Pourquoi l’Afrique doit s’industrialiser

L’Afrique doit opérer un transfert du travail vers des secteurs plus productifs afin d’améliorer les moyens de subsistance.

L’extrême pauvreté, qui constitue la caractéristique la plus répandue et la plus destructrice du sous-développement, est omniprésente et tenace en Afrique. Pour améliorer les moyens de subsistance, le travail doit rapidement être transféré vers des secteurs plus productifs, en particulier vers l’industrie. C’est seulement alors – étant donné sa population importante et en rapide augmentation – que le continent pourra connaître une croissance assez soutenue pour réduire efficacement la pauvreté.

Un récent rapport de l’Institut d’études de sécurité examine et modélise les bénéfices potentiels de la quatrième révolution industrielle en Afrique d’ici 2040. Ce rapport montre que, entre 1994 et 2008 (lorsque la récession mondiale l’a frappée), l’Afrique a connu sa période de croissance la plus rapide depuis les indépendances dans les années 1960 : en moyenne 4,6 % par an.

Bien que le revenu moyen par habitant ait augmenté de plus d’un tiers au cours de cette période, le taux de pauvreté de l’Afrique n’a baissé que d’environ cinq points de pourcentage, et ce, partiellement en raison des niveaux élevés d’inégalités sur le continent.

En Afrique, l’industrie est six fois plus productive que l’agricultureEn 1994, les niveaux de revenus moyens en Afrique s’élevaient à 36 % de la moyenne mondiale (3 487 dollars US contre 9 795 dollars – en dollars constants de 2017). En 2017, cette proportion n’était que de 31 %. La situation de l’Afrique s’améliore donc, mais plus lentement que la moyenne mondiale.

La tendance historique décrite dans le graphique ci-dessous comprend des prévisions pour 2020 et 2030. Celle-ci est calculée en utilisant le système de prévision International Futures, développé à l’université de Denver. Celui-ci prévoit que l’Afrique connaîtra, en moyenne, une croissance annuelle de 4,8 % de 2018 à 2030, contre une croissance mondiale de 3,2 %.

L’Afrique ayant des taux de croissance démographique bien plus élevés que la moyenne mondiale, l’écart entre les niveaux de revenus moyens en Afrique et dans le monde continue de se creuser, bien que plus lentement qu’auparavant.


L’impact du sursaut de croissance en Afrique entre 1994 et 2008 est évident : en 2010, les niveaux de revenus moyens de l’Afrique ont connu une amélioration qui leur a permis d’atteindre 34 % de la moyenne mondiale (contre 33 % en 2000) avant de reprendre leur trajectoire décroissante.

Que faire pour contrer ces  prévisions accablantes ?

La croissance des deux décennies qui ont précédé 2010 résultait largement des volumes élevés des exportations nécessaires pour répondre à la demande suscitée par le boom des secteurs de l’industrie et de la construction en Asie. Plus généralement, l’Afrique a connu une croissance à la suite du supercycle des matières premières qui a débuté en 1996, a culminé en 2011 et est à la baisse depuis lors. En fait, l’Afrique est de plus en plus dépendante du commerce de ses matières premières.

Le dernier rapport sur l’état de dépendance envers les matières premières de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement indique que 46 pays africains sur 55 dépendent dorénavant de l’exportation de leurs matières premières. Alors que, partout ailleurs, la dépendance envers les matières premières est largement stationnaire, elle est en augmentation en Afrique.

Selon les prévisions, l’avenir du développement de l’Afrique dépendra en grande partie du prochain supercycle des matières premières. Si l’on considère que la durée des cycles précédents constitue une indication, le prochain cycle devrait débuter autour de 2028. Cette fois, ce sera l’économie indienne, en croissance régulière, qui sera à l’origine de la demande en ressources auprès de l’Afrique, comme la Chine auparavant.

La croissance industrielle entraîne l’augmentation des salaires et de la productivité dans le secteur agricoleCependant, la dépendance envers les matières premières s’accompagne de risques – notamment celui de la vulnérabilité aux variations extrêmes des prix au niveau mondial, qui se fait le plus ressentir dans le prix du pétrole. Les matières premières constituent un tremplin, mais seulement si les pays en utilisent les revenus pour la transformation structurelle de leurs économies – en transférant les capitaux, le travail et les technologies des secteurs à faible productivité vers ceux à forte productivité.

L’expérience asiatique montre que l’industrie est le secteur le plus productif. En Asie, la transformation structurelle génératrice de croissance d’une agriculture de subsistance à faible rendement à une industrie à forte productivité a entraîné une croissance rapide des revenus. Il en a également résulté, à des niveaux sans précédent, une réduction de la pauvreté et une amélioration des moyens de subsistance. La rapidité de la transformation de son secteur agricole a aussi permis à l’Asie de réduire la pauvreté.

L’Afrique subsaharienne n’a pas suivi cette trajectoire. Les changements structurels ont commencé, mais il reste encore beaucoup à faire. En Afrique, le changement se fait habituellement d’une agriculture à faible rendement vers des emplois légèrement plus productifs dans le secteur des services, consistant le plus souvent dans le commerce de gros et de détail dans le secteur informel.

Pour que l’Afrique s’industrialise, des politiques volontaristes et une action nationale déterminée sont nécessaires

Une étude de l’Institut mondial de recherche sur l’économie du développement de l’université des Nations unies confirme que l’industrie en Afrique est six fois plus productive que l’agriculture. L’étude indique également que l’industrie impulse des améliorations plus rapides de la productivité économique en général. Les services bas de gamme tels que la vente au détail et le commerce n’étaient, en 2010, que deux fois plus productifs que l’agriculture, impliquant ainsi que la croissance des services en Afrique n’a pas ou peu contribué à la croissance du revenu global par habitant.

La transformation structurelle de l’Afrique, pour passer d’une agriculture à très faible productivité à des services urbains de vente au détail à faible productivité, a eu un effet de « réduction de la croissance » et n’a pas amélioré la productivité. En effet, la part des travailleurs employés dans des secteurs à forte productivité tels que l’industrie diminue, venant compenser la croissance de productivité positive du secteur. Par conséquent, la croissance globale du produit par travailleur baisse.

Des organisations aussi diverses que la Banque mondiale, l’Union africaine et la Banque africaine de développement ont longtemps défendu l’idée qu’il est particulièrement important de libérer le potentiel agricole africain pour résoudre les problèmes de pauvreté, d’une insécurité alimentaire élevée, de la faim et de la dénutrition. Cependant, au-delà de l’agriculture de base, de subsistance, c’est l’industrialisation qui détermine l’expansion et l’efficacité de l’agriculture, ainsi que le développement de services à forte valeur ajoutée.

Grâce à la diffusion des connaissances issues de l’industrie, l’investissement dans des machines et des systèmes agricoles plus productifs devient finalement rentable. Ainsi, la croissance de l’industrie augmente les salaires et la productivité dans le secteur agricole.

Mais l’industrialisation ne se fera pas seule. Il faudra mettre en place, dans chaque pays, des politiques volontaristes et des actions nationales ciblées pour que cela fonctionne. C’est seulement alors que l’Afrique pourra égaler l’expérience asiatique de réduction de la pauvreté.

Jakkie Cilliers, Chef, Futurs africains et Innovations, ISS Pretoria

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