Le test de démocratie tourne court au Zimbabwe

Compte tenu des manœuvres de la ZANU-PF et de la non-ingérence de la SADC, il est peu probable que le bloc régional agisse face aux élections contestées.

Une fois de plus, le Zimbabwe n’a pas pu tenir d’élections libres, équitables et crédibles. Le pays reste enfermé dans une trajectoire de scrutins contestés qui compliqueront encore la reprise économique. Les élections ont de nouveau été entachées par de nombreuses irrégularités et un mépris flagrant pour la loi et les normes internationales en matière de vote.

Occultant les multiples aberrations décelées par les missions d’observation, la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC) a déclaré vainqueur, avec 52,6 %, le président sortant Emmerson Mnangagwa de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), le parti au pouvoir. La Coalition citoyenne pour le changement (CCC) de Nelson Chamisa a obtenu 44 % des voix.

Les résultats ventilés ne sont pas disponibles et la CEZ affirme qu’elle n’est pas obligée de les rendre publics, bien qu’il s’agisse d’une bonne pratique au niveau international. La ZANU-PF n’a pas atteint la majorité parlementaire des deux tiers, mais a conservé une majorité confortable avec 136 sièges. La CCC a porté à 73 le nombre de sièges de l’opposition au Parlement.

La CEZ a annoncé les résultats des élections en un temps record, probablement pour contrecarrer les efforts de vérification indépendante du décompte. La CCC a rejeté les résultats, mais a retiré son projet de recours devant la Cour constitutionnelle au motif que « les tribunaux du Zimbabwe sont aux mains de Mnangagwa et de la ZANU-PF », a déclaré le parti. Du fait de la partialité des tribunaux zimbabwéens, observée en 2018 et dans de nombreuses affaires électorales portées par la CCC, une contestation judiciaire ne ferait que légitimer la victoire de Mnangagwa.

Ainsi, dans un élan qui rappelle l’investiture hâtive de Robert Mugabe en 2008 après une élection discréditée, Mnangagwa devrait être investi aujourd’hui.

La mention par la mission de la SADC de défis structurels et systémiques reflète une rupture avec le passé

Même la Mission d’observation électorale (MOE) de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), connue pour sa grande prudence, n’a pas pu ignorer le mépris des réglementations et des principes de la SADC. Son rapport préliminaire révèle que le « vote rural pourrait être compromis par des présomptions d’intimidations de la part d’un groupe appelé Forever Associates Zimbabwe (FAZ), qui serait assimilable à une organisation de renseignement en matière de sécurité ».

D’après ce rapport, « le Patriot Act est incompatible avec l’esprit de l’article 61(1) de la Constitution et le paragraphe 4.1.2 des principes et lignes directrices de la SADC régissant les élections démocratiques, qui oblige notamment les États membres à soutenir la liberté d’expression ». En réponse, la ZANU-PF et le gouvernement ont organisé une campagne soutenue visant à éteindre les critiques de la MOE. Le rapport de l’Union africaine (UA) fait également état de nombreuses préoccupations, mais ne se prononce pas à ce sujet comme le fait la SADC.

Au début du comptage des votes, le gouvernement a interrompu les observations indépendantes par les organisations locales de la société civile (OSC) lorsque la police a fait une descente dans les centres de données du réseau de soutien aux élections et du centre de ressources électoral, a arrêté le personnel et des observateurs locaux accrédités et a confisqué des ordinateurs portables et des téléphones portables. Le gouvernement affirme avoir eu connaissance de renseignements selon lesquels certaines organisations avaient l’intention d’annoncer illégalement des résultats basés sur le comptage parallèle des votes des OSC.

Ces actions ont mis fin au processus indépendant de comptage parallèle des électeurs mis en place par le Réseau de soutien aux élections du Zimbabwe. Ironiquement, lors des élections de 2018, la CEZ et le gouvernement ont utilisé les comptages parallèles pour corroborer les résultats.

Les principales missions d’observation des élections ont jugé que le scrutin n’était pas conforme aux normes minimales. Le rapport sans précédent de la MOE était cinglant, identifiant une série de carences dans les procédures ainsi que des processus en contradiction avec la Constitution du Zimbabwe, la loi électorale et les principes et lignes directrices de la SADC régissant les élections démocratiques.

La réaction fébrile du parti au pouvoir suggère qu’il a jugé les conclusions de la SADC préjudiciables

La mission de la SADC a noté le manque de préparation de la CEZ, même si la commission avait déclaré qu’elle était pleinement préparée. La mission a relevé un manque de transparence autour des listes électorales, un rapport de délimitation controversé, un accès biaisé aux médias d’État, des intimidations d’électeurs et des préoccupations structurelles plus profondes, notamment la confusion des intérêts du parti et de l’État, la manipulation du système judiciaire et une législation problématique.

La plupart de ces problèmes ont été signalés de façon récurrente dans les rapports de la SADC sur les élections au Zimbabwe au cours des deux dernières décennies. Cependant, la mention de défis structurels et systémiques reflète une rupture avec le passé, révélant diverses préoccupations soulevées à plusieurs reprises par l’opposition et la société civile.

La ZANU-PF et le gouvernement ont riposté en attaquant le rapport de la MOE et son chef d’équipe, le politicien zambien Nevers Mumba. D’autres missions d’observation ont subi le même traitement, avec notamment une attaque personnelle contre le chef de la mission d’observation de l’Union européenne. La réaction fébrile du parti au pouvoir suggère que ce dernier a jugé les conclusions de la mission de la SADC graves et préjudiciables.

Comment la situation va-t-elle évoluer ? Quelles répercussions les missions d’observation auront-elles et quelles seront les conséquences sur le processus de négociation du règlement des arriérés de la dette conduit par la Banque africaine de développement (BAD) ?

Il reste à savoir qui pliera en premier, même s’il est peu probable que la ZANU-PF cède du terrain. Elle peut s’appuyer sur le mode de gestion collective de la SADC, fondé sur la camaraderie et la primauté de la stabilité plutôt que sur la confrontation ou l’action. La ZANU-PF a également piloté diverses manœuvres diplomatiques dans la région, comme l’a démontré l’affaire du tribunal de la SADC. Néanmoins, le pays fait aujourd’hui face à un dilemme politique et il ne sera pas facile de remettre le génie dans sa bouteille.

Les communautés régionales et internationales chercheront probablement une approche conciliante

Il est peu probable que la SADC parvienne à rassembler le consensus politique et la volonté nécessaires pour replacer le Zimbabwe dans les priorités du bloc. Tous les États membres ne seront pas satisfaits des conclusions de la MOE, ce qui pourrait créer un précédent importun qui s’écarterait de son approche précédente.

Pendant ce temps, plusieurs dirigeants de la SADC, dont les présidents de l’Afrique du Sud, de la Namibie, de la Tanzanie et du Botswana, ont félicité Mnangagwa. Ainsi, même si la SADC ne reviendra probablement pas sur le rapport de sa MOE, elle laissera de côté ses inquiétudes plutôt que de rejeter le résultat des élections.

Il est peu probable que la visite du Groupe des sages de la SADC au Zimbabwe change ce scénario. L’initiative a été entourée de confusion, sans clarté sur ses objectifs et son mandat ou la possibilité de la SADC de conserver un dossier officiel sur le Zimbabwe.

La mission de l’UE et les rapports du Centre Carter font largement écho au rapport de la MOE. Mais compte tenu du processus actuel de règlement de la dette dirigé par la BAD, il est peu probable que la communauté internationale et l’UA prennent d’autres mesures face au problème des élections. Les commentaires de l’ancien président mozambicain, Joaquim Chissano, qui est au Zimbabwe sur un mandat de la BAD, sont importants. Chissano a indirectement approuvé une victoire de la ZANU-PF et faisait visiblement référence au pilier du processus de la BAD relatif à la gouvernance lorsqu’il a déclaré que la prochaine administration devait s’attaquer à la réforme électorale.

Les communautés régionales et internationales chercheront probablement une approche conciliante et égalitaire sous couvert d’un engagement constructif. Les créanciers sollicitent l’engagement du gouvernement zimbabwéen à poursuivre le processus de la BAD, avec ses trois piliers que sont la gouvernance, les réformes économiques et la réforme agraire.

Les impératifs géopolitiques et la lassitude des créanciers occidentaux à l’égard du problème zimbabwéen détermineront leurs efforts de règlement de la dette. Ils devront vivre avec le fait troublant que l’administration de Mnangagwa n’est pas un partenaire avec lequel on peut faire affaire et dont on peut attendre des actes de bonne foi.

ISS Pretoria

Image : © Jekesai Njikizana / AFP

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