Quels sont les enjeux post-électoraux au Tchad ?

Un dialogue politique est indispensable pour désamorcer les tensions, relancer le débat sociopolitique et garantir des échéances futures plus fiables.

Le 11 avril 2021, les Tchadiens se rendront aux urnes pour la sixième élection présidentielle depuis l’avènement du multipartisme en 1990. Le président Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis 31 ans, brigue un sixième mandat. La période préélectorale a été marquée par de vives tensions sociopolitiques et par l’exclusion et la défection de plusieurs caciques de l’opposition du processus électoral. Ces tensions font craindre le renforcement des clivages et des doutes quant au redémarrage du dialogue politique et social dans le pays.

L’élection met aux prises le Mouvement patriotique du salut (MPS), donné vainqueur de toutes les élections organisées depuis 1996 et doté d’une forte présence territoriale, et une opposition très fragmentée et peu représentée sur le territoire national. En effet, si plusieurs alliances se sont nouées, l'opposition n’est pas parvenue à faire front commun derrière un candidat, certaines alliances ayant volé en éclats bien avant l’élection.

Les Tchadiens de l’étranger sont par ailleurs exclus du processus électoral. La Commission nationale électorale indépendante (CENI) a acté l’irrecevabilité de leur vote pour des raisons de non-révision du fichier électoral et au vu de l’incapacité de la CENI à installer ses démembrements hors du pays.

En février 2021, de graves incidents sécuritaires sont survenus au domicile de Yaya Dillo Djerou, candidat du Parti socialiste sans frontière (PSF) et de l’alliance Front nouveau pour le changement, occasionnant la mort de deux membres de sa famille et plusieurs blessés, selon les sources officielles. Les autorités estiment que l’usage de la force était justifié pour extirper l’opposant ayant refusé d’obtempérer à une convocation de la justice pour « diffamation et injures » à l’égard de la première dame. Les opposants, la presse et l’opinion y voient plutôt une escalade politique qui aurait pu être évitée.

Les candidats encore en lice sont soit issus de partis de la mouvance présidentielle, soit des novices sans véritable assise populaire

La Cour suprême a reçu un total de 17 candidatures dont seules dix ont été retenues. Parmi les candidatures rejetées figurent celles de Masra Succès du parti Les Transformateurs et de Yaya Dillo Djerou du PSF. Après les évènements sanglants de fin février, trois candidats se sont retirés de la course, dont l’opposant principal Saleh Kebzabo de l’Union nationale pour le développement et le renouveau, arrivé deuxième à la dernière présidentielle.

Les autres candidats encore en lice contre le président sortant sont soit issus de partis de la mouvance présidentielle, soit des novices sans véritable assise populaire ni programme politique clair. Les échéances électorales à venir apparaissent donc sans véritables enjeux, le candidat du parti au pouvoir concourant avec des adversaires qui ne sont pas en mesure de le challenger.

Les opposants dont la candidature a été rejetée et ceux qui se sont volontairement retirés du processus organisent depuis plusieurs semaines des manifestations contre ce mandat supplémentaire du président Déby. Alors que le pouvoir déploie tous les moyens pour assurer le respect du calendrier électoral, les opposants sont décidés à le perturber à travers des actions de protestation.

En toile de fond, la grogne sociale se poursuit avec l’enlisement des négociations entre les syndicats et le gouvernement, ainsi que la multiplication des manifestations par les diplômés sans emploi. En outre, les discours de campagne du président sortant semblent indiquer la voie de l’escalade plutôt que celle de l’apaisement.

L’interdiction des manifestations publiques a conduit à des heurts réguliers entre manifestants et forces de l’ordre

Dans l’objectif de limiter les réactions des acteurs politiques exclus et de juguler la grogne sociale des travailleurs et de la jeunesse, les manifestations publiques ont été interdites dans le pays. Il en résulte des heurts réguliers entre manifestants et forces de l’ordre, ainsi que des arrestations. La Haute autorité des médias et de l'audiovisuel (HAMA) a également interdit les débats interactifs dans les médias sur l’ensemble du territoire pour toute la période électorale. Par ailleurs, l’accès à la communication mobile et à l’internet est régulièrement suspendu.

L’élection législative sera tenue peu après la présidentielle. Reportée à plusieurs reprises, cette élection est importante pour renouveler une législature en place depuis environ 10 ans. Le risque que les partis qui se sont volontairement retirés de la présidentielle refusent de se remettre en course pour la législative ou que les partis dont les candidats à la présidentielle ont été rejetés soient exclus du processus n’est pas à écarter.

Voilà autant de préoccupations importantes que le Tchad et ses partenaires doivent garder à l’esprit en lien avec l’avenir du dialogue politique, la cohésion nationale et le débat démocratique, qui avance laborieusement depuis 1990.

Le positionnement géostratégique actuel du Tchad et le leadership du président Déby dans la lutte contre le terrorisme dans le bassin du lac Tchad et dans le Sahel relèguent au second plan la situation sociopolitique tendue au niveau national.

Les discours de campagne du président sortant semblent indiquer la voie de l’escalade plutôt que celle de l’apaisement

Néanmoins, un apaisement des tensions aurait été idéal pour la tenue d’une élection présidentielle libre et équitable, et dont les résultats seraient acceptés par tous.

Il est donc de la responsabilité du parti au pouvoir de tendre la main aux autres acteurs politiques, notamment à ceux exclus du processus électoral ou ceux qui ont décidé de s’en retirer. Un dialogue franc est nécessaire pour relancer la machine politique et garantir des échéances législatives sereines, ouvertes et fiables. Sans cela, le Tchad se retrouvera à nouveau avec une représentation nationale déséquilibrée sans réelle prise sur la gouvernance du pays.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, ISS Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Cet article a été réalisé avec l’appui du Gouvernement des Pays-Bas et du Fonds britannique pour la résolution des conflits, la stabilité et la sécurité.

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