Faire de 2025 la « super année » de l’Afrique dans la gouvernance mondiale des océans
Il suffirait que l’Afrique s’implique dans trois initiatives pour peser sur la gouvernance mondiale des océans.
Publié le 03 février 2025 dans
ISS Today
Par
David Willima
chargé de recherche, sécurité maritime, ISS Pretoria
En 2022, la gouvernance mondiale des océans a fait un grand bond en avant. Cette « super année » a été marquée par : l’interdiction des subventions nuisibles à la pêche par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; des progrès en vue d’un accord sur le traité des Nations unies sur la haute mer ; la Seconde conférence des Nations unies sur les Océans ; l’adoption d’objectifs ambitieux en matière de conservation des océans.
Avec ses 38 États côtiers, l’Afrique pourrait jouer un rôle important dans ces avancées déterminantes pour une meilleure gouvernance mondiale des océans. Cependant, son approche manque de cohérence.
Toutefois, si les pays africains s’engageaient en faveur des trois initiatives clés suivantes, ils pourraient faire de 2025 une « super année » pour le continent. Il s’agit du traité sur la haute mer (traité sur la biodiversité des zones situées au-delà de la juridiction nationale ou BBNJ), de la réglementation sur l’exploitation minière en eaux profondes et de l’accord de l’OMC sur les subventions à la pêche.
Tout d’abord, le traité sur la haute mer pourrait avoir de nombreux avantages pour les États africains, allant du partage des ressources génétiques marines au transfert de technologies et au renforcement des capacités. Adopté en juin 2024, le traité protège la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des juridictions nationales, qui représentent plus de 60 % de la surface des océans.
À ce jour, seuls deux des 55 pays africains (les Seychelles et l’île Maurice) l’ont ratifié alors que 60 ratifications sont nécessaires d’ici septembre pour qu’il entre en vigueur.
Seules les Seychelles et l’île Maurice ont ratifié le traité sur la haute mer
L’engagement limité de l’Afrique dans ce traité crucial est alarmant ; le continent est gravement sous-représenté dans l’élaboration de l’avenir de la gouvernance en haute mer. Les pays signataires doivent accélérer les processus juridiques nationaux nécessaires à la ratification, et les non-signataires doivent prendre des mesures immédiates pour le signer et le ratifier.
Ensuite, il y a la question de la réglementation relative à l’exploitation minière en eaux profondes. Le débat sur ces règles s’intensifie, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) souhaitant les finaliser d’ici à la fin de 2025, une échéance qui ne sera probablement pas respectée.
Les partisans de la réglementation soulignent les avantages économiques qu’elle présenterait, en particulier pour les pays en développement, grâce à l’accès aux minerais essentiels à la transition vers les énergies vertes. Cependant, les scientifiques mettent en garde contre des réglementations élaborées dans la précipitation. Des études révèlent que si l’exploitation minière en eaux profondes pourrait générer des gains économiques, les risques environnementaux et la viabilité incertaine à long terme soulèvent d’importantes questions.
L’AIFM a également été critiquée. Selon des allégations, elle aurait partagé des informations de manière inappropriée avec des sociétés minières et aurait favorisé des intérêts industriels sous la direction de l’avocat britannique Michael Lodge. En parallèle, un mouvement croissant de 32 nations, lancé par Palau, Fidji et Samoa en 2022, plaide pour une pause dans l’exploitation minière en eaux profondes en l’absence de garanties environnementales et de réglementations contre des effets potentiellement néfastes.
Aucun pays africain n’a pris de position officielle sur la question, malgré l’impact qu’ils pourraient subir. En 2021, le groupe africain à l’AIFM a critiqué l’empressement à négocier. Il a cité l’existence éventuelle d’un effet négatif de la réglementation sur l’exploitation minière en eaux profondes sur les économies africaines. Celles-ci dépendent fortement de l’exploitation de minéraux de transition verts tels que le cuivre, le cobalt, le manganèse et le nickel, dont la valeur pourrait chuter de manière significative en raison de la réglementation.
Près de 50 % des navires de pêche illégale opèrent dans les eaux africaines
Les communautés côtières africaines s’inquiètent également des dommages que l’exploitation minière en eaux profondes pourrait causer aux écosystèmes marins, déjà menacés par le changement climatique, la pêche au chalut de fond et les facteurs de stress liés à la pollution.
L’élection de l’océanographe brésilienne Leticia Carvalho au poste de secrétaire général de l’AIFM en 2024 est prometteuse. Elle s’est engagée à accorder la priorité à la transparence, à la responsabilité et à la science. Sa nomination offre aux États africains la possibilité de participer plus activement à la prise de décision de l’AIFM en matière de gouvernance des grands fonds marins.
Les États africains devraient préconiser de retarder l’exploitation minière en eaux profondes jusqu’à ce que des preuves scientifiques solides garantissent la sécurité environnementale. Il s’agit d’un principe de précaution, principe primordial des traités internationaux sur l’environnement.
La troisième initiative déterminante concernant la gouvernance des océans est l’Accord 2022 de l’OMC sur les subventions aux pêcheries nuisibles. Cet accord est essentiel pour promouvoir la pêche durable et lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, mais il ne bénéficie pas d’un soutien suffisant en Afrique. Près de 50 % des navires de pêche industrielle illégale opèrent dans les eaux africaines, ce qui coûte au continent plus de 11 milliards de dollars US par an.
Alors que 87 membres de l’OMC, dont 18 nations africaines, ont ratifié l’accord, l’Afrique doit s’impliquer davantage pour atteindre la 111e ratification qui permettra son entrée en vigueur. La prochaine conférence ministérielle de l’OMC au Cameroun (en 2026) vise à finaliser les négociations sur la surcapacité et la surpêche. Les pays africains doivent donner la priorité à la ratification cette année pour s’assurer que l’accord sera présenté au Cameroun l’année prochaine.
L’Afrique doit être proactive et dans une position dominante pour façonner l’avenir de nos océans
L’Afrique doit s’appuyer sur cette dynamique mondiale et développer des partenariats régionaux de gouvernance des océans, tels que la feuille de route Afrique-Europe 2030 sur les océans. Si la ratification des accords mondiaux sur les océans est cruciale, les pays africains doivent aussi se préparer à leur mise en œuvre en développant des capacités techniques, en mobilisant des ressources et en adoptant des initiatives de partage des capacités.
Ces processus sont essentiels pour que l’Afrique puisse bénéficier pleinement de tout accord international. Deux évolutions pourraient soutenir les efforts du continent.
Tout d’abord, la conférence des Nations unies sur les océans, prévue du 9 au 13 juin à Nice (France), pourrait servir de date butoir pour faire avancer les trois initiatives. Les pays africains devraient présenter une position continentale unifiée sur les questions clés relatives aux océans, en mettant l’accent sur leurs défis spécifiques et leurs solutions innovantes.
Ils pourraient faire état d’initiatives africaines réussies, comme la Grande Muraille bleue, démontrer leur engagement en faveur d’une gestion régénératrice des océans et influencer le plan d’action de la conférence en vue d’un soutien politique et d’une mobilisation des ressources.
Deuxièmement, pendant la présidence sud-africaine du G20 en 2025, l’initiative Oceans 20 (O20) peut faire avancer les discussions sur la durabilité des océans. L’O20 est le premier groupe du G20 à reconnaître le rôle central de l’océan dans l’agenda climatique mondial.
L’Afrique du Sud devrait se faire le champion des recommandations du Brésil O20 – pour promouvoir une économie océanique durable, la transition énergétique, la sécurité alimentaire, la conservation marine et le renforcement de la gouvernance. Ces recommandations prévoient également une augmentation des financements pour exploiter les liens entre l’océan et les objectifs de développement durable des Nations unies, et pour combler le fossé entre les priorités des pays développés et celles des pays du Sud.
L’Afrique doit passer d’une participation réactive à une attitude dominante proactive pour façonner l’avenir de nos océans. L’engagement du continent dans les forums internationaux doit être cohérent et aligné sur les diverses initiatives liées aux océans.
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