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Quand les athlètes africaines seront-elles assez féminines ?

Les Jeux olympiques de Paris ont rappelé que le sport est l’ultime chapitre des idéaux eurocentrés qui affectent cruellement les Africaines.

Les Jeux olympiques de Paris ont été les premiers à atteindre la parité hommes-femmes, mais c’est la qualification des athlètes en tant qu’homme ou femme qui a occupé le devant de la scène. Tous les cas connus de femmes athlètes disqualifiées concernaient des femmes du Sud global, la plupart d’entre elles venant d’Afrique. Les athlètes s’en sont souvent pris aux règlements, qualifiés de racistes et de dénigrants. Les experts les ont quant à eux qualifiés d’injustes, de non scientifiques, de nuisibles, de contraires à l’éthique médicale et d’être empreints de préjugés raciaux.

De nombreuses femmes africaines ont connu la gloire à Paris. L’Algérienne Kaylia Nemour est devenue la première gymnaste du continent à remporter l’or, et la Sud-africaine Tatjana Smith a gagné l’or et l’argent en brasse. Sur la piste, l’Ougandaise Peruth Chemutai a remporté le 3000 mètres steeple, et la Kényane Beatrice Chebet le 5000 mètres et le 10 000 mètres. Faith Kipyegon est devenue la première participante à remporter trois médailles d’or consécutives sur le 1500 mètres.

Mais aucune n’a autant fait les gros titres que l’Algérienne Imane Khelif, qui a remporté l’or en boxe dans la catégorie des 66 kg. Son adversaire du premier tour, l’Italienne Angela Carini, s’est retirée après 46 secondes en déclarant : « Je n’ai jamais été frappée aussi fort de ma vie ».

Tous les cas connus de femmes athlètes déclarées inéligibles concernaient des femmes du Sud

Ce combat a déclenché un torrent de désinformation et de discours haineux à l’encontre de Khelif, bien malgré elle devenue le centre d’une guerre culturelle agitant principalement l’Europe et l’Amérique du Nord. Cette guerre portait en priorité sur la participation des transgenres aux Jeux, malgré le fait que Khelif est née, a grandi et a toujours concouru en tant que femme.

Figure 1 : Nombre d'épreuves féminines et masculines aux JO, 1900-2004
 
 
Figure 2 : Nombre de médailles par pays pour les athlètes féminines, Paris 2024
 

 

Sources : Women in the Olympic Movement (olympics.com) et BY-GOLD-Paris-2024-medal-table-8.pdf (womeninsport.org)

D’autres médaillées africaines ont été disqualifiées par le passé. La Namibienne Christine Mboma a remporté l’argent au 200 mètres à Tokyo avant que World Athletics (ancienne Association internationale des fédérations d’athlétisme, l’IAAF) ne juge son taux de testostérone naturelle trop élevé. Elle s’est retirée de la compétition pendant 20 mois pour subir un traitement, sans toutefois réussir à se qualifier pour Paris. L’ensemble du podium africain du 800 mètres des Jeux de 2016 – la Sud-africaine Caster Semenya, la Burundaise Francine Niyonsaba et la Kenyane Margaret Wambui – a été disqualifié avant Tokyo en raison d’un taux de testostérone naturellement élevé.

L’hystérie autour du sexe des athlètes féminines n’est pas nouvelle dans le monde du sport. Le Comité international olympique (CIO) – composé uniquement d’hommes jusqu’en 1981 – a toujours fait une fixation fondée sur trois craintes : que les hommes se fassent passer pour des femmes pour gagner ; que le sport puisse masculiniser les femmes, voire les transformer en hommes ; et que d’emblée les femmes athlètes en compétition ne soient pas de vraies femmes.

De nos jours, cette hystérie cible surtout les femmes africaines qui s’illustrent dans des épreuves athlétiques historiquement dominées par les Européennes. À cela s’ajoutent les débats sur la participation des transgenres, souvent confondus avec le débat actuel, bien qu’ils n’aient rien à voir.

En 2009, Semenya, alors âgée de 18 ans, est devenue championne du monde, suscitant des spéculations sur son corps partout dans le monde. L’IAAF a effectué un test de vérification du sexe, dont les détails n’ont jamais été divulgués. Semenya a alors appris qu’elle présentait un « développement sexuel différencié », terme qui désigne diverses affections congénitales ou génétiques caractérisées par une anomalie chromosomique, anatomique ou gonadique susceptible d’entraîner un taux élevé de testostérone. Au moins une personne sur 50 naît avec ce type d’affection, mais beaucoup restent dans l’ignorance de cette condition.

On s’est servi de mythes sur les maladies, l’intelligence, le danger et la physiologie pour imposer la supériorité

Les coureuses Beatrice Masilingi (Namibie), Aminatou Seyni (Niger), Annet Negesa (Ouganda) et Maximila Imali (Nigeria) ont également été bannies de la fédération et se sont exprimées publiquement sur la manière dont les limites imposées aux femmes en termes de testostérone ont anéanti leur carrière et leurs moyens de subsistance.

En 2011, l’IAAF a introduit des règles relatives à l’hyperandrogénie qui fixent une limite du taux de testostérone, laquelle a encore été abaissée depuis lors. World Athletics a mené une campagne effrénée contre Semenya et d’autres athlètes qui ont passé des années à plaider contre la modification de leur corps devant les tribunaux européens. En 2023, Semenya a gagné son procès pour discrimination contre la Suisse devant la Cour européenne des droits de l’homme, mais elle et beaucoup d’autres femmes restent privées de licence.

Semenya a remporté deux médailles olympiques en 2012 et 2016, la première sous l’effet de suppresseurs de testostérone qu’elle a décrit plus tard comme un véritable « enfer ». Elle a d’abord remporté l’argent à Londres en 2012, jusqu’à ce que la Russe Mariya Savinova soit privée de sa médaille d’or pour dopage.

World Athletics affirme que ses règles visent à favoriser l’équité et l’intégrité des compétitrices et non l’inclusion.

Les prochains Jeux devraient cesser de vouloir contrôler le corps des Africaines sous prétexte de fair-play

L’impérialisme européen a depuis longtemps recours au vernis de la légitimité scientifique pour perpétuer des vues racistes et misogynes. Il se sert de mythes sur la maladie, l’intelligence, le danger et la physiologie pour imposer sa supériorité. Les craintes des femmes blanches sont souvent privilégiées par rapport aux griefs légitimes des femmes noires et utilisées de manière déshumanisante à l’encontre de ces dernières.

Le médecin du XIXe siècle Samuel George Morton s’est fondé sur de supposées différences anatomiques pour classer les êtres humains : les Caucasiens avaient les plus gros cerveaux et les espèces « africanus » étaient quant à elles « paresseuses, sournoises, léthargiques et négligentes ». Le gynécologue américain James Marion Sims a fait des expériences sur des femmes noires pour faire progresser les techniques chirurgicales – sans analgésiques, car il pensait que les femmes noires ne ressentaient pas la douleur.

En 1810, Saartjie Baartman, une femme sud-africaine, a été emmenée en Europe depuis son pays natal pour exposer aux foules ses fesses et ses organes génitaux. Après sa mort en 1815, à l’âge de 26 ans, son corps a été exposé dans un musée pour prouver l’infériorité des Africains. Il a été restitué à l’Afrique du Sud en 2002.

Les femmes ont été admises à concourir aux Jeux olympiques dès 1900, mais elles étaient limitées aux sports considérés comme délicats, tels que le tennis et le golf. En 1928, elles sont autorisées à courir des distances allant jusqu’à 800 mètres. Les commentateurs d’alors sont consternés par le tribut payé par les compétitrices, estimant qu’il s’agit là d’un « effort trop important pour la force féminine ». Lors de ces Jeux, certains avaient exprimé des doutes quant au sexe de la médaillée d’argent japonaise Hitomi Kinue. Les femmes se sont alors vu interdire la course du 800 mètres jusqu’en 1960. La boxe féminine n’a été ajoutée qu’en 2012.

En 1936, Avery Brundage, alors président du Comité olympique américain, s’inquiétait de l’apparence des femmes athlètes et réclamait des règles pour « réserver les jeux de compétition aux filles féminines normales et non aux monstruosités ». Dans les années 1960, les athlètes soviétiques à l’apparence masculine ont amplifié les craintes concernant les imposteurs masculins et inauguré une ère de tests sexuels obligatoires humiliants, ou « défilés nus ». Ce n’est qu’en 1999 que le CIO a supprimé ces tests sexuels obligatoires, après des décennies de pression de la part des médecins et des athlètes.

Les hommes qui prétendent vouloir protéger certaines femmes de la surenchère devraient plutôt se concentrer sur la plus grande menace qui pèse sur la sécurité des femmes, à savoir les hommes. Une femme sur trois dans le monde a subi des violences physiques ou sexuelles, principalement de la part d’hommes. Les Pays-Bas ont autorisé Steven van de Velde, condamné pour viol d’enfant, à participer aux compétitions de volley-ball de plage des Jeux olympiques de Paris.

Les instances dirigeantes du sport, les médias et le public devraient rejeter les appels à juger le corps des femmes africaines en fonction des perceptions eurocentrées de la féminité. Et les futurs Jeux qui veulent célébrer la parité hommes-femmes devraient cesser de s’attacher à contrôler le corps des Africaines sous prétexte de fair-play.

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