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Trump s’attaque à l’impôt minimum mondial

Le retrait des États unis de l’accord de l’OCDE sur l’impôt de 15 % sur les multinationales pourrait nuire à l’Afrique.

Parmi les nombreux décrets signés par Donald Trump dès son investiture, le 20 janvier, figurait celui du retrait des États-Unis de l’accord fiscal mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cet accord impose un taux d’imposition minimum de 15 % aux multinationales qui réalisent plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, quelles que soient les juridictions où elles opèrent.

En 2021, 136 pays ont approuvé cet accord et certains ont commencé à l’appliquer dès 2024. Bien que l’administration Biden l’ait soutenu, elle ne l’avait pas encore mis en pratique.

Trump a menacé de prendre des mesures de protection contre tout pays imposant des taxes qu’il juge « extraterritoriales » ou « disproportionnées » pour les entreprises américaines. Selon Tax Justice Network, le décret de Trump exige que « les pays renoncent à leur souveraineté fiscale sous la menace d’une arme économique ».

Le réseau a déclaré que la décision de Trump entraverait les efforts de l’OCDE pour mettre un terme à la pratique répandue des entreprises multinationales de se soustraire à leurs obligations fiscales en transférant leurs bénéfices des juridictions où elles opèrent vers des territoires où les impôts sont moins élevés.

Ce transfert de bénéfices a lourdement impacté l’Afrique au fil des années. Un rapport de 2020 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement estimait que le continent perdait environ 88,6 milliards de dollars chaque année en flux financiers illicites (FFI).

L’Afrique perd 88,6 milliards de dollars par an en flux financiers illicites

Il reste toutefois difficile d’en distinguer précisément la part de l’évasion fiscale. Un rapport de 2015 du groupe d’experts de haut niveau de l’Union africaine l’évaluait à environ 50 milliards de dollars US par an en Afrique. Elle se répartirait entre les activités commerciales (65 %), les activités criminelles (30 %) et la corruption (5 %). Les activités commerciales, telles que les définit le groupe, incluent des pratiques comme la facturation erronée des échanges, notant que « les grandes entreprises multinationales en sont les principales responsables ».

Selon le décret de Trump, l’accord fiscal mondial de l’OCDE « permet non seulement une juridiction extraterritoriale sur les revenus américains, mais limite également la capacité [des États unis] à adopter des politiques fiscales qui servent les intérêts des entreprises et des travailleurs américains.

» En raison de l’accord fiscal mondial et d’autres pratiques fiscales étrangères discriminatoires, les entreprises américaines peuvent être confrontées à des régimes fiscaux internationaux de rétorsion si les États-Unis ne se conforment pas aux objectifs de la politique fiscale étrangère ».

Le décret stipule que « l’accord fiscal mondial n’a aucune force ni aucun effet aux États-Unis ». Trump a demandé à ses fonctionnaires d’envisager des mesures de protection, voire de rétorsion, contre tout pays cherchant à imposer cette réglementation aux entreprises américaines.

L’OCDE explique que l’impôt minimum mondial de 15 % vise à « garantir que les grandes multinationales paient un niveau minimum d’impôt dans chaque juridiction où elles opèrent. Cela réduirait l’incitation au transfert de bénéfices et mettrait fin à la baisse des taux d’imposition des sociétés ».

Ce mécanisme pourrait générer des recettes fiscales supplémentaires estimées entre 155 et 192 milliards de dollars par an, représentant 6,5 % à 8,1 % des recettes mondiales de l’impôt sur le revenu des sociétés.

Le système fiscal de l’OCDE pourrait s’effondrer, réduisant les recettes africaines et favorisant les FFI

Dans sa déclaration, le Tax Justice Network a affirmé que Trump « cherche à remettre en question le droit des pays à taxer les multinationales américaines et menace de prendre des contre-mesures contre ceux qui refusent de céder leur souveraineté fiscale face aux multinationales américaines opérant sur leur territoire ».

Alex Cobham, directeur général du Tax Justice Network, a ajouté : « Les États-Unis vont désormais enquêter sur les règles fiscales de tous les autres pays et menacent de sanctions toute mesure qu’ils jugent “extraterritoriale” ou affectant de manière “disproportionnée” les entreprises américaines ».

» Les législateurs républicains ont déjà signalé que la plupart des propositions actuelles ne respectaient pas ces critères, mettant ainsi en péril tous les pays membres de l’OCDE et bien d’autres ».

Le Forum africain sur l’administration fiscale (ATAF) adopte une perspective différente. Un fonctionnaire a confié à ISS Today que la taxe de l’OCDE autorisait un pays à compléter l’impôt versé sur son territoire par une multinationale jusqu’à un minimum de 15 %, mais seulement si ce pays a adopté une « règle de complément d’impôt minimum national ». Sans cette règle, le pays d’origine de la société mère peut prélever l’impôt complémentaire en vertu de la « règle d’inclusion des revenus ».

Si aucune de ces deux règles n’est adoptée, une troisième intervient : la règle des bénéfices insuffisamment taxés. Elle permet à tous les pays où la multinationale est présente de collecter suffisamment d’impôts pour compenser les 15 %. Cela peut inclure l’imposition des activités de la multinationale dans le pays de la société mère.

Selon un fonctionnaire de l’ATAF, cette règle des bénéfices insuffisamment taxés semble être celle qui préoccupe Trump. Il la considère comme une taxe extraterritoriale visant les entreprises américaines. Le fonctionnaire estime que les États-Unis ne s’inquiètent pas d’un taux de 15 % appliqué par un pays sur les bénéfices générés dans ce pays.

Le retrait des USA favoriserait une convention fiscale internationale portée par les Nations unies

Dans ce contexte, l’administration Trump ne menace pas la collecte des impôts des pays africains, par exemple. Toutefois, le retrait des États-Unis de l’impôt minimum mondial menace l’ensemble du système fiscal mondial de l’OCDE, ce qui réduirait considérablement les impôts perçus par l’Afrique et favoriserait les FFI.

Cobham a confié à ISS Today que le décret de Trump pourrait avoir l’avantage de renforcer le soutien mondial aux négociations sur une convention-cadre des Nations unies sur la coopération fiscale internationale, qui débuteront le mois prochain. Introduite par le Nigeria pour le groupe africain, cette initiative pourrait mener à un accord fiscal mondial plus inclusif et ambitieux que celui de l’OCDE.

Danny Bradlow, expert en gouvernance économique mondiale à l’université de Pretoria, estime que, si le décret de Trump affaiblit l’accord fiscal de l’OCDE, « il est important de rappeler que les États-Unis ne l’ont pas encore mis en œuvre. Ainsi, son impact direct sur des enjeux comme les FFI reste limité à court terme.

» En outre, cette évolution pourrait être positive pour les efforts des pays africains en faveur d’une convention-cadre des Nations unies sur la fiscalité, en particulier si l’action de Trump persuade d’autres pays de l’OCDE que l’accord fiscal de l’OCDE n’est pas viable ».

Cette convention de l’ONU est en fin de compte le bon instrument pour garantir un régime fiscal international équitable. Cependant, l’unilatéraliste Trump respectera-t-il davantage une décision de l’ONU que celle de l’OCDE ?

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