Le Sud-Soudan pourra-t-il respecter l'échéance électorale ?
Le non-respect des objectifs de l'accord de paix et la mauvaise préparation électorale pourraient conduire à des contestations ou à un nouveau report.
En août 2022, le gouvernement de transition du Soudan du Sud a prolongé son mandat jusqu'en février 2025 et reporté les élections à décembre 2024. Cette prolongation visait à surmonter les difficultés liées à l’application de l'accord de paix de 2018.
Depuis la signature de l'accord revitalisé sur la résolution du conflit au Soudan du Sud en 2018, chaque étape a été retardée, avec des conséquences désastreuses pour la stabilité du Soudan du Sud et sa population.
La formation du gouvernement d'unité transitoire en 2020 a été repoussée de plus de six mois. L'unification et le déploiement de 83 000 soldats qui devaient se faire dans les huit mois suivant l’accord, ont été entravés par des désaccords sur les ratios, les classements et le manque de ressources. La première remise de diplômes à la force unifiée formée s’est déroulée en août 2022.
Les premiers déploiements, annoncés en octobre 2023, ont été confrontés au manque de confiance du public envers les forces de sécurité en raison d'une mise en œuvre défaillante du désarmement et de la réintégration, à l’absence de ressources, de compétences et de professionnalisme parmi les forces formées.
La sensibilisation des électeurs et des partis politiques est essentielle pour les premières élections
D'autres dispositions de l'accord de paix, telles que l'aide humanitaire, la reconstruction, la gestion financière, les ressources et la justice transitionnelle, ont également été mal exécutées.
La transition prolongée en 2022 s’accompagnait d’une feuille de route pour l’organisation d'élections en décembre de cette année. Cependant, plusieurs conditions n'ont pas été remplies, telles que l'amélioration de la sécurité, l'élaboration de cadres électoraux et le renforcement des capacités des institutions. Certaines mesures indispensables pour faciliter ces étapes n'ont été prises qu'en novembre 2023, notamment la reconstitution de la Commission nationale de révision constitutionnelle, de la Commission électorale nationale et du Conseil des partis politiques.
La mise en place de ces organes demande du temps. Ainsi, l'élaboration d'une constitution nécessitera de longues consultations et des ressources substantielles pour résoudre les divergences entre l'élite polarisée et les partis politiques.
La responsabilité électorale est partagée entre la Commission électorale nationale (chargée de l'éducation civique et de l'éducation des électeurs) et le Conseil des partis politiques (responsable de l'enregistrement et de la réglementation des activités des partis politiques). Le succès des inscriptions électorales exige des campagnes de sensibilisation auprès des électeurs et des partis politiques. Ceci est vital pour un pays qui organise ses premières élections postindépendance et aura des implications significatives sur la qualité et le résultat des scrutins.
Le recensement a été entravé par le manque de sécurité et d'infrastructures
Il est également essentiel de sensibiliser les communautés locales et les militants pour garantir l’acceptation des résultats et prévenir les violences postélectorales. Dans la transition du Sud-Soudan de la guerre civile à la paix et à la démocratie, la promotion d'une compréhension civique des procédures électorales, des droits et des responsabilités est cruciale pour des élections paisibles. Sans cela, les différends risquent de dégénérer en violence, les élites cherchant à contrôler le discours et à manipuler les communautés.
Les appareils sécuritaires et judiciaires sont également essentiels pour garantir des élections pacifiques et des mécanismes équitables de résolution des conflits, si nécessaire. Cependant, même le recensement, une exigence de l'accord de paix pour les élections, a été entravé par le manque de sécurité et d'infrastructures dans l'ensemble du pays.
Ces facteurs pourraient entrainer une élection contestée ou une autre prolongation, menaçant les progrès accomplis et favorisant la résurgence du conflit.
Les multiples impacts de la COVID-19 ont coïncidé avec le début de la transition du Sud-Soudan, détournant ainsi les ressources internationales et régionales de la surveillance efficace de l’application de l'accord de paix.
L'Union africaine (UA) et l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), garants de l'accord, ont été confrontées à des contraintes de temps, de capacité et de ressources. La guerre du Tigré en Éthiopie et la crise au Soudan ont également détourné leur attention de l'identification et de la résolution des blocages par les signataires de l'accord.
Les cadres électoraux, l'amélioration de la sécurité et des capacités des institutions sont insatisfaisants
La commission mixte de suivi et d'évaluation reconstituée est chargée de signaler le non-respect de l’accord aux garants (l'UA et l'IGAD). Les violations et les problèmes doivent être notifiés au président de l'IGAD pour décision de mesures correctives. Cependant, l'IGAD tarde à mobiliser les moyens et les ressources nécessaires pour franchir rapidement les étapes indispensables aux élections de décembre.
Toutefois, en tant que garants, l'UA et l'IGAD ne devraient pas se contenter de surveiller les progrès de l'accord de paix. Après une mission du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'UA au Sud-Soudan, la question a été discutée en février et en novembre 2023. Toutefois, les préoccupations et les suggestions n'étaient pas à la hauteur de la gravité de la menace qui pèse sur le pays.
Les défis du Soudan du Sud augmenteront encore lorsque Salva Kiir deviendra président de l'IGAD en juillet 2024. Le principal garant sera alors présidé par une partie signataire de l'accord de paix pendant les six mois précédant les élections, une période sensible pour le Soudan du Sud et sa transition.
L’organisation de réunions et la prise de décisions sur le Sud-Soudan nécessiteront des autorisations de Juba, ce qui posera un conflit d'intérêts. L'UA devrait se préparer à s'impliquer davantage dans la résolution des problèmes et des intérêts divergents qui pourraient survenir au sein de l'IGAD.
Le CPS devrait jouer un rôle d'alerte précoce et surveiller l’implication des acteurs africains dans la période précédant l'élection. Il pourrait demander des informations régulières sur les préparatifs électoraux et effectuer des visites sur le terrain afin d'évaluer l'état de préparation des structures de l'État. Le CPS devrait se pencher sur l'absence de pression des partenaires du Sud-Soudan et sur les risques d’une élection contestée, et faire appel à un envoyé de l'UA ou au groupe des sages pour mener à bien les engagements diplomatiques.
Cet article a été publié pour la première fois dans le rapport du CPS de l’ISS.
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