Les travailleurs humanitaires dans la ligne de mire des belligérants
À Gaza et dans plusieurs pays africains, les travailleurs humanitaires locaux font les frais de cette dérive due à une protection insuffisante.
Publié le 12 novembre 2024 dans
ISS Today
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L'année dernière a été l’année la plus meurtrière pour les travailleurs humanitaires, avec 280 décès. En 2024, ce chiffre devrait être dépassé. Si de nombreux travailleurs humanitaires étrangers sont morts dans l'exercice de leurs fonctions, la grande majorité des victimes (95 % en 2023) concerne le personnel local. Pourtant, les décès du personnel étranger, très médiatisés, sont fermement condamnés par la communauté internationale.
Le ciblage des travailleurs humanitaires est une réalité à Gaza. Le Parlement israélien a récemment voté l'interdiction pour l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) d'opérer sur son territoire. Cette interdiction a pour effet de bloquer l'aide humanitaire à Gaza et la délivrance de permis de travail au personnel étranger de l'UNRWA.
L'UNRWA est le principal fournisseur d'aide humanitaire en Palestine et certains considèrent son interdiction comme une extension de la guerre menée par Israël contre les Nations unies et ses opérations de maintien de la paix. Depuis octobre 2023, plus de 300 travailleurs humanitaires sont décédés en Palestine alors qu'ils étaient à l'abri chez eux, dans des tentes, au travail ou dans des convois d'aide.
Cette situation est très préoccupante, car le droit international humanitaire oblige les parties à un conflit armé à protéger les travailleurs humanitaires et à leur permettre d'effectuer leur travail sans entrave.
Avant la guerre de Gaza, le conflit au Sud-Soudan avait décimé un nombre record d’humanitaires
En Afrique, les défaillances en matière de protection sont à l'origine d'une augmentation des attaques ciblées contre les travailleurs humanitaires. Pendant la majeure partie de la dernière décennie, les travailleurs humanitaires étaient les plus touchés par les conflits armés au Soudan et au Sud-Soudan. Avant la guerre actuelle à Gaza, le Sud-Soudan détenait le record de décès des travailleurs humanitaires dans un conflit, soit plus de 150 entre 2011 et 2023.
Parmi eux, 94 % étaient des ressortissants sud-soudanais, souvent pris pour cible lors de « meurtres par vengeance » et d'autres violences intercommunautaires alors qu'ils transportaient de la nourriture et des fournitures en dehors de la capitale, Juba. Bien que l'accord de paix conclu en 2018 ait permis de réduire la violence, les travailleurs humanitaires locaux sont toujours exposés aux attaques des groupes armés.
Dans l'est de la RDC, les affrontements entre les rebelles du M23 et l'armée congolaise exacerbent une situation déjà précaire. En 2022, la frustration croissante à l'égard des organisations d'aide et des forces étrangères de maintien de la paix a alimenté des manifestations anti-ONU qui ont fait 15 morts dans une base de l'ONU au Nord-Kivu. En 2024, de nouveaux appels à l'expulsion immédiate des casques bleus aggravent l'insécurité pour le personnel local.
L'augmentation des conflits et des attaques contre les travailleurs humanitaires a entravé l'acheminement de l'aide. Les organisations suspendent leurs opérations et retirent leur personnel au détriment des populations vulnérables.
Au Burkina Faso, l'escalade de la violence a contraint des organisations comme Médecins sans frontières à suspendre leurs opérations dans certaines régions, privant ainsi plus de deux millions de personnes de soins de santé essentiels. Des transports coûteux par hélicoptère ou des escortes militaires sont nécessaires pour acheminer l'aide, ce qui expose les travailleurs locaux dépourvus de ces ressources à des risques accrus.
Au Sud-Soudan, 34 travailleurs humanitaires ont trouvé la mort l'année dernière dans des attaques de vengeance ciblées et des embuscades dans des régions violentes comme Jonglei. Au Soudan, 25 travailleurs humanitaires ont été tués depuis avril 2023 dans les affrontements entre les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide.
Ces décès soulignent les limites du cadre juridique existant pour la protection des travailleurs humanitaires. Ils révèlent également des inégalités systémiques dans les opérations d'aide qui favorisent les travailleurs humanitaires étrangers au détriment du personnel local.
Le personnel local, indispensable dans des opérations d'aide humanitaire, ne bénéficie pas du même niveau de protection que le personnel étranger. Les travailleurs locaux disposent de mesures de sécurité et de protection insuffisantes et sont pourtant très souvent pris pour cibles dans les zones reculées.
Ce déséquilibre fait écho à un double standard plus large dans le devoir de diligence accordé aux travailleurs humanitaires. En temps de crise, le personnel étranger et les casques bleus ont la priorité sur les locaux en ce qui concerne leur sécurité, les évacuations d'urgence et les soins post-incidents. Cette situation est aggravée par le fait que la protection des travailleurs humanitaires internationaux est confiée à des groupes locaux dépourvus des fonds nécessaires pour assurer leur sécurité, comme requis pour les travailleurs étrangers.
Que révèlent ces tendances sur l'écosystème humanitaire et comment les organisations humanitaires et les autres acteurs de la sécurité doivent-ils s'adapter pour protéger les travailleurs humanitaires lors de la fourniture d'une aide vitale ?
Les préoccupations relatives à la sécurité et à l'accès ont conduit à l’élaboration de méthodes d'acheminement de l'aide à distance et d'autres méthodes alternatives. La nature aveugle de la violence à Gaza, a poussé les fournisseurs d'aide à privilégier les largages aériens plutôt que les livraisons terrestres.
Le personnel local fait les frais d’une protection insuffisante et dispose de peu de ressources de sécurité
Le blocage de l'aide lors de la guerre au Soudan au début de l'année a nécessité la coordination de l'aide en provenance du Tchad. Les organisations humanitaires ont organisé des livraisons terrestres à travers la frontière, permettant aux zones isolées par le conflit de recevoir des fournitures essentielles.
L'apparente neutralité des travailleurs humanitaires et des soldats de la paix en temps de guerre ne garantit plus leur sécurité. Alors que le rôle des Nations unies et d'autres organisations d'aide dans la fourniture de secours était autrefois respecté par les parties au conflit, ces entités sont désormais considérées comme des cibles légitimes ou des prolongements des puissances étrangères et occupantes.
Cette évolution, marquée par des attaques très médiatisées comme l'attentat à la bombe contre les Nations unies à Bagdad en 2003, reflète une érosion de la confiance, l'aide s'étant trouvée mêlée à des programmes politiques et militaires.
Les organisations d'aide doivent s'adapter à la dynamique changeante des conflits modernes. Les instruments juridiques existants n'ont pas permis d'endiguer les attaques contre leurs travailleurs, et leurs protections juridiques ne sont pas suffisamment appliquées.
Les acteurs mondiaux doivent réévaluer la manière dont les ressources en matière de sécurité sont allouées afin de garantir la protection complète de tous les travailleurs humanitaires, locaux et étrangers. Des mesures concrètes sont également nécessaires pour renverser la perception selon laquelle les travailleurs humanitaires sont des cibles légitimes ou des prolongements des factions belligérantes.
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