Attendues depuis deux décennies, à quand les élections locales au Togo?

Les élections présidentielles prévues au Togo ne devraient pas éclipser la nécessité de tenir des élections locales, qui n'ont pas eu lieu depuis 1986.

Le scrutin présidentiel au Togo est prévu pour le premier semestre 2015. Cette échéance ne doit toutefois pas reléguer au second plan la tenue des élections locales, au regard de l’importance qu’elles revêtent pour l’ancrage d’une certaine culture démocratique dans le pays.

Organisées la dernière fois en 1986, ces élections n'ont depuis lors cessé d’être reportées par les différents gouvernements.

Les pressions des partis de l’opposition, de la société civile et de l’Union européenne (UE) à l’endroit du gouvernement n’ont pour l’instant rien donné.

Les communes continuent à être administrées par des présidents de délégation ou des conseillers municipaux et les préfectures par des conseillers préfectoraux, tous nommés par le pouvoir central.

Du fait de leur mode de désignation, les conseils municipaux et préfectoraux souffrent d’un manque de légitimité

Tous les acteurs politiques ainsi que ceux de la société civile s’accordent sur le fait que le mode de désignation actuel des représentants locaux contrevient à la Constitution et empêche la consolidation de la démocratie dans les collectivités décentralisées. La Constitution togolaise de 1992, révisée en 2002, prévoit en effet un processus de décentralisation en vertu du quel les communes, les préfectures et les régions doivent être administrées par des conseils élus au suffrage universel.

Si les différents acteurs reconnaissent la nécessité des élections locales, leurs positions divergent en ce qui concerne les étapes devant conduire à l’organisation de ce scrutin. Le gouvernement a pour sa part opté pour une démarche visant à échanger avec tous les partis politiques et la société civile sur les perspectives de la décentralisation et des élections locales. Dans ce cadre, des consultations ont été entamées avec l’ensemble des partis politiques, au lendemain des législatives de 2013, afin de préparer les élections locales.

Le comité d’appui à la décentralisation et aux élections locales annoncé le 21 octobre 2014 par le Ministre de l’administration territoriale de la décentralisation et des collectivités locales, Gilbert Bawara, s’inscrit aussi dans ce sens. Ce comité composé de 8 membres dispose de 6 mois pour élaborer une feuille de route de l’organisation de ce scrutin. Les résultats des travaux du comité seront soumis à la validation des partis politiques.

Par ailleurs, le gouvernement justifie son retard dans l’organisation des élections locales par le manque de moyens financiers et d’infrastructures d’accueil pour les nouveaux élus locaux. Au delà des arguments évoqués, la nomination des membres des délégations spéciales et des conseillers préfectoraux permet au pouvoir de s’appuyer sur le personnel des administrations locales à des fins politiques, notamment en périodes électorales. En outre, les résultats des législatives de 2007 et 2013, qui révèlent que d’importantes villes comme Lomé ont voté majoritairement pour l’opposition, ne sont pas de nature à motiver le pouvoir en place à organiser rapidement ces élections.

Les partis de l’opposition semblent aussi s’inscrire dans une logique de calculs politiques. Même s’ils réclament la tenue de ce scrutin, il n’en demeure pas moins que par le passé, ils n’avaient pas véritablement inscrit ce sujet dans leurs priorités. Ils craignaient en effet de le perdre et de confirmer ainsi la légitimité du parti au pouvoir qu’ils contestent depuis des décennies. Il convient de rappeler le refus de l’Union des forces de changement (UFC) - principal parti de l’opposition en 2003 - de participer à un tel scrutin, que le gouvernement d’alors voulait organiser le 14 décembre de la même année.

La réticence du gouvernement et la passivité de l’opposition ont favorisé le statu quo

Le scrutin législatif de 2007, qui a consacré la victoire de l’opposition dans certaines villes principales dont la capitale, lui a cependant permis d’espérer faire basculer le rapport de force en sa faveur. Les législatives de 2013 ont ravivé cet espoir avec la victoire de l’opposition dans des circonscriptions électorales importantes telles que le Grand Lomé, où elle a remporté 415 261voix (8 sièges), contre 106 597 (2 sièges) pour le parti au pouvoir.

Étant donné le manque de volonté des acteurs politiques, les organisations de la société civile œuvrant dans le domaine de la bonne gouvernance ont entrepris de sensibiliser et de former les populations sur la participation à la politique de leurs localités. Elles n’ont par ailleurs cessé d'interpeler le gouvernement, à travers des actions de plaidoyer, des conférences de presse et des séminaires, sur la nécessité d’organiser ces élections. Ces actions ont été notamment l’œuvre de la Plateforme Citoyenne pour les Élections Locales et l’Enracinement de la Démocratie à la Base qui réunit des centaines d’organisations non gouvernementales, d’associations et de médias.

Les efforts de la société civile ont contribué à informer les citoyens sur la gouvernance locale. Mais la réticence du gouvernement à organiser ces élections, et la passivité de l’opposition, qui n’a pas posé d’actes concrets pour les obtenir dans le passé ont favorisé le maintien du statu quo. Cela a eu pour conséquence de priver les citoyens de certains avantages liés à la décentralisation.

La décentralisation repose sur l’administration des collectivités locales par des organes élus. Du fait de leur mode de désignation, les conseils municipaux et préfectoraux souffrent d’un manque de légitimité qui se traduit par un déficit de confiance et une méfiance des populations à leur égard. Cette situation a favorisé la montée de l’incivisme chez certains citoyens qui refusent de payer les impôts alors que le budget de fonctionnement de la majorité des communes repose essentiellement sur les taxes perçues sur les marchés.

La non tenue des élections locales a également freiné le développement des entités décentralisées. Les pouvoirs des représentants nommés ont été réduits à une gestion courante des affaires. Cette situation a fragilisé leur capacité à mobiliser des ressources nécessaires à la conduite des politiques, notamment l’élaboration et l’exécution des plans de développement local. Il en découle une inexistence de programmes de développement, un faible accès des citoyens aux services essentiels de base, ainsi qu’une absence de renforcement des capacités des collectivités locales. Ce qui a considérablement accentué la pauvreté et affecté le vivre-ensemble des populations.

Organisés de manière régulière, les scrutins locaux contribueraient à l’apprentissage et à l’ancrage de la démocratie au niveau local, et garantiraient la légitimité de l’autorité élue. Ainsi, plus de deux décennies après les dernières élections locales, encore combien de temps devront attendre les citoyens togolais avant de se rendre aux urnes?

Esso-Wèdeou Gnamke, Chercheur boursier, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS Dakar

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