Les BRICS ne doivent pas être un rempart contre l’Occident

L’intérêt pour les BRICS monte en flèche, mais l’expansion du groupe doit dépasser le clivage entre l’Occident et le reste du monde.

Cette année, le sommet des BRICS (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud) aura une saveur plus africaine. En effet, il aura lieu dans l’unique pays membre africain des BRICS, discutera d’un thème africain, et de nombreux dirigeants africains y participeront dans le cadre d’un programme d’ouverture. Il devrait permettre d’examiner les demandes d’adhésion d’au moins six pays africains.

Le sommet se tiendra du 22 au 24 août sur le thème « Les BRICS et l’Afrique : un partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif ». Soixante-sept dirigeants du Sud ont été invités. Fait significatif, le président français Emmanuel Macron, qui avait manifesté son désir d’y assister auprès de Pretoria, n’a pas été invité.

L’intérêt pour l’adhésion aux BRICS prend de l’ampleur. Lors d’une réunion d’information organisée cette semaine, la ministre sud-africaine des Relations internationales, Mme Naledi Pandor, a affirmé que si plusieurs autres pays avaient manifesté leur intérêt, 23 d’entre eux avaient officiellement posé leur candidature. Il s’agit de : l’Algérie, l’Arabie saoudite, l’Argentine, Bahreïn, le Bangladesh, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, le Honduras, l’Indonésie, l’Iran, le Kazakhstan, le Koweït, le Maroc, le Nigeria, la Palestine, , le Sénégal, la Thaïlande, le Venezuela et le Vietnam.

Selon Pandor, cet intérêt montre que ces pays reconnaissent les BRICS en tant que champion du Sud global et prennent acte des avantages de l’adhésion. Le « sherpa » sud-africain des BRICS, Anil Sooklal, estime que l’une des raisons du regain d’intérêt des pays candidats réside dans la polarisation de plus en plus importante créée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine et par l’accroissement des tensions entre les États-Unis et la Chine. Ce sont là des facteurs anxiogènes pour les petites nations, ce qui les incite à rechercher la « sécurité par le nombre ».

Les motivations pour rejoindre les BRICS diffèrent, même parmi les membres actuels

Les six gouvernements africains candidats aux BRICS n’ont pas tous fait part officiellement de leur décision. Si l’Algérie, l’Égypte et l’Éthiopie l’ont confirmée, les positions du Nigeria, du Sénégal et du Maroc ne sont pas claires.

L’ambassadeur du Nigeria en Russie, Abdullahi Shehu, a récemment déclaré que les négociations pour une adhésion n’avaient pas commencé, mais qu’il ne l’excluait pas à l’avenir. Cependant, le périodique nigérian le Guardian cite plusieurs experts affirmant que le Nigeria n’est pas prêt à adhérer aux BRICS. Le pays manquerait de sophistication au plan économique et n’aurait pas grand-chose à exporter vers les autres pays des BRICS en dehors de son pétrole. Par ailleurs, la nouvelle administration réformiste de Bola Tinubu a du pain sur la planche.

Dianna Games, analyste du Nigeria et directrice générale d’Africa @ Work, a déclaré à ISS Today être surprise de voir le Nigeria sur la liste, avant d’ajouter : « Tinubu est très proactif, il est donc possible qu’il soit à l’origine de cette initiative, qu’il cherche à étendre son influence parce que le Nigeria s’est beaucoup replié sur lui-même sous Buhari en matière de politique étrangère, et peut-être essaie-t-il de regagner de l’influence ».

Quant à ce que recherchent les pays africains candidats aux BRICS, les motifs sont divers et quelque peu flous. L’Égypte serait probablement l’un des premiers pays à adhérer, d’autant plus qu’elle est déjà membre de la Nouvelle banque de développement des BRICS. Le Caire est particulièrement intéressé par les projets des BRICS de commercer davantage en monnaies locales et moins en dollars américains, pour éventuellement créer leur propre monnaie.

Seuls 6 % des échanges commerciaux des 5 membres des BRICS s’effectuent au sein du bloc

Pour le président algérien Abdelmadjid Tebboune, l’adhésion aux BRICS contribue à créer un ordre mondial plus équitable, ce qui aiderait l’Algérie à rester hors « de l’attraction des deux pôles ». Son ministre des Affaires étrangères a récemment exprimé l’espoir d’en tirer des avantages commerciaux.

Ces points de vue révèlent des idées fausses sur les BRICS. En effet, les deux pôles auxquels Tebboune fait référence – qui s’éloignent de plus en plus l’un de l’autre en raison de la guerre en Ukraine – sont clairement l’Occident d’une part, et la Russie et la Chine d’autre part. Les BRICS peuvent donc difficilement être qualifiés de non-alignés.

Quant aux pays qui considèrent que les BRICS peuvent stimuler le commerce, ils ne tiennent pas compte du fait qu’il ne s’agit pas du tout d’un bloc à visée commerciale. Pandor a souligné que les pays des BRICS représentent environ 42 % de la population mondiale et 30 % de son territoire, 27 % du PIB mondial et 20 % du commerce international. Mais environ 6 % seulement des échanges commerciaux de ses cinq membres se font entre eux.

Les BRICS constituent néanmoins un club économique utile, notamment leur Nouvelle banque de développement, qui a déjà prêté 5,4 milliards de dollars US à l’Afrique du Sud pour soutenir cinq projets. Mais d’un point de vue géopolitique, les BRICS sont moins un « champion du Sud global » non aligné, pour reprendre les termes de Pandor cette semaine, qu’une alternative à un monde dominé par l’Occident, selon les propos de Tebboune – voire, plus précisément, un bloc anti-occidental.

La Russie et la Chine voient de plus en plus les BRICS comme une alliance contre l’Occident

C’est là un problème délicat. Pandor a déclaré que l’Afrique du Sud ne « considérait pas les BRICS comme étant pro-russes ou anti-occidentaux... Les partenaires commerciaux de l’Afrique du Sud en Occident sont très, très importants pour le progrès économique de l’Afrique du Sud ». Games ne pense pas non plus que le Nigeria rejoindrait les BRICS pour faire pencher la balance mondiale en défaveur de l’Occident, car celui-ci considère tous ses principaux partenaires commerciaux sur un pied d’égalité.

Priyal Singh, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité, affirme que les motivations de l’adhésion aux BRICS divergent, et ce même parmi les membres actuels. « L’Inde, par exemple, n’a cessé de souligner sa recherche d’une ‟autonomie stratégique” sur la scène mondiale ; un groupe plus fort (ou élargi) des BRICS correspond à cet objectif de politique étrangère. Il s’agit également d’un argument convaincant pour le Brésil et l’Afrique du Sud, Pretoria s’appuyant fortement sur sa recherche d’un ordre international plus multipolaire. »

Mais à mesure que les tensions montent à propos de l’Ukraine et de Taïwan, la Russie et la Chine semblent de plus en plus considérer les BRICS comme une alliance contre l’Occident, tout comme le feraient probablement certains pays candidats à l’adhésion tels que l’Iran et le Venezuela.

Pourtant, une telle alliance a ses failles, notamment les tensions entre la Chine et l’Inde au sujet de leur conflit frontalier au Cachemire. La semaine dernière, le président sud-africain Cyril Ramaphosa aurait appelé le premier ministre indien Narendra Modi pour le convaincre d’assister au sommet en personne.

Et ce n’est pas une coïncidence si la Russie et la Chine, les deux membres autocratiques des BRICS, semblent être les plus enthousiastes à l’idée d’élargir leurs rangs, tandis que l’Inde et le Brésil, démocratiques, sont méfiants (l’Afrique du Sud se situant entre les deux), a déclaré un fonctionnaire sud-africain en privé.

Cela semble être la raison pour laquelle les ministres des Affaires étrangères des cinq membres des BRICS ne parviennent toujours pas, à quelques jours du sommet, à se mettre d’accord sur les critères d’adhésion à soumettre aux chefs d’État. Définir l’identité et le rôle mondial de ce bloc est également très compliqué.

« Je me garderais bien de tout critère d’expansion qui nous conduirait sur une voie où nous contribuerions à accroître les conflits dans la communauté mondiale ou dans n’importe quelle partie du monde », a déclaré Pandor. Ce n’est probablement pas ainsi que la Chine et la Russie envisagent la question.

Les BRICS offrent des avantages à leurs membres, notamment un plus grand choix pour le financement du développement, une collaboration sur des questions telles que la santé et une indépendance progressive par rapport à la domination du dollar. Mais quiconque envisage d’y adhérer doit garder à l’esprit l’avertissement de Pandor.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © Alamy Stock Photo

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