Soutien de la Russie en faveur d’Haftar en Libye

La prolifération de forces extérieures au conflit, aux desseins divers et opaques, complique les efforts pour la paix.

Après quelques tergiversations, Moscou soutiendrait maintenant de tout son poids le dissident libyen général Khalifa Haftar dans sa tentative de renverser le gouvernement tripolitain de Fayez el-Sarraj, soutenu par les Nations unies.

Quelque 200 combattants russes dûment entraînés et fortement armés se sont récemment engagés dans la bataille pour le contrôle de Tripoli, d’après le New York Times, qui cite des sources de renseignements américaines. La bataille fait rage depuis le 4 avril, lorsque Haftar, qui soutient le gouvernement de l’est basé à Tobrouk, a lancé une grande offensive sur la capitale. Tous ces soldats russes sont manifestement des mercenaires de la société militaire privée Wagner, qui serait contrôlée par le président Vladimir Poutine.

Haftar, qui dirige ce qu’il appelle les Forces armées arabes de Libye (LAAF), anciennement Armée nationale libyenne, reçoit également le soutien des Émirats arabes unis, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et, en partie, de la France. Quant au gouvernement d’union nationale d’El-Sarraj, son principal soutien militaire étranger est la Turquie.

Le New York Times cite des sources de renseignements américaines selon lesquelles l’injection des forces spéciales de Wagner, équipées de fusils à lunettes spéciaux et munies de centaines de drones et d’avions de chasse russes Sukhoi, pourrait faire pencher la guerre en faveur d’Haftar.

Le recours à Wagner permet à Moscou de nier dans une certaine mesure, tout en mettant à exécution sa politique étrangère

Il s’agit des mêmes marques de fabrique qui ont caractérisé les activités de Wagner en Syrie, note le journal. Il cite également des responsables des forces d’El-Sarraj qui se plaignent d’avoir été abandonnés par les États-Unis, tout comme les États-Unis ont récemment abandonné leurs alliés syriens kurdes, les laissant à la merci de leurs ennemis turcs, mais aussi des Russes et du gouvernement syrien.

Imprévisible, le gouvernement de Trump a indéniablement fait preuve d’inconstance en Libye, soutenant d’une part le gouvernement d’El-Sarraj mais exprimant d’autre part son soutien à la campagne d’Haftar contre Tripoli. En avril, les États-Unis se sont joints à la Russie pour opposer leur veto à une résolution soutenue par le Royaume-Uni qui appelait à un cessez-le-feu immédiat, peu après que Haftar eut lancé son offensive.

La stratégie précise de la Russie en Libye n’est pas transparente non plus. El-Sarraj aurait assisté au premier sommet Russie-Afrique qui s’est tenu le mois dernier à Sotchi sur la mer Noire, où il aurait rencontré des responsables russes, probablement pour se plaindre de la présence croissante de mercenaires russes dans l’armée Haftar. On ne sait ni s’il a rencontré Poutine, ni quelle a été la réaction des Russes. L’expansion récente de la présence militaire russe, si elle est avérée, suggère qu’il n’a pas obtenu la réponse souhaitée.

L’entourage d’Haftar espérait tirer profit du sommet en organisant des conférences de presse afin de médiatiser l’argument selon lequel il ne combattait que des terroristes présumés au sein des milices qui défendaient Tripoli. Kirill Semenov a écrit dans les colonnes du journal Al-Monitor que la faction d’Haftar avait prévu d’affirmer lors du sommet que des djihadistes russes avaient aussi été transférés de Syrie à Tripoli dans le but de rejoindre les forces d’El-Sarraj. Mais l’arrivée inattendue de ce dernier au sommet a au contraire éclipsé le stratagème propagandiste d’Haftar.

Imprévisible, le gouvernement de Trump a été inconstante en Libye

Semenov pense que la présence d’El-Sarraj au sommet de Sotchi était la preuve de désaccords entre différentes factions du gouvernement russe quant à la gestion de la crise libyenne, notamment s’il faut soutenir totalement Haftar ou se couvrir.

Le recours à des sociétés militaires privées est généralement controversé. L’Afrique du Sud, par exemple, les a proscrites. Mais sur le principe, Moscou ne semble pas gênée par les activités d’entreprises telle que Wagner.

Lors d’un séminaire qui s’est tenu le mois dernier à Pretoria, le nouvel ambassadeur de Russie en Afrique du Sud, Ilya Rogachev, a déclaré que « les entreprises militaires privées ne sont pas nécessairement mauvaises... Je pense que cela dépend des objectifs qui leur sont assignés ». S’il s’agissait de réprimer les musulmans chiites à Bassora, ce serait mal. Mais si elles aidaient à vaincre l’État islamique en Irak et au Levant – comme elles l’ont fait en Syrie – ce serait bien.

Il a également indiqué que Moscou exerçait effectivement un contrôle sur ces sociétés, ce qui supposait qu’elle approuvait leurs activités, comme en Libye. La Russie est également entrée en République centrafricaine et, récemment, dans le nord du Mozambique, où elle aurait utilisé Wagner comme intermédiaire. Dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, cette société aide Maputo à combattre les insurgés djihadistes, qui sont maintenant manifestement affiliés à l’État islamique.

L’arrivée inattendue d’El-Serraj à Sotchi a éclipsé le stratagème propagandiste qu’avait prévu Haftar pour le sommet

Malgré la franchise de Rogachev, le fait de recourir à Wagner semble toujours permettre à Moscou de nier la réalité dans une certaine mesure, tout en mettant à exécution ses desseins de politique étrangère. En Afrique, il peut s’agir d’opportunités commerciales dans les secteurs du pétrole, du gaz et du diamant ou encore d’ambitions géostratégiques plus larges afin de prendre pied sur le continent et de tester l’influence des États-Unis, de la Chine et d’autres pays. Le sommet de Sotchi lui-même faisait partie de cette initiative.

En Libye, outre ces objectifs généraux, Moscou vise peut-être également à obtenir un accès permanent à un port ou à une base en Afrique du Nord, gagnant ainsi en influence sur les routes maritimes à l’entrée du canal de Suez. 

La question de la présence de tant de forces étrangères, aux desseins divers et opaques, dans le conflit libyen doit être soulevée et résolue. Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, a l’intention d’inviter ces forces étrangères, ainsi que les combattants libyens, à une conférence qu’il prévoit d’organiser avec le gouvernement allemand plus tard cette année. Salamé a déclaré au New York Times que si les acteurs étrangers étaient retirés de l’équation, la population libyenne parviendrait à résoudre le conflit par elle-même.

Cela peut sembler discutable, bien que les étrangers amplifient certainement la guerre. Cette conférence semble avoir plus de chances que les tentatives de rapprochement des combattants précédentes, organisées par l’Italie et par la France. En effet, toutes deux étaient considérées comme ayant trop d’intérêts nationaux en jeu pour être des arbitres neutres, alors que l’Allemagne est plus objective.

Qu’en est-il de l’Union africaine (UA) ? Elle veut faire partie de l’initiative, mais lors d’une réunion le mois dernier entre le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA et le Conseil de sécurité des Nations Unies, ce dernier a rejeté la proposition de l’UA de nommer un envoyé spécial conjoint ONU-UA en Libye, d’après le dernier Rapport sur le CPS de l’Institut d’études de sécurité (ISS). Selon certaines sources, l’UA ne serait pas satisfaite de n’avoir obtenu qu’un statut d’observateur à la conférence proposée par l’ONU et par l’Allemagne.

On peut se demander quelle valeur ajoutée l’UA pourrait apporter si elle était plus impliquée. Cela renforcerait au moins la légitimité du processus – du moins en Afrique – comme l’affirme le Rapport sur le CPS. C’est important, étant donné le ressentiment persistant partout sur le continent quant à la mise à l’écart de l’UA des efforts internationaux consentis pour mettre fin à la guerre civile en 2011. 

À tous les égards, les enjeux des dernières initiatives de paix sont importants. « C’est potentiellement très grave pour l’Afrique », a déclaré Anton du Plessis, Directeur exécutif de l’ISS. « Si les choses tournent mal, cela pourrait aggraver l’influence déjà déstabilisatrice du conflit libyen sur la région et sur les axes migratoires vers l’Europe. »

Peter Fabricius, consultant ISS

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