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Quel gouvernement pour l’Afrique du Sud : celui de la croissance ou de la stabilité ?

Deux coalitions nationales possibles: ANC-DA-IFP ou ANC-MK, le KwaZulu-Natal étant l’agneau sacrificiel.

Les résultats des élections sud-africaines du 29 mai marquent un tournant décisif dans l’histoire politique et le développement de l’Afrique du Sud. Avec 58 % d’électeurs, le taux de participation est descendu à son plus bas niveau, reflétant par là même le mécontentement à l’égard d’une politique qui, depuis 2008, entraîne une augmentation de la pauvreté, des inégalités et du chômage.

La crise au sein du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir, a fait chuter ses soutiens de 17 points de pourcentage, passant de 57 % en 2019 à 40 %. Malgré ces résultats sans précédent, l’ANC et le président Cyril Ramaphosa ont accepté la perte de leur majorité sans menacer de prendre de mesures extraconstitutionnelles ou de recourir à la violence.

L’Afrique regorge d’élites qui tentent de s’accrocher au pouvoir par tous les moyens. La décision du plus ancien mouvement de libération du continent, à la tête de sa plus grande économie, d’accepter le résultat des élections servira de modèle aux forces démocratiques ailleurs dans le monde.

Certes, l’ANC continuera à gouverner en tant que premier parti jusqu’aux prochaines élections de 2029, mais il est à bout de forces.

La décision de l’ANC d’accepter le résultat renforcera la démocratie dans le reste du monde

Les partis d’opposition n’ont pas obtenu de bons résultats eux non plus, conservant en grande partie leur niveau habituel. L’éclatement de l’ANC détermine la politique sud-africaine depuis 30 ans. Loin de renforcer l’opposition, chaque scission s’est traduite par une baisse de la participation électorale et du soutien à l’ANC.

Cette fois, c’est l’émergence du parti uMkhonto weSizwe (MK) de l’ancien président Jacob Zuma, qui a recueilli 14 % des voix au plan national et un taux à peine croyable de 45 % des suffrages exprimés dans la province du KwaZulu-Natal (KZN). Cet exploit défie la plupart des analyses politiques traditionnelles en Afrique du Sud.

Figure 1 : Répartition des sièges au Parlement par parti, en 2019 et en 2024

Figure 1 : Répartition des sièges au Parlement par parti, en 2019 et en 2024

Source : ISS


L’émergence du MK est troublante pour deux raisons. Tout d’abord, parce qu’elle combine de manière complexe l’appartenance ethnique et la politique des puissants. Deux caractéristiques qui sont à l’origine de la montée en puissance du MK aux dépens de l’ANC. Dans le même temps, le parti de la liberté Inkatha (IFP), qui est en principe la traduction politique du nationalisme zoulou, a vu son soutien augmenter légèrement, ce qui prouve que les rhétoriques simplistes sur l’appartenance ethnique n’influencent pas nécessairement l’allégeance politique.

Les services de renseignement sud-africains réfléchiront sans doute aux implications qu’aurait sur la sécurité l’exclusion du MK des coalitions politiques. D’aucuns pourraient faire valoir que cela rendrait le KZN ingouvernable, mais c’est peut-être mal connaître son histoire récente, marquée par les émeutes et les pillages généralisés de juillet 2021 qui ont suivi l’incarcération de Zuma. Au lieu d’une contre-révolution organisée, une grande partie de cette violence était en réalité purement opportuniste, ce qui signifie que le potentiel perturbateur du MK pourrait se révéler moins important que prévu.

La réalité est que Zuma veut diriger le gouvernement provincial et consolider sa base de pouvoir dans le KZN. À terme, cette province pourrait donc être gouvernée au mépris des valeurs et des principes inscrits dans la Constitution.

Cette situation est très inquiétante, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la convergence entre la criminalité, le népotisme et la politique est bien établie dans la province, en particulier dans le secteur des taxis, mais aussi dans la gestion du territoire qui fait partie de l’Ingonyama Trust. Cette entreprise contrôle environ 30 % du territoire du KZN.

Après une lutte acharnée au sein de la famille royale zouloue, Ramaphosa a fini par couronner Misuzulu kaZwelithini roi des Zoulous l’année dernière, mais la Haute Cour de Pretoria a invalidé cette décision pour vice de procédure. La Cour a demandé une enquête sur les objections du demi-frère du roi, le prince Simakade Zulu, qui affirme être l’héritier légitime. Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

Vu l’ampleur des compromis nécessaires, les résultats risquent de mécontenter partis et électeurs

Deuxièmement, il y a également convergence entre la politique tribale et une faction politique qui a pillé l’État, qui est à ce jour encore accusée de corruption et dont l’intention est de se soustraire à la justice. Incontestablement, les partisans de Zuma ont l’intention d’étouffer les enquêtes judiciaires de l’Autorité nationale chargée des poursuites (NPA), à la suite de la commission d’enquête Zondo sur la captation de l’État.

En prévision des résultats de l’élection, Ramaphosa a légiféré sur la création d’une Direction d’enquête contre la corruption au sein de l’ANC. Celle-ci peut mener des investigations dans des affaires de corruption, y compris de captation de l’État, qui devront désormais faire face à un environnement hostile au Parlement, avec 71 députés de l’ANC en moins et 58 nouveaux députés du MK.

Les décisions qui seront prises au cours des deux prochaines semaines détermineront l’avenir économique et le développement du pays pour plusieurs années. Après quoi, le Parlement devra élire un nouveau président, probablement Ramaphosa selon l’ANC. Il s’agira d’un jeu de pouvoir, de désinformation, de menaces et d’argent. Compte tenu de l’ampleur des compromis nécessaires, les résultats devraient laisser tous les partis – et probablement les électeurs – insatisfaits.

Figure 2 : Répartition des sièges au Parlement en 2024 selon différents schémas de coalitions

Figure 2 : Répartition des sièges au Parlement en 2024 selon différents schémas de coalitions

Source : ISS


Nous dirigeons-nous vers une coalition nationale entre l’ANC et, par exemple, l’Alliance démocratique (DA) ou le MK qui s’appliquera également à l’échelle provinciale ? Ou verrons-nous des coalitions différentes aux niveaux national et provincial, en particulier dans le Gauteng et le KZN ? Ou encore une sorte de gouvernement d’union nationale incluant tous les partis ?

Les arbitrages sont brutaux. Techniquement, l’ANC pourrait gouverner dans les provinces rurales du Cap-Nord (avec le soutien d’un parti marginal), du Nord-Ouest, de l’État libre, du Cap-Oriental, du Limpopo et du Mpumalanga. Les principaux défis se situent dans le KZN et le Gauteng, qui, avec le Cap-Occidental, représentent le cœur économique et démographique de l’Afrique du Sud.

Un accord national entre l’ANC et le MK garantirait la stabilité politique, mais une faible croissance économique. Dans ce scénario, les personnes accusées de captation de l’État bénéficieraient de l’impunité par des moyens indirects tels que des contraintes de financement, le refus de procéder à des enquêtes, etc. La confiance dans l’économie et les investissements directs étrangers diminuerait probablement et les conséquences pour l’État de droit seraient désastreuses.

Un accord national entre l’ANC et la DA permettrait de gouverner confortablement la province de Gauteng, de donner confiance aux investisseurs et, à terme, d’assurer une croissance plus soutenue. Cependant, il comporte une menace d’instabilité, en particulier dans la province de KZN. Dans le cadre de cet accord, l’Autorité nationale des poursuites cherchera les responsables de la captation de l’État.

En fonction de l’opinion de chacun sur le potentiel de violence du MK, une coalition ANC-DA pourrait soit permettre au MK de diriger le KZN, probablement avec l’EFF et un groupement de petits partis, soit former une alliance avec l’IFP, entre autres. Un partenariat ANC-DA-IFP dans le KZN leur donnerait 48,4 % des sièges, soit un peu plus que les 47,6 % qu’obtiendrait une coalition MK-EFF. Dans les deux cas, les partenaires de l’alliance ne pourraient gouverner qu’avec le soutien des petits partis, ce qui rendrait le KZN instable, quel que soit l’arrangement retenu, à moins qu’un gouvernement d’union nationale n’émerge.

Les défis clés sont le KwaZulu-Natal et le Gauteng, poumons économiques du pays avec le Cap-Occidental

Adopter l’une des deux coalitions nationales, ANC-DA-IFP ou ANC-MK, équivaut à choisir entre la croissance économique et la stabilité, entre le long terme et la nécessité de l’apaisement à court terme, le KZN étant l’agneau sacrificiel.

Si l’option d’un gouvernement d’union nationale est prise au sérieux, il en résultera probablement une troisième configuration de « coalition nationale » comprenant l’ANC, la DA, le MK, l’EFF, l’IFP et peut-être même l’Alliance patriotique. Le Gauteng serait effectivement dirigé par une coalition menée par la DA, alors que le KZN aurait à sa tête une coalition menée par le MK.

Quelques vaches sacrées seront sans doute sacrifiées dans les prochains jours et de nouveaux accords pourront sembler combler les différences apparemment irréconciliables entre l’ANC, le MK, la DA et l’EFF. Ils pourraient également déboucher sur des coalitions différentes des options décrites ci-dessus au jugé.

Il est crucial de restaurer la confiance dans la négociation et dans la gestion par les gouvernements de coalition, en particulier dans un paysage politique et de circulation d’informations par internet tendu. La confiance doit se construire autour de la réalisation de la promesse sud-africaine de l’après-1994 d’une démocratie constitutionnelle engagée dans la lutte contre les inégalités et pour la promotion de la responsabilité et de l’état de droit.

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