Rétro 2023 : retour sur une année de défis
En dépit d’une année éprouvante, le Conseil de paix et de sécurité a réalisé des progrès dans plusieurs domaines clés.
Tout au long de l’année 2023, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) s’est concentré sur son mandat qui consiste à résoudre les problèmes les plus urgents du continent en matière de paix, de sécurité et de gouvernance. Ce faisant, il a convoqué pas moins de 99 réunions, dont 15 par l’intermédiaire de son Comité d’experts. Vingt-huit d’entre elles ont porté sur des crises et la situation de pays en transition, les autres ayant été consacrées à des questions thématiques et à des activités statutaires, notamment des retraites, des visites de terrain et des consultations conjointes.
Le nombre de crises abordées en 2023 a diminué par rapport à 2022, année au cours de laquelle elles ont fait l’objet de 32 réunions. Cette baisse dénote une absence évidente de réponse adéquate de la part des acteurs politiques régionaux et continentaux, alors même que le contexte de paix et de sécurité en Afrique est demeuré précaire ou s’est aggravé au cours de l’année écoulée. La question est de savoir si le Conseil a répondu aux attentes.
Le CPS en 2023
Un ensemble de menaces a compromis la paix, la sécurité, la stabilité et le développement socio-économique en Afrique. On peut citer entre autres le déclenchement de nouveaux affrontements au Soudan, la montée de l’extrémisme violent — en particulier au Sahel —, les conflits liés à des litiges électoraux et la contestation de la légitimité de divers régimes. On a également assisté à une résurgence des coups d’État militaires et d’autres formes de changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG). À l’origine de ces menaces, on retrouve l’aggravation des déficits démocratiques et des problèmes de gouvernance.
L’année a également été marquée par des changements majeurs dans le déploiement des opérations de maintien de la paix. Des appels ont été lancés en faveur du retrait des forces onusiennes au Mali et en République démocratique du Congo (RDC). D’autres ont été lancés en faveur d’une réduction des effectifs de la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS), ce qui a eu des conséquences importantes sur la paix et la sécurité.
Le nombre de crises examinées par le CPS a diminué au cours de l’année écoulée
Pour faire face à ces problèmes, le CPS s’est réuni pas moins de 99 fois (voir figures 1 et 2), principalement au niveau des ambassadeurs, mais également en impliquant le Comité des experts et les ministres. Vingt-huit réunions ont permis d’examiner 13 situations spécifiques à un pays ou à une région (figure 3). Par rapport à 2022 où il s’est réuni 32 fois et a examiné la situation de 16 pays, le nombre de cas débattus par le Conseil en 2023 a diminué de 13 %.
Figure 1 : Répartition des réunions et activités du CPS en 2023![](https://issafrica.s3.amazonaws.com/site/images_other/2024-01-30-psc-report-2023-in-fig1-fr.png)
Figure 2 : Répartition mensuelle des réunions du CPS Source : Programmes de travail mensuels du CPS en 2022 et 2023 Cliquez sur l’image pour voir l'infographie en taille réelle
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Comme le montre la figure 3, le conflit le plus débattu est celui du Soudan, qui a figuré sept fois à l’ordre du jour du Conseil. Celui-ci n’a consacré qu’une seule séance au Sahel malgré la détérioration de la situation, contre cinq en 2022. Il a toutefois discuté du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée ainsi que du Soudan, dans le cadre de l’examen des pays en transition, et a effectué une mission de terrain au Burkina Faso (en juillet).
Aucune réunion n’a été consacrée au Tchad, au Cameroun ou au Mozambique, ce qui soulève des questions quant aux priorités des présidents du Conseil. La baisse de l’attention portée à la République centrafricaine (RCA), à la RDC, à la Corne de l’Afrique, au Sahel, à la Somalie et au Soudan du Sud constitue également une source d’inquiétude.
Sur une note plus positive, les situations en Éthiopie, en Libye et au Soudan ont fait l’objet de plus d’attention qu’en 2022. Force est de constater que la composition du Conseil influe sur la priorisation de son engagement dans les conflits nationaux, avec des répercussions sur ses performances en matière de paix et de sécurité à l’échelle du continent.
Au cours des 12 derniers mois, le Conseil a examiné les questions thématiques inscrites dans son programme de travail annuel, comme il l’avait fait en 2022. Trente-quatre séances leur ont été dédiées, soulignant que l’attention du Conseil s’est davantage portée sur ces questions que sur les situations nationales, une tendance amorcée en 2015.
Le CPS s’est réuni à 99 reprises, au niveau des ambassadeurs et en impliquant le groupe des sages et les ministres
Compte tenu du contexte difficile de l’Afrique, le Conseil a discuté de l’action humanitaire, de la gouvernance, de la paix et de la sécurité, des déplacements de population liés aux conflits, des sanctions de l’Union africaine (UA), du financement des opérations de soutien à la paix de l’UA et des enfants touchés par les conflits armés. Cependant, l’intérêt du CPS pour ces questions, au détriment de la gestion des crises, a des conséquences négatives sur son influence sur les perspectives du continent en matière de paix et de sécurité.
En évitant les sujets « sensibles », le Conseil semble être dépassé par son mandat de prévention des conflits et de promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité. Son engagement à faire taire les armes implique qu’il montre de l’audace et de la cohérence dans son action contre les conflits.
En 2023, les membres du Conseil ont entrepris des missions de terrain au Soudan du Sud (en février), en RDC (en mars), au Tchad (groupe des sages en mai), en Somalie (Comité d’état-major en juin) et au Burkina Faso (en juillet). Les visites prévues à Mekele en février, la capitale de la région éthiopienne du Tigré, ont quant à elles été reportées.
Figure 3 : Évolution du nombre de situations de conflit et de transition examinées par le CPS entre 2022 et 2023 ![Figure 3 : Évolution du nombre de situations de conflit et de transition examinées par le CPS entre 2022 et 2023](https://issafrica.s3.amazonaws.com/site/images_other/2024-01-30-psc-report-2023-in-fig3-fr.png) Source : Programmes de travail mensuels du CPS en 2022 et 2023 Cliquez sur l’image pour voir l'infographie en taille réelle
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En dépit de sa mission dans la zone administrative d’Abiyé en mai 2023, le Conseil ne s’est pas penché avec toute l’attention requise sur la situation dans la région. La mission d’octobre en Libye a de son côté été annulée en raison des inondations dévastatrices qui ont frappé l’est du pays au mois de septembre. Enfin, en juillet, le déplacement en Guinée-Bissau a été différé en raison du sommet Russie-Afrique.
Compte tenu des nombreux défis à la paix sur le continent et de l’importance de la diplomatie préventive, le Conseil aurait pu effectuer plus de cinq missions de terrain pour assurer une présence plus marquée dans les lieux où sont attendues de sa part des décisions importantes.
En 2024, le Conseil devrait réexaminer sa décision de 2007 sur le recours aux missions de terrain et réfléchir à la possibilité d’en faire davantage pour faire face aux transitions difficiles et dans des zones nécessitant des interventions de diplomatie préventive. En 2024, il serait peut-être plus stratégique qu’il concentre ses priorités afin d’obtenir des résultats plus concrets.
Quelle perspective pour la paix et la sécurité ?
Malgré les efforts déployés en 2023, l’insécurité s’est intensifiée dans la Corne de l’Afrique, le bassin du lac Tchad et le Sahel, avec des conséquences humanitaires désastreuses. Face à cette catastrophe, la réaction de l’UA n’a pas été à la hauteur.
Dans le sillage des coups d’État militaires successifs au Sahel, les niveaux de violence politique ont augmenté au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Le recul démocratique s’est accentué, comme en témoignent les nouveaux coups d’État militaires au Niger et au Gabon, l’adoption d’une nouvelle Constitution qui a entériné la suppression de la limitation du nombre de mandats successifs en RCA et la contestation des résultats des élections au Zimbabwe. Les auteurs de coups d’État ne cessent de retarder les échéances des transitions politiques, malgré les consultations informelles du CPS avec les pays concernés.
Le CPS n’est pas le seul responsable de ce bilan peu reluisant. En effet, des lacunes dans les architectures de paix, de sécurité et de gouvernance de l’UA, qui demeurent inadaptées pour faire face à la complexité des conflits qui sévissent sur le continent, doivent être soulignées.
Les défis auxquels le CPS a dû faire face en 2023
En 2023, l’impact du Conseil a été limité par le manque de cohérence entre les approches de l’UA et des communautés économiques régionales (CER) face aux crises, en raison notamment de divergences dans l’application du principe de « subsidiarité ». La question de savoir qui du CPS ou de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest devait mener la riposte au coup d’État au Niger en est un exemple clair. Au Soudan, le CPS a délégué la responsabilité de la gestion du conflit à l’Autorité intergouvernementale pour le développement, restant ainsi pratiquement invisible.
L’impact du CPS a été entravé par le manque de cohérence entre l’UA et les CER dans la gestion des crises
Les efforts du CPS ont également été entravés par la résistance des États membres. En amont des coups d’État au Niger (2023) et au Soudan (2021), les dirigeants — déchus depuis — avaient été informés des signes avant-coureurs, mais les avaient ignorés. Cette résistance a empêché l’adoption de mesures correctives rapides.
Le Conseil, bien qu’il ait souligné la nécessité de s’attaquer aux causes profondes et aux moteurs des conflits armés, n’a pas pleinement déployé la diplomatie préventive. Il a été mis à l’écart lorsque le président Faustin-Archange Touadéra a manipulé la Constitution de la RCA pour se maintenir au pouvoir. En 2023, le Conseil a donc continué à réagir aux conflits plutôt que de les prévenir.
Une année difficile, mais marquante
Malgré les obstacles rencontrés, les efforts du Conseil pour promouvoir la paix et la sécurité ont été remarquables à bien des égards. À la suite des coups d’État, le CPS a suspendu le Niger et le Gabon de toutes les activités de l’UA, bien qu'avec un certain retard dans le cas du Niger. En septembre, la volonté du Conseil de maintenir les acquis de ces dernières années l’a incité à approuver la demande du gouvernement somalien de suspendre le retrait de 3 000 soldats de l’ATMIS. La décision a été prise en dépit des rebuffades flagrantes des dirigeants somaliens à l’égard du Conseil dans leurs relations avec les Nations unies.
Afin d’améliorer son régime de sanctions, le Conseil a finalisé et adopté, sur le plan technique, son projet de mandat pour établir le sous-comité du CPS sur les sanctions, lors de sa retraite de novembre à Tunis. L’adoption du document par les ambassadeurs et la création subséquente du comité devraient améliorer la structure des sanctions de l’UA et leur application en cas de CAG.
Le CPS a également demandé à la Commission de l’UA de revoir l’architecture africaine de paix et de sécurité afin de l’adapter aux défis contemporains en matière de sécurité. Cet examen offre l’occasion de placer la diplomatie préventive au centre de son approche des questions de paix, de sécurité et de gouvernance. Cette révision impliquera l’évaluation des instruments existants, en particulier ceux qui sont liés à la diplomatie, à la gouvernance et à la subsidiarité.
Cela dit, les nouveaux membres du CPS qui seront élus au début de l’année 2024 hériteront d’un programme ardu. Pour s’attaquer efficacement à la dégradation des perspectives du continent dans le domaine de la paix, de la sécurité et de la gouvernance, ils devront tirer les leçons des faiblesses de l’actuel Conseil et faire preuve d’une plus grande volonté politique.