Burkina: Ne pas perdre le Nord
L’instabilité au Mali, des conditions socio-économiques précaires et un terreau idéologique alimentent l’extrémisme.
Depuis le 4 avril 2015, date de l’enlèvement d’un ressortissant roumain à Tambao, au nord-est du Burkina Faso - à la frontière avec le Mali et le Niger - c’est une vingtaine d’attaques qui a été enregistrée dans le pays, selon son ministre de la sécurité, Simon Compaoré.
Ces attaques se sont majoritairement concentrées dans la région administrative du Sahel. Elles ont été revendiquées ou attribuées à la brigade Al-Mourabitoun d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et à deux groupes liées à Ansar Dine, à savoir la Katiba Macina - active dans le centre du Mali - et la Katiba Khalild Ibn Walid - un temps active dans la région de Sikasso, dans le sud du Mali. Fin 2016, un acteur local est apparu. Connu sous la dénomination d’Ansarul islam, ce groupe s’est structuré autour d’un certain Malam Ibrahim Dicko, présenté comme prêcheur radical.
Confrontée à cette situation, la réponse du Burkina Faso a consisté à accroître la sécurité. Cette posture a enregistré quelques résultats, comme la neutralisation en mars dernier de Harouna Dicko, présenté comme un lieutenant de Malam Ibrahim Dicko et l’arrestation d’une dizaine de suspects. L’importante opération de ratissage lancée le 27 mars dans la province du Soum et côté malien dans la région d’Hombori (entre Gao et Mopti), impliquant des militaires burkinabés et maliens, soutenus par des soldats français de l’opération Barkhane, s’inscrit également dans cette optique.
Le Burkina Faso demeure au centre des stratégies d’expansion des groupes djihadistes
Au-delà des résultats opérationnels enregistrés, il reste à voir si ces actions parviendront à éliminer totalement la menace sur le long terme.
Face à la multiplication des attaques, plusieurs sentiments ont longtemps prévalu auprès de l’opinion publique concernant la réponse des autorités burkinabè. Certains ont considéré qu’elles n’avaient pas pris la pleine mesure de la menace, d’autres qu’elles étaient davantage dans la réaction. Pour d’autres enfin, elles étaient tout simplement impuissantes.
Plusieurs facteurs contribuent à l’émergence de l’extrémisme au Burkina Faso. Ils sont liés à l’insécurité au Mali voisin et à des dynamiques et logiques propres au Burkina Faso. Ces dernières sont aussi bien régionales que locales. Au registre des dynamiques locales ayant contribué à l’émergence du groupe burkinabè Ansarul islam, on peut évoquer les réalités socio-économiques précaires et l’existence d’un terreau idéologique religieux.
Les dynamiques régionales quant à elles s’illustrent par l’existence de liens entre les groupes opérant dans les espaces frontaliers de la province burkinabè du Soum et du centre du Mali. Cette partie du Mali est utilisé par Ansarul islam comme base arrière et de repli lorsque ses velléités d’implantation au Burkina se heurtent à l’action de ses forces armées.
Tous ces facteurs devraient être considérées dans le cadre des efforts visant à identifier les différents ressorts, réalités et conditions qui ont contribué à l’émergence du phénomène. La proximité d’un Mali instable, l’insécurité grandissante dans sa partie centrale et, plus important, les attaques enregistrées au cours de l’année 2015 dans les zones frontalières du Burkina Faso auraient du pousser ses autorités à prendre toutes les mesures afin de se prémunir contre une contagion.
La réponse sécuritaire, bien que nécessaire, doit être portée de manière appropriée
Au registre des actions prises par les autorités burkinabè figurent les enquêtes qui ont permis d’en apprendre d’avantage sur les circonstances dans lesquelles certaines attaques ont été organisées et d’interpeller certaines des personnes impliquées. Le gouvernement a également initié le renforcement du dispositif sécuritaire et du renseignement, à travers notamment le déploiement dans le nord d’éléments du groupement des forces anti-terroristes (GFAT) et la fourniture de matériels aux forces de sécurité opérant dans la région du Sahel (police, gendarmerie et armée). Plusieurs opérations militaires ont également été menées à travers les pays.
Toutefois, le Burkina Faso, au même titre que d’autres pays de la sous-région, demeure au centre des stratégies des groupes djihadistes projetant de s’y implanter, d’y renforcer ou d’y étendre leur influence. Dans une récente interview accordée au magazine Al Massar, appartenant à la branche yéménite d’al-Qaïda, le leader du Groupe pour le soutien à l’islam et aux musulmans, Iyad Ag Ghali, a ainsi rappelé que le Burkina était une des cibles de son mouvement.
Bien qu’il n’y ait aucun doute sur la prise de conscience des autorités burkinabè quant à l’ampleur de la menace, ces faits les interpellent sur l’impérieuse nécessité de rester vigilant et d’appréhender cette problématique dans toutes ses dimensions.
Les abus des forces de sécurité peuvent alimenter l’extrémisme
Nonobstant la difficulté à mettre en place un contrôle absolu des frontières, un renforcement de la sécurité dans les zones frontalières sera nécessaire. Cet effort devra accompagner un renforcement de la présence de l’État dans ces espaces particulièrement vulnérables non pas seulement d’un point de vue sécuritaire, mais aussi et surtout social et économique.
Pour ce faire, il s’avèrera nécessaire de réduire l’impact de la réduction des échanges commerciaux enregistrée du fait de l’insécurité ambiante, de faire face à l’insécurité alimentaire rampante et de dynamiser les économies locales, en créant des opportunités d’emplois.
La réponse sécuritaire, bien que nécessaire, a souvent contribué à exacerber la confrontation entre les forces de défense et de sécurité et les groupes extrémistes, accentuant l’insécurité, et servant d’élément fédérateur pour les groupes.
Il s’agira par conséquent, particulièrement dans la lutte contre Ansarul islam, de faire preuve de discernement dans les moyens utilisés, en évitant les abus qui privent les forces de sécurité du soutien nécessaire des populations et peuvent pousser ces dernières dans les bras des groupes.
La décision prise par le Burkina Faso, le Mali et le Niger de mutualiser leur réponse sécuritaire en établissant une Force du Liptako-Gourma, est une option qui pourrait contribuer à contenir la menace. Cela étant, cette collaboration ne saurait se substituer aux nécessaires mesures sécuritaires à prendre par chacun des pays concernés.
William Assanvo, Chercheur principal, ISS Dakar