Les investissements européens peuvent-ils relancer l’économie du bassin du lac Tchad ?

Sur les conseils de l’Afrique, la stratégie européenne controversée « Global Gateway » peut venir compléter des projets de développement.

Le 6 février, L’Union européenne (UE) finalisera la liste des projets prioritaires de l’initiative « Global Gateway » (« Portail mondial ») de 2023. Dévoilé en décembre 2021, le plan vise à mobiliser des investissements qui permettront de créer des connexions durables dans le monde entier. La moitié de l’objectif total de 300 milliards d’euros est destinée à des projets d’infrastructures matérielles et virtuelles en Afrique entre 2021 et 2027.

Le Global Gateway est l’une des dernières frontières dans la lutte géopolitique à laquelle s’adonnent les grandes puissances pour accroître leur influence en Afrique. Il est considéré comme une réponse directe à l’initiative chinoise les « nouvelles routes de la soie », un programme de financement des infrastructures qui aurait permis d’améliorer l’image de la Chine en Afrique. Il est également comparable au plan américain « Build Back Better World » destiné à financer des projets d’infrastructures.

Les responsables de l’UE mettent en avant que leur approche diffère de celle de la Chine en ce qu’elle fait appel à des investissements du secteur privé et non à des prêts garantis par l’État. Les projets du Global Gateway devront toutefois être conformes aux « valeurs démocratiques européennes et aux normes et standards internationaux », ce qui soulève des questions quant à la capacité à appliquer ces valeurs à des partenaires extérieurs.

D’aucuns affirment également que les objectifs de financement du Global Gateway ne sont pas assez ambitieux. Par comparaison avec son objectif total de 300 milliards d’euros d’investissements entre 2021 et 2027, les nouvelles routes de la soie auraient mobilisé environ 1 000 milliards de dollars US entre 2017 et 2027. En outre, il faut noter que le Global Gateway ne disposera pas pour l’essentiel « d’argent frais », mais que ses fonds relèveront simplement de la coordination des engagements existants des États membres dans le cadre de l’approche « Team Europe ».

Le plan Global Gateway est l’une des dernières frontières dans la lutte géopolitique pour l’influence en Afrique

En créant le plan Global Gateway, l’UE cherche à s’unir aux États-Unis afin de présenter une réponse occidentale commune forte face à la montée de l’influence chinoise dans le monde. L’enjeu migratoire, de plus en plus controversé entre les États membres de l’UE, pourrait également être un facteur. Les positions divergentes quant au traitement des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile provoquent déjà de profondes dissensions internes.

Les dirigeants africains pourraient toutefois y apporter leur pierre afin que le plan profite à leurs populations et débouche sur des partenariats entre l’Afrique et l’Europe ancrés dans un principe d’égalité. La reprise économique dans le bassin du lac Tchad figure parmi les nombreux projets qui pourraient se révéler bénéfiques. La région est ravagée par les actes de violence de Boko Haram qui y sévit depuis plus de dix ans, et la stratégie Global Gateway pourrait contribuer à résoudre les causes sous-jacentes de la crise.

Depuis 2018, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) est à la tête des efforts de redressement grâce à sa Stratégie régionale pour la stabilisation, le redressement et la résilience des zones affectées par Boko Haram. La CBLT et les autres acteurs de la reconstruction de la région peuvent stimuler la paix et le développement en identifiant et en promouvant des projets d’investissement dans le cadre du Global Gateway.  

L’UE soutient déjà le redressement du bassin du lac Tchad en finançant des organisations humanitaires et de développement. C’est un partenaire solide de la stratégie régionale qui a engagé 5 millions d’euros dans la Facilité pour la stabilisation régionale entre 2019 et 2022. Les progrès se traduisent par la construction et la reconstruction d’infrastructures telles que des routes, des marchés, des écoles, des hôpitaux et des bureaux. Des centres de formation ont également été créés.

Les dirigeants africains pourraient influencer le plan afin d’établir des partenariats Afrique-Europe égaux

Le redressement socioéconomique et le développement durable sont deux points essentiels de la stratégie de stabilisation. Axé sur le financement de l’aide humanitaire et de l’aide au développement, le soutien de l’UE reste limité dans sa capacité à promouvoir la croissance économique. En effet, sélectionner et gérer des projets d’aide n’est pas comparable à l’impact que peut avoir la création d’entreprises commerciales, et il est difficile de relever les défis économiques à long terme sans créer de dépendance.

Les projets d’investissement du secteur privé sont essentiels au développement durable. Lorsqu’ils sont bien gérés, ils sont mieux adaptés à la création d’emplois, à l’augmentation des moyens de subsistance et à la conduite d’un véritable changement structurel. Cela signifie que les projets relevant du Global Gateway dans le bassin du lac Tchad peuvent venir compléter les initiatives de développement existantes.

Attirer des investissements dans des régions en proie à des conflits prolongés est une tâche ardue, mais le Global Gateway espère inciter le secteur privé européen à investir dans des zones perçues comme à haut risque. Le plan met également l’accent sur la sécurité : la combinaison de ces aspects est tout à fait pertinente dans le cas du bassin du lac Tchad. L’existence d’éléments communs entre changement climatique et sécurité régionale fait que les projets locaux sont parfaitement adaptés à cette nouvelle stratégie, la priorité étant donnée aux projets visant à renforcer la résilience climatique.

La part croissante des jeunes dans la population du bassin du lac Tchad bénéficierait également d’initiatives en matière de connexion numérique, car elles favoriseraient le micro-entreprenariat par le biais de l’économie à la tâche (gig economy), en pleine expansion dans des pays comme le Nigeria. Les projets axés sur le renforcement de la production agricole et des chaînes d’approvisionnement contribueraient pour leur part à relancer l’agroéconomie du bassin du lac Tchad et à soutenir la sécurité alimentaire.

Les projets du Global Gateway dans le bassin du lac Tchad peuvent compléter des projets de développement en cours

L’UE doit impérativement donner la priorité à l’implication de ses partenaires extérieurs afin de garantir la sélection de projets mutuellement bénéfiques. La Banque européenne d’investissement devrait collaborer plus étroitement encore avec ses homologues, telles que la Banque africaine de développement, dans le choix et la mise en œuvre des interventions.

Les dirigeants africains doivent relever le défi et se montrer proactifs. Les agences de promotion des investissements dans le bassin du lac Tchad et les acteurs du Global Gateway pourraient organiser une série de réunions afin de répertorier les opportunités qui profiteraient à la fois aux communautés et aux investisseurs.

Teniola T Tayo, consultante, ISS

Image : Kenzo Tribouillard/AFP

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