Burhan et Hemetti se livrent à des « Hunger Games »
Alors que la guerre civile pousse le Soudan vers la famine, l’Occident et les BRICS devraient s’opposer aux ingérences étrangères dans le conflit.
Après quatorze mois de guerre civile, le Soudan est en pleine catastrophe humanitaire. Au moins 16 000 Soudanais sont morts dans la lutte pour le pouvoir militaire, qui a éclaté en avril 2023 lorsque les Forces de soutien rapide (RSF), du général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », ont attaqué les Forces armées soudanaises (SAF) régulières du général Abdel Fattah al-Burhan.
Le 21 juin, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) s’est déclaré « gravement préoccupé par une situation humanitaire catastrophique sans précédent, les meurtres aveugles de […] civils et […] la destruction d’infrastructures, notamment d’hôpitaux, d’écoles, de stations d’épuration et de centrales électriques ».
Des actes d’une cruauté aveugle ont été commis, notamment des viols de masse et des pogroms ethniques perpétrés par la RSF, en particulier dans l’ouest de la région du Darfour.
Cependant, c’est la famine qui se profile qui préoccupe le plus aujourd’hui. La guerre a déplacé près de 10 millions de personnes, détruit les infrastructures agricoles et toute l’économie du pays. Le Programme alimentaire mondial (PAM) indique que près de 18 millions de Soudanais subissent une « insécurité alimentaire aiguë », et près de cinq millions d’entre eux sont en « situation de faim d’urgence ».
La guerre fait rage dans tout le pays, les SAF dominant dans l’est et les RSF dans l’ouest, notamment au Darfour. Au début des années 2000, les RSF, alors milice Janjawid, s’étaient déchaînées, perpétuant des meurtres, des pillages et des viols au Darfour. L’épicentre actuel des affrontements est Al Fachir, la capitale du Darfour du Nord et dernier bastion des SAF dans la région. Bien que des milices aient apporté leur soutien aux SAF, les RSF ont assiégé la ville.
Les SAF et les RSF refusent quasiment tout accès humanitaire à leurs bastions
« La région d’Al Fachir abrite plus d’un million de civils, dont beaucoup ont déjà été déplacés par le conflit et sont à la limite de la survie, déclare l’International Crisis Group (ICG). Même un siège prolongé menace leur vie, mais une escalade de la bataille pour s’emparer de la ville pourrait entraîner des massacres de masse et d’autres atrocités. »
Le besoin le plus urgent est d’acheminer l’aide humanitaire aux millions de personnes qui risquent de mourir de faim, mais même cela s’avère presque impossible. Comme l’ont souligné plusieurs commentateurs, les SAF et les RSF refusent pratiquement tout accès humanitaire à leurs bastions. L’ICG estime que les RSF devraient permettre aux civils de quitter Al Fachir en toute sécurité, bien qu’ils n’aient nulle part où aller, puisque la plupart d’entre eux appartiennent à des groupes ethniques pris pour cible par les RSF.
Dans le numéro de Foreign Affairs de la semaine dernière, Alex de Waal, directeur exécutif de la World Peace Foundation et spécialiste du Soudan, a écrit que la famine imminente n’est pas le fruit du hasard : en effet, Burhan et Hemetti utilisent tous deux la famine de masse comme arme de guerre.
« Les combattants des RSF opèrent comme les sauterelles, dépouillant les villes et les campagnes de tout ce dont ils peuvent se saisir […] pour soutenir leur machine de guerre. Les SAF […] ont bloqué l’aide humanitaire dans les vastes régions du pays contrôlées par les RSF. » Selon de Waal, 5 % de la population soudanaise pourrait mourir de faim d’ici la fin de l’année.
La communauté internationale proteste, mais ne fait pas grand-chose pour mettre fin à la guerre ou faire en sorte que l’aide d’urgence parvienne aux plus démunis. Très tôt, les États-Unis et l’Arabie saoudite ont organisé des pourparlers entre les deux parties, qui ont débouché sur un accord autorisant l’aide humanitaire et protégeant les civils. Aucune des deux parties ne respecte cet accord.
Une interrogation demeure sur les efforts de paix de l’Afrique, en raison de l’ingérence de forces étrangères dans le conflit
Ce mois-ci, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2736, exigeant la protection des civils et un accès humanitaire sans entrave, la cessation immédiate des hostilités et la fin du siège d’Al Fachir et de l’ingérence extérieure. Le G7 a tenu à peu près le même discours.
L’UA a fait quelques tentatives, mais insuffisantes, même l’année dernière lorsqu’elle a essayé sans succès d’amener les parties à la table des négociations. Vendredi dernier, alors que la catastrophe imminente d’Al Fachir ne pouvait plus passer inaperçue, le CPS a de nouveau appelé les deux parties à entamer des pourparlers de paix et à permettre au moins l’acheminement de l’aide humanitaire dans les zones de guerre.
Il a salué les efforts déployés par le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, par le groupe de haut niveau de l’UA sur le Soudan et par l’Autorité intergouvernementale pour le développement pour organiser le mois prochain à Addis-Abeba un processus de dialogue politique sans exclusive sur le Soudan. Le CPS a demandé à Moussa Faki Mahamat de mettre en place un comité composé d’un dirigeant de chacune des cinq régions d’Afrique, afin d’inciter Burhan et Hemetti à se rencontrer pour résoudre cette lutte de pouvoir, en fin de compte personnelle, qui les oppose.
Cependant, une interrogation importante demeure concernant les efforts de paix déployés par l’Afrique seule, en raison de l’ingérence sans précédent des forces étrangères dans le conflit.
Les soupçons portent principalement sur les pays du Golfe. Les Émirats arabes unis (EAU) sont largement suspectés d’armer et de financer les RSF, tandis que l’Arabie saoudite soutiendrait les SAF. Selon de Waal, elle permet à l’Égypte, au Qatar et à la Turquie de leur fournir des armes et de bloquer les initiatives de paix. L’année dernière, l’Iran a envoyé des drones aux SAF, s’efforçant ainsi de renouer des liens avec les islamistes soudanais qui soutiennent les SAF, d’après Téhéran.
Les BRICS incluent l’Arabie saoudite, les EAU, l’Égypte, l’Iran et la Russie, tous soupçonnés d’ingérence
Entre-temps, la Russie semble jouer sur les deux tableaux. Wagner a appuyé les RSF pendants des années. Cependant, Moscou a récemment adopté une position plus impartiale en souhaitant établir une installation navale à Port-Soudan (où le gouvernement de Burhan s’est retiré) en échange d’armes pour les SAF.
De Waal estime que seuls l’Arabie saoudite et les EAU peuvent amener Burhan et Hemetti à des pourparlers. Comme l’ICG, il a exhorté Washington et l’Occident à user de leur influence sur les deux États du Golfe pour y parvenir.
Toutefois, il existe un autre moyen de faire pression sur l’Arabie saoudite et les EAU, entre autres. Le bloc des BRICS comprend désormais l’Arabie saoudite, les EAU, l’Égypte, l’Iran et la Russie, tous soupçonnés d’ingérence au Soudan. Pourtant, lorsque leurs ministres des Affaires étrangères se sont réunis en Russie ce mois-ci, ils ont tous entonné de connivence le mantra des « solutions africaines aux problèmes africains ».
Inversement, l’ICG a trouvé encourageant la condamnation des acteurs extérieurs par l’UA, dans le communiqué du CPS de la semaine dernière – même si elle ne les a pas nommés.
Les démocrates soudanais en difficulté pourraient également jouer un rôle. L’organe de coordination des forces démocratiques civiles, Taqaddum, qui regroupe la société civile et les acteurs politiques soudanais, a tenu sa conférence fondatrice en mai. Elle a réuni près de 600 participants venant des 18 États du Soudan et a élu l’ancien premier ministre Abdalla Hamdok à sa tête.
Comme le note Chatham House, la coalition Taqaddum a été accusée par les deux parties belligérantes de ne pas être neutre. Elle doit rester unie et forte afin de pouvoir contribuer aux efforts de paix. Taqaddum reste probablement l’otage des ambitions inconsidérées de Burhan et Hemetti. Cependant, cette conférence est venue rappeler bien opportunément qu’aucun des deux dirigeants qui détruisent le pays pour leur propre compte n’en serait l’héritier légitime si un jour le Soudan retrouvait la paix.
Ils ont uni leurs forces en octobre 2021 pour détourner la transition de son chemin vers une démocratie civile, et aucun des deux ne mérite de jouer un rôle dans l’avenir du Soudan.
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