Les déboires du Parlement panafricain reflètent une crise de leadership
Le Parlement ne peut être sauvé que si les députés représentent réellement les citoyens africains et si l'UA confère davantage de pouvoir à cet organe.
Les scènes chaotiques qui se sont déroulées au Parlement panafricain (PAP) à Johannesburg la semaine début juin ont suscité de vives réactions à travers tout le continent. Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a demandé la suspension des travaux du PAP jusqu’à ce que soient réglées les questions relatives à l’élection d’un nouveau président et d’un nouveau bureau du PAP. Ces incidents ont rendu visible une institution qui, à l’exception de scandales de corruption récurrents, avait vécu jusqu’alors dans l’ombre.
D’aucuns s’interrogent quant à l’intérêt de maintenir en place le PAP. Cet organe coûte à l’UA environ 15 millions de dollars américains par an et des sommes considérables sont versées aux États membres dont les délégués assistent aux séances deux fois par an. Le pays hôte, l’Afrique du Sud, prend à sa charge le lieu de la séance semestrielle du PAP, au centre de convention Gallagher Estate.
Entre cris et bousculades, les parlementaires n’ont pas réussi à s’entendre sur le principe de la rotation régionale dans l’élection du bureau du PAP. Des accusations ont dressé anglophones et francophones (si de telles appellations peuvent s’entendre sur un continent plurilingue) les uns contre les autres, renvoyant ainsi l’unité africaine à un faux concept.
Le comportement des parlementaires du PAP témoigne de la crise de leadership et de gouvernance que traverse l’Afrique. Le débat quant à l’utilité de cette institution et à l’opportunité de la maintenir en place expose également des lignes de fracture qui précèdent la formation de l’Organisation de l’unité africaine. Certains sont favorables à une approche progressive en ce qui concerne la création d’institutions africaines efficaces, d’autres souhaitent davantage d’étapes pour parvenir à l’unité africaine.
Le PAP est la seule institution où les partis politiques d’opposition ont leur mot à dire dans l’Union africaine
Lors de son lancement en 2004, le PAP a été salué comme le phare de la démocratie et du panafricanisme. Il s’agit de la seule institution de l’UA où les partis politiques d’opposition des États membres ont leur mot à dire. En tant qu’organe continental le plus proche des citoyens, le PAP avait initialement pour mission d’assurer le contrôle des activités de l’UA et de veiller à la mise en œuvre de ses décisions.
Le Parlement devait également servir de forum pour discuter des problèmes à l’échelle du continent. Par exemple, en mai 2021, le groupe d’Afrique australe du PAP a soulevé la question de l’insurrection dans la province de Cabo Delgado, au Mozambique. C’était le premier débat d’une institution de l’UA sur cette crise.
Conformément à ses statuts, chacun des 55 États membres de l’UA doit déléguer cinq députés, dont au moins une femme. Il s’agit là d’une décision progressiste prise par les pères fondateurs de l’UA sur un continent où l’égalité des sexes était loin d’être acquise, et ne l’est toujours pas, dans une grande partie de l’Afrique.
Les bonnes intentions des architectes du PAP ont été sabotées par ceux qui y siègent
Cependant, le PAP souffre depuis d’un manque de légitimité aux yeux des citoyens et de la Commission de l’UA à Addis-Abeba. D’une part, les gouvernements africains (qui forment la Conférence de l’UA, l’organe qui dirige la Commission de l’UA) sont peu enclins à accorder au PAP des pouvoirs législatifs. Cela dénote une situation qui prévaut dans de nombreux pays où les parlements jouent rarement leur rôle de contrôleur et de législateur et sont au contraire considérés comme une nuisance.
D’autre part, le PAP ne bénéficie pas du soutien des citoyens, car les députés sont souvent élus à la suite d’élections frauduleuses. Ils sont nommés au PAP par les parlements nationaux mais ne sont pas directement élus, contrairement aux membres du Parlement européen.
En 2014, la Conférence de l’UA a adopté le Protocole de Malabo, qui devait enfin donner au PAP certains pouvoirs législatifs. Cependant, seuls 12 États sur un minimum de 28 ont ratifié le Protocole, l’empêchant ainsi d’entrer en vigueur. Même si le Protocole entrait en vigueur, la Conférence aurait le pouvoir de déterminer les domaines de compétence du PAP.
À bien des égards, les bonnes intentions des architectes du PAP ont été sabotées par ceux qui y siègent, comme en témoignent les événements malheureux de la semaine du début du mois. Les députés en sont venus aux mains parce que, depuis sa création, la présidence du PAP a été occupée par des candidats d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Est, des régions bénéficiant d’une supériorité numérique. Les députés d’Afrique australe ont accusé l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale francophones de s’unir en raison de leurs « racines néocolonialistes ».
Résoudre la crise de légitimité du PAP passe nécessairement par l’amélioration des institutions démocratiques nationales
Cela signifie qu’il faudrait remplacer le système de vote unique par État membre par un système de rotation régionale pour la présidence du PAP, une pratique courante dans la plupart des institutions de l’UA. Le Conseil exécutif de l’UA avait par ailleurs recommandé cette mesure en 2017.
Le clivage francophone-anglophone repose sur un faux argument. Depuis 2004, la présidence du PAP a été occupée par des candidats d’Afrique de l’Est (1), d’Afrique de l’Ouest (1) et d’Afrique centrale (2) ; deux francophones et deux anglophones. Le problème vient du fait que l’Afrique australe et l’Afrique du Nord n’en ont jamais occupé la présidence.
Alors que l’UA célébrera son 20e anniversaire en 2022, elle doit sérieusement réfléchir à l’utilité et au statut de ses organes. La priorité pour résoudre la crise de légitimité du PAP est d’améliorer les institutions démocratiques au niveau national.
Le Parlement continental a également besoin d’une refonte radicale pour devenir une institution valable, transparente et efficace. Cela implique d’améliorer sa structure afin d’harmoniser son système de vote sur celui des autres organes de l’UA. La Commission de l’UA doit par ailleurs intégrer le PAP dans ses programmes et événements. Par exemple, le Parlement figure rarement à l’ordre du jour des sommets de l’UA, et la hiérarchie de l’UA snobe régulièrement les réunions du PAP.
L’UA a été créée en 2002 et le PAP a tenu sa première séance en 2004, il y a tout juste 17 ans. Ces organes continentaux sont assez récents et doivent se voir accorder une chance de s’adapter aux réalités actuelles. La réforme actuelle de l’UA et de ses institutions a vu certaines de ses structures basées à Addis-Abeba fusionner. L’UA fait en outre l’objet, pour la première fois, d’un processus d’audit rigoureux, attendu depuis longtemps.
Pour sauver le PAP, il faut un leadership visionnaire, mais le temps presse. La jeune population africaine en a assez d’attendre que des institutions de gouvernance dysfonctionnelles s’améliorent et tiennent enfin leurs promesses. Les députés et l’UA devraient profiter de la suspension des travaux du PAP pour réfléchir à la manière dont le Parlement peut servir le continent mieux que par des coups et des insultes devant les caméras.
Liesl Louw-Vaudran, chercheuse principale, ISS Pretoria
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