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Les pays africains ne devraient pas envisager l’accueil de Palestiniens déplacés de force

Si Israël envisage effectivement cette option, les États africains ne peuvent en ignorer les implications juridiques, humanitaires et politiques.

Début janvier, plusieurs médias ont affirmé qu’Israël était en pourparlers avec le « Congo » au sujet de « plans de migration volontaire » pour les Palestiniens de Gaza. Selon l’article d’origine, publié dans le Zman Yisrael, la réinstallation « volontaire » devenait peu à peu une politique officielle et la coalition israélienne au pouvoir menait des échanges secrets avec le Congo et d’autres pays pour évoquer cette question. Une source du cabinet de sécurité a déclaré : « Le Congo sera disposé à accueillir des migrants et nous sommes en pourparlers avec d’autres pays ».

Le média i24, basé en Israël, a ensuite fait état de pourparlers avec le Rwanda et le Tchad. L’article a cité un responsable anonyme qui a déclaré qu’Israël apporterait de l’aide financière et militaire en échange de l’accueil de Palestiniens sur leur territoire, mais non sans mise en garde : « nous devons poursuivre cette voie tout en restant attentifs aux réactions de la communauté internationale, qui pourrait l’interpréter comme un déplacement forcé et non comme une migration volontaire. C’est pourquoi nous travaillons en étroite collaboration avec des conseillers juridiques. »

La République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda et le Tchad ont démenti avoir tenu des discussions secrètes avec Israël. La République du Congo n’a quant à elle pas fait de déclaration publique.

Israël a par la suite nié avoir discuté avec d’autres États de la possibilité, pour eux, d’accueillir des déplacés de Gaza. Plusieurs pays, notamment les Pays-Bas, l’Allemagne, la France et l’Arabie saoudite, ont condamné ces appels à la migration forcée. Même le gouvernement des États-Unis, allié fidèle d’Israël, a publié, chose rare, une déclaration fustigeant les « sorties irresponsables » des ministres israéliens, affirmant qu’elles ne reflétaient pas la politique du gouvernement ni celle du Premier ministre israélien.

Le transfert forcé de civils d’un territoire occupé est contraire au droit international humanitaire

Le transfert forcé de civils depuis un territoire occupé, en tout ou en partie, est contraire au droit international humanitaire. Le 6 janvier, on comptait 1,88 million de Palestiniens (soit 85 % de la population) déplacés dans la bande de Gaza en raison de l’agression militaire israélienne qui a tué 22 835 Palestiniens depuis le 7 octobre 2023.

Les projets visant à réinstaller un grand nombre de Palestiniens dans des pays lointains répondant au critère de « volontarité » dans le contexte d’une occupation militaire et après des mois de bombardements sont aussi irréalistes qu’improbables. Mais il est préoccupant qu’Israël poursuive ces conversations dans le but de cerner l’opinion publique et la réaction des politiques. De nombreux responsables issus de différents partis ont ainsi évoqué l’idée afin de la faire passer dans l’opinion générale.

Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a rejeté la condamnation des États-Unis, déclarant : « les États-Unis sont notre meilleur allié, mais notre priorité, c’est de faire ce qui est le mieux pour l’État d’Israël : la migration de centaines de milliers de Gazaouis permettra aux habitants de la bande [de Gaza] de rentrer chez eux et de vivre en sécurité, et cela protégera les soldats de Tsahal ».

Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a réitéré les appels à la réinstallation des habitants de Gaza, affirmant que « plus de 70 % du public israélien est aujourd’hui favorable à l’émigration comme solution humanitaire ».

Les déplacements de masse sont au cœur de l’histoire israélo-palestinienne

Cette opinion est d’ailleurs loin d’être marginale ; des membres du Likoud, le parti au pouvoir, ont lancé des appels similaires. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou aurait déclaré lors d’une réunion du Likoud qu’il s’attelait à faciliter la migration volontaire des Gazaouis vers d’autres pays, mais qu’il avait du mal à trouver des États disposés à les accueillir. Le ministre de l’Agriculture, Avi Dichter, a pour sa part déclaré : « Nous sommes en train d’organiser la Nakba de Gaza », en référence au nettoyage ethnique des Palestiniens entre 1947 et 1949, qui a entraîné le déplacement d’environ 750 000 personnes.

La ministre du Renseignement, Gila Gamliel, a déclaré à des journalistes que « la migration volontaire est le programme le meilleur et le plus réaliste à mettre en place dès la fin des combats ». En novembre 2023, Danny Danon (Likoud) et Ram Ben-Barak (Yesh Atid) ont publié conjointement un article du Wall Street Journal appelant l’Occident à accueillir les réfugiés gazaouis.

Les efforts soutenus visant à réinstaller les habitants de Gaza vers le sud, en direction de la frontière égyptienne, et des fuites de documents laissent entendre qu’Israël tente à nouveau de déplacer les habitants de Gaza vers la péninsule égyptienne du Sinaï. Des articles affirment qu’Israël a proposé d’annuler la dette égyptienne et que M. Netanyahou a fait pression sur les dirigeants européens pour qu’ils l’aident à faire en sorte que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi absorbe les réfugiés.

L’Égypte et d’autres pays arabes ont résisté aux pressions exercées pour ouvrir leurs frontières, en partie parce qu’ils craignaient qu’Israël n’utilise la guerre pour provoquer des changements démographiques et éliminer toute perspective de création d’un État palestinien. Bien qu’il souhaite maintenir des relations diplomatiques avec Israël, M. al-Sissi a déclaré que la guerre ne visait pas seulement à combattre le Hamas, mais qu’elle était aussi « une tentative de pousser les habitants civils à.… migrer vers l’Égypte » dans le but « d’éliminer la cause palestinienne..., la cause la plus importante de notre région ».

Les déplacements de masse sont un thème central de l’histoire israélo-palestinienne. Israël a refusé le retour des Palestiniens qui avaient fui les guerres précédentes. Près de six millions de réfugiés et leurs descendants vivent toujours dans d’autres pays, et nombre d’entre eux sont apatrides.

Des responsables israéliens, tous partis confondus, ont diffusé l’idée dans l’opinion

Les Égyptiens, comme la plupart des Africains, sont largement solidaires de la cause palestinienne. Toute décision considérée comme un renforcement de l’occupation israélienne se heurterait à la réaction de l’opinion publique et du monde politique. L’Égypte craint également que les terroristes ne se déplacent parmi les civils de Gaza et que le pays ne devienne une base pour lancer des attaques contre Israël.

Israël a déjà par le passé secrètement mis en œuvre un plan d’expulsion pour les migrants africains. Entre 2014 et 2017, Israël avait négocié un partenariat avec le Rwanda et l’Ouganda afin que ces derniers accueillent les demandeurs d’asile qui acceptaient un transfert « volontaire ». Le Rwanda et l’Ouganda avaient nié ces faits. Mais des reportages montrent que des milliers d’Africains se sont vu promettre des documents de voyage, de l’argent et des visas s’ils acceptaient de quitter Israël pour des « pays tiers ». Le plan avait finalement été abandonné après que les demandeurs d’asile s’étaient vu refuser leurs papiers, avaient été empêchés de demander l’asile et contraints de quitter Israël.

Compte tenu des implications humanitaires et politiques, les discussions entre États sur les déplacements de masse resteront probablement.

Des pays démocratiques et des blocs régionaux tels que l’Italie ou l’Union européenne ont déjà obtenu une coopération en matière d’immigration dans des circonstances douteuses. Citons à titre d’exemple la cooptation des milices libyennes et le partenariat avec le président tunisien Kaïs Saïed en échange de la « gestion » des départs de bateaux vers l’Europe. Ces deux accords prévoyaient des transferts d’argent à des dirigeants controversés et ont porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit.

Des inquiétudes surgiraient également si les accords comprenaient une aide militaire. Israël est le dixième exportateur d’armes au monde. Il n’a pas ratifié le traité sur le commerce des armes et est accusé de fournir des armes et des services de surveillance à des régimes peu soucieux du respect des droits de l’homme, notamment lors du génocide rwandais, de la guerre civile au Soudan du Sud et de l’apartheid en Afrique du Sud.

Par ailleurs, la demande actuelle d’armes ou d’injections de capitaux pourrait être élevée dans certains pays. En 2022, le Rwanda a accepté d’accueillir des demandeurs d’asile en provenance du Royaume-Uni, un accord largement critiqué qui a ensuite été bloqué par la Cour suprême britannique.

Il faut espérer que la tentative de déplacement forcé des Palestiniens vers l’Afrique a suscité de vives réactions et a été annulée. Nous devons rester vigilants face à tout ce qui pourrait mener à penser le contraire.

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