L’eco résonne-t-il comme le passé colonial de l’Afrique de l’Ouest ?

Plutôt qu'un pas vers l’indépendance monétaire, le projet de changement de monnaie est perçu comme un exercice de relations publiques.

En prenant la décision retentissante d’abandonner le franc CFA – monnaie déjà utilisée avant leur indépendance de la France –, huit pays, principalement francophones, sonnent le glas d’une époque.

Toutefois, cette décision suscite la controverse. À y regarder de plus près, l’on croirait qu’elle relève davantage de la forme que du fond. Pour certains, il semble qu’il faille défaire les liens monétaires néocoloniaux plus évidents – mais moins importants – avec Paris, sans pour autant couper le cordon ombilical qu’est l’indexation du franc CFA sur l’euro.

Le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo (tous d’anciennes colonies françaises, à l’exception de la Guinée-Bissau) sont les huit États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Avec le président ivoirien Alassane Ouattara et le président français Emmanuel Macron, tous ces pays ont annoncé en décembre que le franc CFA ouest-africain serait abandonné au profit d’une nouvelle monnaie régionale : l’eco, qui tient son nom de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) [NdlT : ECOWAS en anglais].

Les six États membres de la CEDEAO dans lesquels le franc CFA n’a pas cours – la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone –, réunis la semaine dernière sous l’égide de la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO), ont toutefois dénoncé l’UEMOA pour s’être approprié le nom « eco ». Il s’agit en effet du nom convenu l’an dernier par la CEDEAO pour la monnaie commune à l’ensemble de la région.

Le mouvement unilatéral voulu par l’UEMOA divise l’Afrique de l’Ouest, dressant les francophones contre les anglophones

Ouattara et compagnie essayaient peut-être de stimuler la CEDEAO, qui met longtemps à faire décoller son eco, initialement prévu cette année. Mais aujourd’hui, la ferme objection de la ZMAO – notamment des poids lourds économiques que sont le Nigeria et le Ghana – remet largement en cause cette décision, voire également celle de l’eco voulu par la CEDEAO.

Essentiellement, les pays de l’UEMOA prévoient d’abandonner deux dispositions concernant le franc CFA. Ils ne seraient plus tenus de déposer 50 % de leurs réserves auprès du Trésor français, et le gouvernement français ne déploierait plus de fonctionnaires auprès de la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). L’eco serait toutefois toujours indexé sur l’euro, par un taux de change fixe que la France garantirait de la même manière qu’elle garantit celui du franc CFA.

Les pays de l’UEMOA ont subi d’énormes pressions sociales et politiques pour mettre au rebut le franc CFA, souvent qualifié de monnaie « néocoloniale ». Il est donc tentant de considérer ce changement comme une rupture symbolique des liens avec l’ancien maître colonial plutôt que comme un véritable mouvement vers une indépendance monétaire totale. Le franc CFA a été introduit en 1945 afin d’aider à stabiliser les monnaies et les économies des colonies africaines de la France, et la plupart ont choisi de conserver cette monnaie après les indépendances.

Le franc CFA a réussi à atteindre ses objectifs économiques. Mais les nombreux détracteurs africains de la Françafrique – politique postcoloniale de Paris qui consiste à maintenir un contrôle effectif de ses anciennes colonies africaines – déplorent la participation continue de la France dans la gestion du franc CFA. La présence de fonctionnaires du Trésor français au sein de la BCEAO constitue évidemment une ligne rouge pour ces critiques.

La France considère apparemment l’eco comme un pas vers une monnaie unique pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest

Qui plus est, les Ouest-Africains sont contraints de conserver la moitié de leurs réserves dans le Trésor français. Cette situation a donné naissance à plusieurs théories, notamment celle qui suppose qu’en réalité, les États d’Afrique de l’Ouest financeraient le déficit de la France. Des responsables français insistent quant à eux sur le fait que la contribution minime des réserves ouest-africaines n’a jamais fait de différence substantielle pour l’économie française.

Ces derniers notent également que les réserves ouest-africaines conservées par le Trésor français génèrent des intérêts qui reviennent aux États de l’UEMOA. Dans le cadre du nouvel accord, les pays d’Afrique de l’Ouest ne seraient plus tenus de placer la moitié de leurs réserves à Paris, mais pourraient continuer à y placer une partie, à leur guise. Les responsables insistent également sur le fait que le travail des représentants du Trésor français au sein de la BCEAO concerne des aspects techniques et non de fond, tel que l’élaboration de politiques.

En tout état de cause, les Ouest-Africains francophones ont choisi de conserver ce qui est sans doute l’élément le plus substantiel du franc CFA, à savoir l’indexation sur l’euro et la garantie du taux de change fixe par la France.

En raison de l’influence qu’il permet à la France d’exercer, cet élément constitue probablement l’aspect le plus « néocolonialiste » des relations monétaires de la France avec ses partenaires d’Afrique de l’Ouest. Que cette influence soit malveillante ou bienveillante demeure un point très controversé.

D’après certains analystes, le vrai problème du franc CFA/de l’eco n’est pas politique mais bien économique

Des responsables français ont déclaré à ISS Today que l’indexation du CFA avait stabilisé les monnaies et les économies de l’UEMOA, évitant ainsi les dévaluations et déflations vertigineuses dont ont souffert d’autres pays d’Afrique. Avant l’annonce de décembre, Macron lui-même qualifiait l’abandon du CFA de « fin de certains vestiges du passé » et déclarait que les pays africains devaient déterminer leur propre avenir économique.

Nombre d’Africains soupçonnent Paris de s’adonner à un simple exercice de relations publiques, qui consiste à abandonner les liens monétaires plus évidents avec l’Afrique de l’Ouest tout en conservant un réel contrôle par le biais de l’indexation.

Cependant, des experts monétaires d’Afrique australe soulignent que les éléments essentiels de l’arrangement monétaire africain avec la France ne sont pas uniques. Le dollar namibien et le loti du Lesotho, par exemple, sont tous deux liés au rand sud-africain à un taux de change fixe garanti par Pretoria. Les deux plus petites économies doivent également maintenir des réserves – équivalentes à la valeur de leur monnaie en circulation – au sein de la Banque centrale d'Afrique du Sud.

« C’est ainsi que l’on maintient le taux de change », a déclaré un expert. « Avec toutes les turbulences qu’a connu le Lesotho, imaginez où en serait le loti aujourd’hui s’il n’y avait pas eu l’indexation sur le rand ? » Il a également fait remarquer que des pays comme la Namibie, le Lesotho et les pays de la zone CFA étaient obligés de conserver leurs réserves quelque part et que celles-ci devaient rester hors de circulation afin de pouvoir être utilisées en cas de besoin, pour soutenir la valeur de leur monnaie.

Bien que certains observateurs considèrent le passage à l’eco comme un simple changement de nom, la France y voit apparemment plus que cela – une possible étape vers une monnaie unique pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Les inévitables sceptiques africains soupçonnent Paris de secrètement espérer faire de l’eco de l’UEMOA un cheval de Troie afin de prendre le contrôle de l’eco au niveau de la CEDEAO – quand, et si, cela se produit un jour –, ou encore de chercher à saboter l’eco, adopté par plus de pays que le franc CFA actuel.

Le mouvement unilatéral voulu par l’UEMOA et la France en décembre a indéniablement divisé l’Afrique de l’Ouest, opposant les francophones aux anglophones. Étant donné que le Nigeria est particulièrement opposé à cette initiative, il est difficile de voir comment elle va gagner du terrain.

D’après certains analystes, le vrai problème du franc CFA/de l’eco n’est pas politique, mais bien économique. Jakkie Cilliers, chef du programme Futurs africains et Innovation à l’Institut d’études de sécurité, déclare que : « L’impact le plus important du CFA/de l’eco réside dans la surévaluation des monnaies locales, ce qui a pour effet de rendre quasi impossible le développement de produits à valeur ajoutée. Cet aspect ne changera pas. »

Il semble que le compromis soit le suivant : une monnaie stable qui garantit une inflation faible mais entrave l’industrialisation, ou une monnaie flottante qui contribue à stimuler l’exportation de produits manufacturés, mais qui comprend un risque d’instabilité. En fin de compte, les nations de l’UEMOA semblent avoir opté – malgré les discours – pour la prudence.

Peter Fabricius, consultant ISS

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Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS

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