours juridictionnel contre les résultats électoraux.
Pour que Rwasa gagne, les élections devront être libres et équitables, ce qui semble peu probable à ce stade
Tous ces facteurs, ainsi que la détermination du CNDD-FDD à conserver le pouvoir, fragilisent l’éventualité d’une victoire de Rwasa. À la tête de son parti, Nkurunziza a été remplacé par un ancien général et proche collaborateur : Evariste Ndayishimiye.
Le problème réside dans le fait que, à l’exception de quelques ONG et de journalistes téméraires qui risquent leur vie pour faire des reportages indépendants sur les élections, il sera difficile d’avoir accès à des sources fiables quant aux résultats du scrutin, et donc de savoir si Rwasa dit la vérité ou non en cas d’échec et de montée au créneau.
Qui plus est, le Burundi refuse d’accréditer des observateurs internationaux pour assister aux élections, y compris ceux de l'Union africaine (UA), ce qui est inhabituel pour un État membre de l'UA. Le gouvernement est à couteaux tirés avec l'UA depuis les troubles politiques qui ont précédé et suivi la réélection de Nkurunziza en 2015.
Le Burundi est membre du Conseil de paix et de sécurité de l'UA et l’on conçoit difficilement comment cette institution, responsable de garantir la paix en Afrique, pourrait jouer un rôle significatif dans une éventuelle crise post-électorale au Burundi.
La fermeture de l'aéroport vise davantage à exclure les observateurs électoraux qu'à protéger les citoyens contre la COVID-19
La Communauté d'Afrique de l'Est est le seul regroupement initialement autorisé à observer le scrutin ; elle avait prévu d'envoyer un petit groupe de 20 observateurs. Cependant, le Burundi a annoncé que tout observateur devrait être mis en quarantaine pendant deux semaines à son arrivée en raison de la COVID-19. Ils auraient donc eu à passer la journée du scrutin sans pouvoir quitter leur isolement. En conséquence, la commission électorale a annoncé qu'il n'y aurait pas d'observateur étranger.
Décision ironique, étant donné que le Gouvernement burundais a accordé peu d'attention aux mesures recommandées par l'Organisation mondiale de la santé et par les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies de l'UA. La fermeture de l'Aéroport de Bujumbura est davantage perçue comme une mesure visant à empêcher les observateurs d'entrer sur le territoire que comme un moyen de protéger les citoyens contre la COVID-19.
Selon un consultant de l'ISS présent au Burundi, qui souhaite conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité, il y a de fortes chances que les élections conduisent à une nouvelle crise politique au long cours si le parti au pouvoir remporte l’élection de justesse et que Rwasa conteste les résultats. Certains placent leurs espoirs dans une éventuelle coalition d'opposition au second tour des élections présidentielles, avec des figures de l'opposition comme l'ancien président Domitien Ndayizeye qui se rallieraient à Rwasa.
L'expert de l'ISS estime toutefois qu’il est peu probable d’assister à un second tour entre Rwasa et Ndayishimiye. En effet, le CNDD-FDD devrait s'en tirer avec une victoire au premier tour, « indépendamment de ce qui se passe réellement dans les bureaux de vote ». D'après lui, Rwasa pourrait pertinemment refuser de reconnaître le vainqueur et rendre la vie difficile à Ndayishimiye.
Le Burundi n’accréditera pas d’observateurs internationaux, y compris ceux de l'UA
« Étant donné que le CNL est porté par sa popularité, le risque de crise électorale est élevé. Si cela s'accompagne d'une épidémie de COVID-19, le pays risque de connaître une crise sanitaire à moyen terme et une récession économique à plus long terme », dit-il.
Le Burundi souffre déjà d'un grave déclin économique dû à la crise qui a débuté avec la candidature de Nkurunziza à son troisième mandat en 2015. Près de 350 000 réfugiés vivent à l'extérieur du pays, principalement en Tanzanie. Selon des recherches de l'ISS, des centaines de personnes ont été tuées, enlevées et torturées depuis lors. Des milliers d’autres sont détenues comme prisonniers politiques.
Si Ndayishimiye devient président, saura-t-il apaiser les tensions et orienter le Burundi dans une nouvelle direction ? Sera-t-il capable de rectifier le tir dans un pays caractérisé par l’instabilité politique et l'animosité ?
D’aucuns pensent que bien que le candidat du parti au pouvoir annonce publiquement qu'il suivra les traces de Nkurunziza, il pourrait apporter des changements, puisqu'il aurait déclaré en privé être favorable à une plus grande « ouverture ». Cela reste toutefois à voir. Ndayishimiye fait partie depuis des années d'un système militaire répressif qui s’est déchaîné contre tous ceux qui osaient critiquer le parti au pouvoir.
Ndayishimiye a également évoqué l'ouverture de l'économie pour attirer des investissements, ce qui n'est pas sans rappeler les promesses faites par le président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa lors de sa prise du pouvoir en fin 2017. D’après l'ISS, il est néanmoins peu probable que cela se produise, à moins que cette stratégie ne reçoive l'aval des hauts gradés de l'armée burundaise.
Les enjeux de cette élection, qui se déroule au temps de la COVID-19, sont importants, et le risque d'escalade de la violence politique est palpable. Ce dont le Burundi a besoin de toute urgence, c'est d'un nouveau départ. Pour l'instant, il semble toutefois que la population du Burundi devra encore attendre avant de connaître une véritable paix et une stabilité politique.
Liesl Louw-Vaudran, Chercheuse principale et responsable du Projet pour l'Afrique australe, ISS Pretoria
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