L’égalité des genres est essentielle pour tirer pleinement parti du libre-échange en Afrique

Le mauvais bilan de l’Afrique en matière d’égalité des sexes doit être inversé pour réaliser tout le potentiel de la ZLECAf.

L’Afrique pourrait bénéficier grandement de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), mais pour que tous les Africains puissent profiter des fruits d’un commerce plus libre, il est nécessaire d’améliorer l’égalité entre les sexes.

Un scénario « libre-échange » a été élaboré par l’équipe Futurs africains et Innovation de l’Institut d’études de sécurité (ISS). Celui-ci montre à quel point la libéralisation du commerce pourrait se révéler efficace pour lutter contre l’extrême pauvreté et accroître le revenu moyen. Ce scénario repose sur la mise en œuvre complète de la ZLECAf d’ici 2033.

À mesure que l’on se rapproche de l’année 2043, la prévision du scénario de libre-échange surpasse les 10 autres scénarios modélisés par l’ISS sur la croissance du Produit intérieur brut (PIB) par habitant pour chaque pays analysé. Le graphique 1 montre comment des pays tels que le Malawi, le Rwanda et Madagascar verront leur PIB par habitant augmenter de plus de 15 % dans le scénario de libre-échange, par rapport aux augmentations attendues dans le scénario de la trajectoire actuelle. D’ici 2043, en Afrique, le PIB par habitant devrait augmenter de 10 % en moyenne, soit de 723 dollars US, dans le scénario de libre-échange.

Graphique 1 : Augmentation en pourcentage du PIB par habitant d’ici 2043, scénarios du libre-échange et trajectoire actuelle, les 10 premiers pays

Graphique 1 : Augmentation en pourcentage du PIB par habitant d’ici 2043, scénarios du libre-échange et trajectoire actuelle, les 10 premiers pays

Source : ISS, Futurs africains et Innovation
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Le scénario de libre-échange vise également à lutter contre l’extrême pauvreté. D’ici 2043, il devrait y avoir en Afrique une diminution de 80,3 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté fixé à 1,90 dollar par rapport à la prévision de la trajectoire actuelle, soit une réduction du taux de pauvreté de 3,6 points de pourcentage. Le seul scénario qui surpasse la projection du libre-échange est celui qui prévoit une révolution agricole.

La libéralisation du commerce pourrait ouvrir de meilleures perspectives à toute la population africaine, en particulier aux femmes. L’accroissement des échanges commerciaux se traduit généralement par une augmentation de l’emploi formel des femmes, par des salaires plus élevés, notamment pour la main-d’œuvre féminine qualifiée, et par une hausse globale du taux d’emploi des femmes. Ce phénomène se ferait surtout ressentir dans les secteurs où les femmes constituent la majeure partie de la main-d’œuvre.

La Banque mondiale a mené une étude visant à déterminer quels secteurs devraient connaître les plus grands changements concernant l’emploi des femmes. Ce rapport ne tient pas compte de l’effet de la ZLECAf sur le commerce transfrontalier informel en raison du manque de données dans ce domaine. Le commerce informel est en majorité dominé par les femmes en Afrique, et les flux commerciaux qu’elles génèrent contribuent de manière significative au PIB, bien que l’on sous-estime leur véritable ampleur. Les pays africains devraient surveiller ces flux afin de mieux comprendre l’effet de la ZLECAf sur le commerce et l’égalité des genres.

Les modifications de l’emploi dans les secteurs formels concernent toutefois l’Afrique en général. Le rapport de la Banque mondiale souligne la nécessité d’établir une distinction par pays selon l’expérience propre de la ZLECAf pour s’attaquer aux effets de répartition négatifs de l’accord.

Le manque d’accès des femmes à l’éducation est un obstacle qui les empêche de bénéficier pleinement de la zone de libre-échange

Étant donné que certains secteurs de l’économie sont exposés à une concurrence accrue en raison de la baisse des coûts commerciaux, les travailleurs doivent s’adapter à des exigences de compétences différentes et se diriger vers les secteurs de l’économie qui bénéficient d’avantages comparatifs. Pour faciliter ces transitions, les pays ont besoin d’un environnement politique adapté à leur situation. La mobilité de la main-d’œuvre doit être soutenue et l’égalité des chances assurée, en particulier pour les femmes.

Les normes et attitudes sociales, et les lois qui engendrent et perpétuent les inégalités entre les sexes, restent des obstacles importants pour l’Afrique. L’Indice 2019 des institutions sociales et du genre (SIGI), compilé par l’Organisation de coopération et de développement économiques, mesure la discrimination à l’égard des femmes dans les institutions sociales de 180 pays. Cet indice dresse un tableau inquiétant pour l’Afrique, avec des niveaux élevés de violence domestique, un faible accès des femmes aux ressources financières et aux biens fonciers et non fonciers.

La répartition des tâches ménagères est un indicateur clé de la discrimination. Les femmes en assument l’essentiel et n’ont pas toujours le droit d’être considérées comme cheffes de famille. En Afrique, les femmes consacrent, en moyenne, quatre fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques, au bénévolat et aux soins non rémunérés. Par conséquent, elles ont moins de temps pour acquérir les compétences et les ressources nécessaires pour pleinement tirer parti des possibilités offertes par la ZLECAf.

Le manque d’accès des femmes à l’éducation est un obstacle important qui les empêche de profiter pleinement de la zone de libre-échange. Il faut avoir un niveau d’éducation plus élevé pour obtenir un emploi dans le secteur formel et répondre aux changements structurels du marché du travail. La capacité des femmes et des filles à s’inscrire dans un établissement d’enseignement est limitée par des normes sociales telles que la répartition des tâches ménagères.

L’Indice d’inégalité de genre du Programme des Nations unies pour le développement montre qu’en Afrique le niveau d’instruction secondaire des femmes est inférieur à celui des hommes. Cela réduit la capacité des femmes à obtenir des emplois mieux rémunérés et à acquérir des compétences recherchées.

Les femmes pourraient être laissées pour compte si la ZLECAf ne s’accompagne pas de politiques leur permettant d’en tirer parti

Les faibles niveaux d’instruction sont intrinsèquement liés aux normes sociales sexospécifiques des sociétés africaines. Le mariage des enfants constitue un obstacle majeur, l’analyse montrant que, pour chaque année de mariage précoce, les chances d’achever l’enseignement secondaire se réduisent de quatre points de pourcentage. En effet, les jeunes femmes contraintes au mariage précoce consacrent leur temps à l’éducation des enfants et à l’entretien du foyer au lieu de poursuivre des études secondaires.

Les chiffres du SIGI montrent que 21 % des filles âgées de 15 à 19 ans en Afrique sont mariées, divorcées ou vivent en concubinage. La perte d’années d’éducation amoindrit la capacité des femmes à avoir un revenu, à gérer leurs finances et à prendre de bonnes décisions pour leur famille.

La ZLECAf sera mise en œuvre sur un continent dont le bilan sur le plan de l’égalité des genres est peu reluisant. Les femmes pourraient être laissées pour compte si l’accord ne s’accompagne pas de politiques nationales spécifiques leur permettant d’en exploiter les opportunités.

Ces politiques doivent impérativement permettre aux femmes d’acquérir les compétences nécessaires pour se réorienter vers les secteurs où la demande augmentera. Il faut s’attaquer aux normes et pratiques sociales qui empêchent les femmes d’accéder à l’enseignement secondaire, et adopter des lois qui les protègent de ces pratiques. Grâce à un changement d’attitude à l’égard de la répartition sexuée des tâches ménagères, les femmes seront en mesure d’utiliser leur temps plus efficacement.

Jacobus du Toit McLachlan, chargé de recherche, Futurs africains et Innovation, ISS Pretoria

Image : © Simone D. McCourtie / World Bank

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