REUTERS/Siphiwe Sibeko

Une ultime bataille pour la démocratie au Mozambique

Après 25 ans de fraude électorale et de domination du FRELIMO, les manifestations de masse sont le dernier recours pour les défenseurs de la démocratie.

La crise au Mozambique devrait figurer en tête des priorités de la réunion des ministres et des chefs d'État de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) prévue du 15 au 20 novembre à Harare.

Le pays est confronté à la pire violence post-électorale de son histoire. L'opposition a organisé des manifestations qui ont été meurtrières contre ce que les observateurs nationaux ont qualifié de scrutin hautement frauduleux. Les observateurs internationaux ont également constaté des irrégularités et un manque de crédibilité dans le processus électoral.

Les manifestations ont fait des dizaines de morts et pourraient réduire la croissance économique de 2 % du produit intérieur brut.

Les allégations de fraude électorale lors des élections générales du 9 octobre ne peuvent être examinées isolément. Elles sont le résultat du modèle autoritaire du Front de libération du Mozambique (FRELIMO), au pouvoir depuis près de 50 ans. Ce régime s'est renforcé au cours de la dernière décennie sous le président Filipe Nyusi, ce qui a sapé les perspectives de construction d'un État démocratique et responsable.

L’objectif de Nyusi, devenu président et reconduit à la tête du FRELIMO en 2015, est d'accumuler du pouvoir. Candidat unique à la tête du parti lors du congrès du FRELIMO de 2022, il a été élu avec 100 % des votes exprimés par les 1 136 délégués. Roque Silva, alors secrétaire général du FRELIMO et l'un des plus grands partisans de Nyusi, a déclaré : « [C’est] un résultat dont nous sommes très fiers ; c'est la marque 100 % Nyusi ».

Cette soif de pouvoir a conduit à la fraude et à la manipulation des processus électoraux. Lors des élections municipales de 2018 — les premières après l'investiture de Nyusi — les truquages ont fait rétrograder le Mozambique de démocratie hybride à régime autoritaire dans l'indice de démocratie.

 

En dépit des protestations, la manipulation a continué lors des élections générales de 2019. Cette année-là, le FRELIMO et Nyusi ont remporté l'une des plus grandes victoires de l'histoire du Mozambique démocratique et libéral.

Réalisant que les scrutins pouvaient être manipulés sans autre conséquence que les cris de l'opposition et les critiques des observateurs électoraux, le FRELIMO a intensifié la fraude. Lors des élections locales de 2023, les maires du FRELIMO ont été déclarés vainqueurs dans 64 des 65 municipalités, ce qui a entraîné un grand soulèvement de l'opposition qui a duré plus de 40 jours.

Sous la pression, le Conseil constitutionnel — agissant en tant que Cour électorale suprême — a annulé les résultats approuvés par la Commission électorale nationale (CNE). La composition de la CNE est basée sur la représentation proportionnelle des sièges des partis au Parlement. Étant donné que le FRELIMO a le plus grand nombre de sièges, ses membres sont majoritaires dans la commission. Par conséquent, les décisions seront toujours favorables au parti.

La décision du Conseil constitutionnel a supprimé des milliers de voix attribuées au FRELIMO pour les donner aux partis d'opposition. La Résistance nationale du Mozambique (RENAMO) a donc remporté les élections dans quatre municipalités initialement « gagnées » par le FRELIMO.

Ce fut malgré tout une occasion manquée pour le pouvoir judiciaire de demander des comptes à l'administration électorale. Au lieu d’enquêter de manière transparente afin d’asseoir sa crédibilité auprès de l’opinion publique, le conseil a délibéré en secret, sans jamais expliquer comment il avait décidé de redistribuer des votes du FRELIMO en faveur de l'opposition.

Les allégations de fraude électorale sont le résultat de l’autoritarisme du FRELIMO

Le dépouillement parallèle des votes par les observateurs électoraux a montré que l'opposition l'avait emporté dans 18 municipalités, la RENAMO étant victorieuse dans des villes clés telles que Maputo, Matola et Nampula. Cependant, la justice électorale n'a pas eu l'indépendance et le pouvoir d'annuler les résultats officiels, déclarant la victoire du FRELIMO.

Après les élections de ce mois-ci, les chefs de l'opposition, conscients que le système de justice électorale n'obligerait pas l'administration électorale à rendre des comptes, ont eu recours à des manifestations de masse. La réaction brutale de la police a déclenché des actes de violence parmi les manifestants.

Les données fournies par les observateurs électoraux nationaux montrent qu'au 8 novembre au moins 20 personnes ont été tuées par la police lors des manifestations. L'association médicale du Mozambique a déclaré que les blessures constatées sur 10 personnes révélaient que la police avait tiré avec l'intention de tuer.

Les principaux responsables de l'opposition dans deux provinces bastions de la RENAMO, Zambezia et Sofala, ont expliqué à ISS Today que la violence était une conséquence directe du discrédit ou de l'effondrement des institutions démocratiques.

Les résultats des élections publiés par la CNE, le 24 octobre, ont donné au FRELIMO 195 des 250 sièges du Parlement monocaméral du Mozambique — sa plus grande victoire depuis les premières élections multipartites en 1994.

 

En 1999, les résultats des élections législatives montraient un équilibre entre le parti au pouvoir et l'opposition. Le FRELIMO y a remporté 133 sièges contre 117 pour la RENAMO. Toutefois, 25 années de fraude électorale ont réduit la représentation de l'opposition au Parlement à un peu plus de 20 %, et ce, à un moment où les difficultés économiques s'aggravent et où l'on critique l'incapacité du gouvernement à tenir ses promesses.

Albano Carige, membre du Mouvement démocratique du Mozambique et maire de Beira, la deuxième ville du pays, a déclaré à ISS Today à propos du scrutin de ce mois-ci : « Nous savons tous que les résultats ont été falsifiés.

» La CNE elle-même ne peut justifier l'écart entre les votes obtenus lors des élections présidentielles et ceux des élections législatives, mais elle a dû se dépêcher de publier les résultats afin de respecter les délais légaux. Cela a été fait au profit du FRELIMO ».

Selon Carige, l'opposition n'avait aucune chance réelle de remporter les élections, car les règles du jeu électoral au Mozambique sont inégales et inefficaces. Il a ajouté que si le Conseil constitutionnel confirmait les résultats publiés par la CNE, il y aurait un risque de violence politique généralisée, avec davantage de morts et de dégradations.

Le FRELIMO a remporté officiellement sa plus grande victoire depuis 1994

Venâncio Mondlane, candidat au second tour de l’élection présidentielle et ancien membre de la RENAMO, se cache hors du pays et continue d'appeler à des manifestations pour paralyser l'économie mozambicaine. Il vient d'annoncer d'autres manifestations jusqu'au 15 novembre, en particulier dans les zones portuaires et aux frontières.

Les corridors de développement les plus importants du Mozambique, Maputo et Beira, ont été gravement touchés cette semaine, les transporteurs ayant cessé leurs activités par crainte d'une attaque. La poursuite des manifestations ne fera qu’aggraver la situation économique du pays.

Les différents appels à la négociation sont restés sans effet. Le sommet de la SADC qui s'ouvre cette semaine pourrait soutenir la dernière bataille du processus de démocratisation au Mozambique en encourageant les organes électoraux à respecter la volonté du peuple exprimée dans les bureaux de vote.

La SADC peut également contribuer à trouver des mécanismes de résolution pacifique des conflits post-électoraux en exhortant le Mozambique à respecter les principes et les directives de la SADC en matière d'élections démocratiques.

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