Boko Haram et COVID-19 : La guerre sur deux fronts dans le bassin du lac Tchad

Outre l’insécurité permanente et les crises humanitaires, la région doit faire face à des pénuries de vaccins, au scepticisme des populations et à des doses contrefaites.

Pour les populations de la région du bassin du lac Tchad touchées par Boko Haram, le risque de contracter la COVID-19 est élevé. La longue crise humanitaire, l’accès inégal aux vaccins, l’émergence de variants de la COVID-19, le scepticisme concernant la vaccination et le risque que représentent les faux vaccins sont autant de facteurs aggravants.

On craint de plus en plus que la troisième vague d’infections en Afrique n’échappe à tout contrôle, comme le confirme l’Organisation mondiale de la santé (OMS). À ce jour, au moins 22 pays du continent ont connu des pics d’infections, le nombre de cas ayant augmenté de 52 % au cours de la troisième semaine de juin.

La situation est exacerbée par l’insurrection de Boko Haram, qui dure depuis 12 ans et a provoqué l’une des pires crises humanitaires au monde. Elle a entraîné l’insécurité alimentaire et un risque accru de propagation de maladies telles que le choléra, la typhoïde, le paludisme, la méningite, la rougeole et bien d’autres.

Parmi les quatre pays touchés par Boko Haram (le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad), le Tchad présente les chiffres les plus bas en lien avec la COVID-19, avec un nombre de nouveaux cas actuellement en baisse. Les deux provinces du Tchad touchées par la crise de Boko Haram, celle du Hadjer-Lamis et celle du Lac, ont enregistré moins de 60 cas, dont trois décès, et aucun cas actif à la date du 11 juin. Cependant, en raison de l’insécurité permanente, le risque reste important et l’impact des protocoles mis en place pendant la pandémie limite l’aide humanitaire aux communautés.

Au Nigeria, l’État de Borno est le plus durement touché, à la fois par le nombre de cas et de décès dus à la COVID-19 et par Boko Haram

La pandémie de COVID-19 a causé une diminution de l’aide humanitaire et une augmentation du prix des produits de base, engendrant ainsi une perte de revenus des populations de la province du Lac et affectant leur capacité à satisfaire leurs besoins de base. Dans la province du Hadjer-Lamis, la malnutrition aiguë sévère dépasse le seuil d’urgence de 2 % fixé par l’OMS.

Dans l’État de Borno au Nigeria, la zone du bassin du lac Tchad la plus durement touchée par Boko Haram, on s’inquiète sérieusement de voir les niveaux de famine remonter à ceux observés en 2016. Cet État compte à la fois le plus grand nombre de cas confirmés et de décès de COVID-19 parmi les trois États du Nigeria les plus touchés par Boko Haram, à la date du 28 juin.

Ces problèmes, associés au nombre croissant d’attaques menées par les groupes extrémistes violents, risquent d’affaiblir la lutte contre le virus. Il pourrait également se révéler difficile de convaincre des populations confrontées à la faim de se faire vacciner, et la sécurité des professionnels de santé se verrait menacée dans leur travail dans des zones peu sûres.

Outre une situation humanitaire complexe, les populations locales sont sceptiques à l’égard des vaccins contre la COVID-19. Ce scepticisme est notamment dû à des inquiétudes antérieures concernant la sûreté des vaccins, au manque général de confiance dans les gouvernements, aux arrestations et aux interceptions de doses contrefaites, et à la désinformation.

Au Cameroun, sur les 700 000 doses de vaccin contre la COVID-19 reçues au 5 juin, seuls 11 % avaient été administrées

La situation est pire au Cameroun, où, sur les 700 000 doses reçues, seuls 11 % avaient été administrées à la date du 5 juin. À titre de comparaison, au Niger et au Nigeria, plus de 50 % des vaccins avaient été administrés. Ce taux est relativement élevé, malgré plusieurs campagnes contre la vaccination, notamment menées par des chefs politiques et religieux. Un des pasteurs les plus réputés du pays a découragé ses fidèles de se faire vacciner.

Le Niger est le seul pays du bassin du lac Tchad dans lequel la plupart des gens expriment avoir confiance dans le vaccin et veulent se faire vacciner. Selon un rapport sur la perception des vaccins contre la COVID-19 publié par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, 93 % des personnes interrogées avaient exprimé vouloir se faire vacciner.

Ce rapport révèle que les Nigériens seraient moins enclins à croire aux fausses informations. Sans surprise, ils ont cité les réseaux sociaux comme l’une des sources d’information les moins fiables. Les Nigériens sont également plus susceptibles de faire confiance à leur gouvernement en ce qui concerne l’approbation du vaccin contre la COVID-19, plus encore qu’à des institutions telles que l’OMS.

Les experts affirment que l’inégalité vaccinale est particulièrement dangereuse pour l’Afrique, en raison du marché que cela crée pour les faux vaccins. Le Cameroun et le Nigeria signalent tous deux la circulation de vaccins contrefaits, ce qui accroît la méfiance de la population à l’égard du vaccin.

Les Nigériens sont plus enclins à faire confiance à leur gouvernement quant aux vaccins contre la COVID-19, qu’à l’OMS

Les pays du bassin du lac Tchad ont reçu environ 5,2 millions de doses au total, soit 4 000 000 au Nigeria, 700 000 au Cameroun, 355 000 au Niger et 200 000 au Tchad. Cette quantité couvre moins de 2 % des 266 millions d’habitants de la région, même à raison d’une dose par personne. Seuls 50 % des vaccins avaient été administrés au 17 juin ; 0,83 % de la population du bassin du lac Tchad avait reçu une des deux doses requises, tandis que 0,11 % avait été entièrement vacciné.

Le manque de vaccins dans la région fait partie d’un problème plus vaste auquel l’Afrique est confrontée. Comptant environ 1,3 milliard d’habitants, le continent compte à ce jour moins de 2 % des vaccinations dans le monde. L’une des raisons est la dépendance de l’Afrique vis-à-vis du programme COVAX, piloté par l’OMS, qui, ironiquement, avait été conçu pour promouvoir l’égalité vaccinale. L’initiative COVAX s’appuie sur le Serum Institute of India, le plus grand fabricant de vaccins au monde. Les doses de vaccin destinées aux pays les plus pauvres ont cependant été détournées pour être utilisées en Inde.

L’Afrique a également fait preuve de lenteur dans le déploiement des vaccins. Dans certains cas, des doses ont dû être détruites ou renvoyées parce qu’elles étaient sur le point d’expirer et que les pays étaient mal préparés à les administrer rapidement. Dans le bassin du lac Tchad, le Nigeria a renvoyé des vaccins reçus fin mars parce qu’ils ne pouvaient pas être utilisés, la date d’expiration étant fixée au 13 avril.

Les gouvernements de la région et leurs partenaires doivent améliorer la capacité logistique à recevoir, déployer et administrer les vaccins avant même leur arrivée. Les acteurs concernés devraient s’inspirer de l’expérience acquise lors de la gestion d’épidémies antérieures comme celles d’Ebola et de la polio.

Des campagnes de sensibilisation ciblées sur l’importance, la sûreté et l’efficacité des vaccins aideront à vaincre le scepticisme. Les scientifiques, les professionnels de la santé, les chefs traditionnels, religieux et communautaires, et même les célébrités de la région ont un rôle crucial à jouer.

Malik Samuel, chercheur, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar

Cet article est financé par le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

En Afrique du Sud, le quotidien Daily Maverick jouit des droits exclusifs de publication des articles ISS Today. Pour les médias hors d’Afrique du Sud et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Contenu lié