l'Union africaine

Les États pivots seraient-ils un avantage pour le Conseil de paix et de sécurité de l'Afrique ?

Les élections au CPS ont souligné l’impact de la composition du Conseil sur l'inclusion et l'équité ou la capacité et l'influence régionales.

Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'Union africaine (UA) est calqué sur le modèle du Conseil de sécurité des Nations Unies, chacun étant composé de 15 États membres.

Contrairement au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui compte cinq membres permanents disposant d'un droit de veto, la composition régionale tournante du CPS favoriserait une prise de décision plus équitable.

Dans la pratique, plusieurs pays ont siégé sans interruption au CPS, donnant l'impression qu'ils étaient de facto des membres permanents. Le Nigeria siège au Conseil depuis sa création en 2004, tandis que le Cameroun, Djibouti, l'Égypte et l'Ouganda ont effectué chacun cinq mandats.  Le modèle de représentation régionale permet aux pays de conserver leur siège tant que leur région y consent.

L'appartenance à long terme au Conseil assure la continuité, mais présente des défis.  Étant donné que certains États veulent siéger au Conseil en continue, il convient d'évaluer les avantages d'un CPS dans lequel les « États pivots » régionaux exercent des mandats de longue durée.

L'article 5 du protocole relatif au CPS stipule que les 55 États membres de l'UA ont des « droits égaux » à siéger au Conseil, et l'article 5(1) promeut l'inclusion et l'égalité.  Paradoxalement, l'article 5(2) énonce des critères de qualification pour les membres basés sur leur capacité, établissant de ce fait des conditions d'exclusion.

Durant les deux dernières décennies, le CPS semble avoir privilégié la représentation égale et la rotation des membres plutôt que la capacité des pays.

Les pays qui ont siégé sans interruption au CPS sont perçus comme des membres permanents de facto

Le résultat des élections au CPS du 12 février 2025 a relancé le débat sur la continuité de l'adhésion. Les sources de l'Institut d'études de sécurité confirment qu'en raison de sa candidature tardive, la République centrafricaine a perdu le siège de trois ans de la région au profit du Cameroun, seul candidat pour l'Afrique centrale. Cette décision a prolongé l'adhésion du Cameroun, devenu semblable au Nigeria, qui représente l'Afrique de l'Ouest au CPS depuis 20 ans.

La question des États régionaux dominants a également été soulevée concernant l'Afrique australe. En dépit d'un accord permanent selon lequel toutes les régions soumettent un candidat sur la base de la rotation alphabétique, l'Eswatini et l'Afrique du Sud ont manifesté leur intérêt auprès du secrétariat du CPS et du bureau du conseiller juridique pour le poste de trois ans, même si l'Afrique du Sud a récemment achevé son mandat au Conseil.

Bien que l'Eswatini ait reçu l'autorisation, l'Afrique du Sud a néanmoins évoqué la possibilité de siéger avec des homologues régionaux, remettant en question la nécessité de réexaminer l'égalité des droits à la représentation.

La candidature de l'Afrique du Sud à ce siège de trois ans reflète sa contribution à la paix et à la sécurité au niveau régional et continental. Le pays a été l'un des principaux contributeurs en matière de troupes et de fonds à la mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe en République démocratique du Congo (SAMIDRC) et à la mission de la SADC au Mozambique. Sa contribution à la SAMIDRC avoisine 2 900 militaires pour un coût de 2,4 milliards de rands en 2024.

L'impact de ce rôle sur le pays n'est pas seulement financier. La détérioration de la sécurité dans l'est de la RDC en début d'année a entrainé la mort de 14 soldats sud-africains et conduit à des appels au retrait des troupes. Le ministre des relations internationales, Ronald Lamola, a rétorqué que l'Afrique du Sud jouait un rôle important pour la paix et la stabilité économique sur le continent.

Les engagements de l'Afrique du Sud suggèrent qu'elle est un hégémon régional capable d'assumer les responsabilités du CPS. Malgré son statut, le pays a respecté la procédure régionale et a cédé la place à l'Eswatini.

La prédominance d'États pivots régionaux pourrait opposer les intérêts nationaux et la stabilité régionale

Le Cameroun a présenté des arguments tout aussi convaincants pour conserver son siège au CPS jusqu'en 2028. La contribution du pays à la Force multinationale mixte (FMM) dans le bassin du lac Tchad a été constante depuis la réactivation de la force en 2014.

Alors que le Niger a suspendu sa participation à la FMM et que le Tchad menace de se retirer, la détermination du Nigeria et du Cameroun à lutter contre Boko Haram confirme leur engagement envers la paix. La décision du CPS en janvier 2025 de renouveler le mandat de la FMM pour une année supplémentaire suggère que le Cameroun peut influencer la prise de décision et la mise en œuvre.

Si les États pivots régionaux apportent stabilité et continuité au CPS, leur domination suscite des inquiétudes, notamment un conflit potentiel entre les intérêts nationaux et la stabilité régionale.

Le Nigeria et le Cameroun sont fortement impliqués dans les opérations de sécurité régionale, notamment contre Boko Haram. Ces efforts contribuent à la paix mais s'alignent également sur les priorités nationales des deux pays, ce qui peut biaiser les décisions du CPS. Les États pivots régionaux pourraient également préconiser des politiques axées sur leurs besoins immédiats plutôt que ceux du continent.

Une autre préoccupation est l'influence disproportionnée des États ayant un long mandat sur l'ordre du jour du Conseil. Cela peut conduire les États pivots à détourner le Conseil pour la résolution de leurs crises internes.

Malgré les conflits au Cameroun, le CPS n’a pas vraiment discuté du pays depuis 2008, sauf en matière de migrations transfrontalières. De même, le Nigéria a été confronté à des défis de sécurité intérieure, y compris des violations des droits de l'homme lors des manifestations #EndSARS en 2020. Cependant, les discussions du CPS portaient sur la FMM plutôt que sur la gouvernance du Nigeria.

Il faut déterminer si les pays ont la capacité de contribuer à la paix et à la sécurité de l'Afrique

L'adhésion prolongée d'États pivots régionaux pourrait également créer des tensions inter-étatiques. Les pays les moins influents peuvent se sentir exclus du processus décisionnel, mettant en péril la cohésion régionale. La tentative de l'Afrique du Sud de prolonger son mandat a déclenché des controverses sur la question de savoir si l'Afrique australe devrait suivre la rotation alphabétique ou favoriser la capacité des États membres dans les efforts de maintien de la paix.

Alors que le débat sur le maintien de la présence de certains États au CPS prend de l'ampleur, il convient de s’interroger sur la capacité des pays à contribuer à la paix en Afrique.

Au moment où l'UA s'apprête à revoir son architecture africaine de paix et de sécurité, une évaluation du CPS, et surtout de l'engagement et de la capacité des États membres à mener des opérations de maintien de la paix, devrait être prioritaire. Cela permettra de s'assurer que le CPS reste représentatif et efficace dans l'accomplissement de son mandat.

Cet article a été publié pour la première fois dans le rapport sur le CPS de l'ISS.

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