Les nouvelles institutions financières africaines risquent d’être des simulacres
Le projet de l’UA d’une nouvelle architecture financière ambitieuse peut-il se concrétiser ?
Face à ce qu’elle considère comme une inadéquation des organismes financiers mondiaux aux besoins de transformation et de développement de l’Afrique, l’Union africaine (UA) a décidé de mettre en place ses propres institutions financières.
Un groupe de présidents africains et de dirigeants financiers a annoncé, lors du récent sommet de l’UA, la création d’une banque centrale africaine, d’un fonds monétaire africain, d’une banque africaine d’investissement et d’une bourse panafricaine, dans le cadre d’une union monétaire africaine.
Selon l’UA, ces nouvelles institutions devraient améliorer l’accès de l’Afrique aux capitaux, la gestion impartiale de la dette et l’évaluation équitable des crédits et des risques. Elles renforceront l’architecture financière du continent et sa position face aux organismes financiers mondiaux. Les priorités de réformes mondiales concernent notamment l’architecture de la dette, les financements concessionnels, la redistribution des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (FMI), le renforcement du pouvoir décisionnel, ainsi que l’industrialisation et la croissance vertes de l’Afrique.
Lors de la cérémonie de lancement, le président ghanéen Nana Akufo-Addo a souligné que l’augmentation de la puissance de ses institutions financières permettrait à l’Afrique de financer son propre développement. De même, le président zambien Hakainde Hichilema a plaidé pour une réforme urgente du système financier mondial, soulignant les injustices dans l’évaluation du risque pour les pays africains : « Nous attendons des institutions africaines qu’elles nous aident en évaluant correctement [nos actifs] ».
L’efficacité de nouvelles institutions financières africaines parallèles reste incertaine
Ce n’est probablement pas une coïncidence si le Ghana et la Zambie ont récemment fait défaut sur une partie de leur dette. Le commissaire au développement économique de l’UA, Albert Muchanga, a déclaré que 23 pays africains étaient en situation de détresse financière, dont trois en défaut de paiement, soulignant l’importance de mobiliser rapidement les ressources nationales pour réduire la dépendance aux capitaux étrangers.
Le Dr Hanan Morsy, secrétaire exécutive adjointe et économiste en chef de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, a plaidé pour une augmentation des financements concessionnels via une capitalisation accrue des banques multilatérales de développement et d’une plus grande prise de risque de leur part.
La création de ces nouvelles institutions africaines soulève des questions déconcertantes quant à leur pertinence et au moment choisi. La pression de la COVID-19 et de la crise de la dette semble avoir été un moteur majeur, de même que l’adhésion de l’UA au G20 cette année, mettant en lumière les enjeux financiers mondiaux au cœur de l’ordre du jour du G20.
Il ne fait aucun doute que le diagnostic sous-jacent qui montre que l’architecture financière mondiale actuelle n’est pas aussi représentative qu’elle devrait l’être est fondé. Et que l’Afrique devrait avoir plus de voix à la Banque mondiale et au FMI, en particulier pour garantir plus de financement.
Au cours des trois dernières années, 93 % des décisions de l’UA n’ont pas été appliquées
Pourtant, il n’est pas évident de comprendre en quoi la création d’organismes africains parallèles pourrait remédier à ces problèmes. « Il semble qu’il y ait un défaut fondamental dans la motivation qui sous-tend la création de ces institutions », déclare Andrews Atta-Asamoah, responsable de la Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique à l’Institut d’études de sécurité.
» Les pressions en faveur de leur création semblent confondre les questions d’équité financière mondiale avec celle de la nécessité pour l’Afrique de contrôler ces institutions, ce qui pose un problème majeur. Cependant, cette motivation semble insuffisante pour soutenir l’engagement des États membres, actuellement accaparés par de nombreux besoins urgents ».
Par ailleurs, l’UA éprouve déjà des difficultés à mettre en œuvre ses nombreuses décisions. Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a clairement exprimé lors du sommet de cette année que le phénomène récurrent de la non application des décisions prises devenait une vraie menace à la crédibilité collective de l’organisation. Ainsi, au cours des trois dernières années (2021 à 2023), 93 % des décisions n’avaient pas été exécutées.
La création d’organismes économiques, par exemple, ne s’est pas concrétisée. En décembre 2023, l’UA a reconnu que les instruments juridiques établissant la Banque africaine d’investissement et le Fonds monétaire africain (adoptés en 2009 et 2014) n’étaient pas entrés en vigueur faute de ratification par un nombre suffisant de pays. L’UA a également déclaré : « Le financement de la mise en place [de ces institutions] est insuffisant, ce qui est particulièrement préjudiciable à la mise en opération du Fonds monétaire africain, première étape vers la création de la Banque centrale africaine ».
L’Afrique devrait plutôt se concentrer sur la réforme des institutions mondiales
Il est manifeste que la question est axée sur l’argent, et l’argument est fallacieux. L’Afrique réclame une nouvelle architecture financière africaine en raison du manque de ressources financières pour son développement. Seulement, elle n’a pas les fonds nécessaires pour la créer.
Akufo-Addo l’a reconnu et a déclaré qu’il proposerait au sommet de l’UA que tous les États membres investissent au moins 30 % de leurs réserves de change dans les institutions financières africaines. Mais il est peu probable que les États membres le fassent tant que ces institutions n’auront pas prouvé leur crédibilité et leur légitimité.
Les efforts de l’Afrique devraient plutôt se concentrer sur la réforme des institutions mondiales, où les ressources financières sont disponibles. Cependant, en fin de compte, le véritable élan pour capitaliser de manière adéquate le développement de l’Afrique doit venir de chaque pays, notamment par une plus grande mobilisation de leurs ressources nationales — en particulier une collecte d’impôts plus efficace, comme l’a suggéré Muchanga.
Un autre analyste économique ayant requis l’anonymat a déclaré à ISS Today : « Je pense que c’est un vœu pieux. Le problème réside non pas dans la possession ou le contrôle des institutions, mais dans les structures de gouvernance nationales qui doivent créer des risques d’investissement et de financement ».
Il doute également de la capacité de l’UA à mener cette initiative. « De plus, c’est une attitude condescendante de supposer que les banques africaines agiraient différemment des prêteurs occidentaux, simplement en raison de leur origine. Ces institutions sont avisées et prennent des décisions basées sur des critères d’investissement objectifs ».
Il est donc essentiel d’aborder les problèmes financiers de l’Afrique à la base. L’approche descendante de l’UA, qui consiste à ériger une toute nouvelle architecture financière parallèle, risque de créer des « villages Potemkine » d’institutions grandioses mais fictives, qui resteront à jamais sur le papier.
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