Lutte contre le terrorisme au Mali : Nécessité d’un virage stratégique
Le Mali doit adapter d'urgence sa réponse antiterroriste pour faire face à la propagation de la menace.
Publié le 04 December 2015 dans
ISS Today
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Le 20 novembre dernier, Bamako, la capitale malienne, a été une fois de plus le théâtre d’un attentat revendiqué à la fois par Al-Mourabitoune et par la Katiba Macina plus connue sous le nom de Front de libération du Macina (FLM). Tandis que le premier affirme l’avoir fait en association avec Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI), le plus ancien des groupes terroristes au Mali, le second prétend avoir agi avec Ansar Dine d’Iyad Ag Ghali. L’attaque a visé l’hôtel Radisson considéré comme l’un des plus sécurisés de la ville et fréquenté en majorité par une clientèle étrangère. Le bilan de cet attentat s’élève à 22 morts dont les deux assaillants du commando, abattus par les forces spéciales maliennes appuyées par les forces étrangères.
Loin d’être un fait isolé, cet attentat tout comme celui du 7 mars 2015 visant un restaurant situé en plein cœur de Bamako, s’inscrit dans une série d’attaques qui illustre bien la propagation de la menace terroriste du nord vers le sud. La crainte qu’une telle action se reproduise à Bamako est donc réelle au regard de la volonté expansionniste des groupes terroristes et de la faiblesse des réponses apportées au niveau national.
Les groupes terroristes ont évolué dans leur stratégie et leurs modes d'action
Deux groupes sont au cœur de cette stratégie d’expansion de la terreur : Al Mourabitoune – alliance entre le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest et les Signataires par le sang de Mokhtar Belmokhtar– et le FLM de Hamadoun Kouffa. La plupart des combattants de ces mouvements proviennent des rangs du MUJAO ou d’AQMI et constituent une illustration supplémentaire d’une collusion entre les groupes terroristes présents au Mali.
L’intervention militaire des forces internationales dans le Nord du pays, en janvier 2013, avait affaibli de façon significative les groupes armés terroristes, ce qui a induit un changement de stratégie de la part de ces mouvements. L’émergence de nouveaux fronts dans d’autres parties du pays et le recours à des modes d’action non conventionnels traduisent cette évolution. La prise d’otage à Sévaré, le 7 août dernier dans la région de Mopti, revendiquée par le FLM et qui s’était soldée par la mort de 13 personnes est symptomatique de ce changement de mode opératoire.
Les attaques perpétrées dans le centre et le sud du Mali illustrent également la capacité de ces groupes à opérer au delà de leur repère traditionnel. Avec la création du FLM, Iyad Ag Ghali, dont la proximité avec Kouffa est établie, semble disposer d’un relais important et d’une continuité à la fois territoriale et ethnique.
La multiplication des attaques contre les forces internationales au nord comme au sud montre que celles-ci demeurent, pour l’instant, la principale cible des groupes terroristes. De ce point de vue, la capacité de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) à répondre à la menace est fortement interrogée.
La solution à la menace terroriste ne peut être uniquement militaire
La MINUSMA dont l’une des tâches essentielles du mandat reste la protection des populations civiles n’a pas vocation à faire de la lutte anti-terroriste. Dès lors, la question se pose de savoir comment elle compte remplir cette mission si elle éprouve des difficultés à se protéger elle-même et de défendre les victimes collatérales que sont les populations.
L’onde de choc ainsi que l’émoi suscités sur le plan national et international par l’attentat du 20 novembre ont conduit les autorités maliennes à adopter une posture martiale. L’état d’urgence décrétée sur toute l’étendue du territoire, pour une période de 10 jours, et une augmentation des patrouilles sur toutes les grandes artères de Bamako constituent les mesures les plus visibles du renforcement du dispositif sécuritaire.
Cette réaction énergique en partie destinée à rassurer les populations ne suffira pourtant pas pour venir à bout de ces groupes terroristes. Il faudrait, en plus de ces mesures, une véritable réflexion sur les principaux moteurs de l’extrémisme violent au Mali ainsi qu’une prise en compte des insuffisances de l’architecture sécuritaire malienne. Le caractère asymétrique de la menace exige des réponses plus sophistiquées car de leur côté, les groupes terroristes, ont évolué dans leur stratégie et leurs modes d'action.
Les réponses à la menace que pose ces groupes doivent donc intégrer deux dimensions importantes. D’une part, il est clair que la solution à cette menace ne peut être uniquement militaire. Toutefois, à court terme l’État doit poursuivre le renforcement des Forces armées maliennes (FAMA) en mettant un accent particulier sur le renseignement.
Le Mali doit poursuivre le renforcement des FAMA en mettant un accent particulier sur le renseignement
Il faut envisager des actions fortes, mais surtout coordonnées, s’inscrivant dans un cadre institutionnel cohérent. Par ailleurs, le redéploiement progressif des FAMA dans le Nord doit être accompagné d’investissements pour l’accès des populations aux services sociaux de base afin de rétablir le lien de confiance entre l’administration et les administrés.
D’autre part, aucune victoire ne saurait être possible sans inscrire cette lutte dans la durée. Cela devra sans doute se traduire par une mobilisation multiforme et plus importante des autorités face au danger que représente l’extrémisme violent. Outre la sensibilisation dans laquelle les autorités religieuses devront jouer un rôle primordial, une lutte contre les trafics, alimentant en partie les groupes terroristes, pourrait s’avérer utile.
Il faut rappeler que la menace terroriste n’a pas de tout temps été la priorité des autorités maliennes. D’abord considéré comme un épiphénomène, ensuite comme une menace secondaire face au danger séparatiste, les groupes terroristes constituent désormaisla menace la plus sérieuse à la stabilité du Mali.
L’absence de mesures préventives adéquates tant sur le plan politique que militaire a laissé le champ libre à des groupes autrefois marginaux de s’implanter et de se renforcer au fil du temps. Il faut tirer les leçons des erreurs passées en adoptant une approche proactive privilégiant l’anticipation à la réaction. Une approche volontariste consistant à apporter des réponses immédiates notamment sur le plan sécuritaire et à offrir des perspectives à une jeunesse désœuvrée, y compris à celle qui a pu s’égarer pour des raisons existentielles, est une étape dans la bonne direction.
Ibrahim Maïga, Chercheur Junior, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS Dakar