Le « Sud global » doit prendre sa place à la table des Nations
Pour l’Afrique, atteindre les objectifs de développement repose sur l’essor du Sud global.
Le terme « Sud global » suscite beaucoup de débats. Est-il approprié ? Pertinent ? Offensant ? Telles sont les questions qu’un public essentiellement européen m’a posées lors d’un récent débat à huis clos à Rome.
L’influence mondiale du Sud étant de plus en plus importante et le concept souvent mal compris, trois questions méritent d’être examinées. Que signifie réellement « Sud global » ? Pourquoi le terme a-t-il trouvé un nouvel écho ? Et que veulent réellement les pays du Sud ?
Tout d’abord, la définition. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une notion géographique mais bien géopolitique. Les analystes et commentateurs occidentaux se sont évertués à qualifier le terme de trop vague et contradictoire pour avoir une quelconque valeur analytique. Ils se demandent, par exemple, ce que le Nigeria et le Nicaragua, ou le Malawi et la Malaisie, peuvent bien avoir en commun.
Bien qu’il soit « fourre-tout » et imparfait, son intérêt réside dans ses origines. En premier lieu, il est la manifestation du mécontentement à l’égard du statu quo de la domination occidentale et d’un mouvement en faveur d’une architecture financière et politique plus équitable, reflétant les réalités mondiales. Dans le contexte actuel, le Sud global sert de point de ralliement des mécontentements tout en reflétant les conditions économiques et les inégalités historiques à l’échelle internationale.
La COVID-19 et la guerre en Ukraine ont mis en évidence les disparités Nord-Sud
Il est intéressant de noter que les pays du Sud ne considèrent pas que le terme soit offensant : ils s’y identifient. Il est beaucoup moins problématique que celui de « tiers-monde » et moins condescendant que « pays en développement ». En l’absence d’alternative plus convaincante, c’est un raccourci qui fonctionne. Comme le dit le ministre indien des Affaires étrangères, M. Jaishankar : « Si vous venez du Sud global, vous le savez ».
Deuxièmement, la question de la résonance. Le terme n’est pas nouveau. Il trouve son origine dans l’anticolonialisme du xxe siècle et dans des mouvements comme la Conférence de Bandung de 1955 et le mouvement des Non-alignés de 1961. La pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont à nouveau mis en lumière les failles de la gouvernance et de la finance mondiales entre les pays du Nord et du Sud, incitant ces derniers à faire entendre leur voix. Cette situation s’explique à la fois par des facteurs d’attraction et de répulsion. Parmi les facteurs de répulsion, citons le comportement du Nord au cours de ce qui a été largement qualifié d’ « apartheid vaccinal ».
Associé au cadre binaire de la guerre en Ukraine, qui a aliéné les pays qui ne voulaient pas prendre parti, ce comportement a créé un important déficit de confiance. De nombreux pays du Sud global ont désormais l’impression que les pays occidentaux considèrent leurs propres problèmes comme étant « mondiaux », tandis que les problèmes du reste du monde seraient « régionaux ». Cela souligne la dynamique perçue de l’ « Ouest contre le reste [du monde] », révélant l’hypocrisie d’une moralité inconstante.
En effet, comme l’a fait remarquer un commentateur, le conflit en Éthiopie a fait plus de morts en 2022 que la guerre en Ukraine, et pourtant la Tour Eiffel ne s’est pas illuminée aux couleurs de l’Éthiopie. Idem pour Gaza. De même, les conséquences de la présidence Trump qui a érodé la confiance dans les systèmes multilatéraux et sapé la légitimité morale de l’Occident ont été négligées.
De nombreuses institutions de gouvernance mondiale de l’après-guerre sont obsolètes
Par ailleurs, d’autres points communs rapprochent les pays du Sud. De l’Afrique à l’Asie, en passant par les Caraïbes et l’Amérique latine, ces pays ont tenté de résoudre de multiples problèmes, notamment l’augmentation de la dette, l’insécurité alimentaire et énergétique, et les conséquences de la pandémie de COVID-19.
Les pays africains, en particulier, ont été déçus par ce qu’ils ont ressenti comme un marché de dupes : ils ont subi des interdictions de voyager liées à la pandémie de COVID qui n’étaient pas fondées sur des faits scientifiques, n’ont pas reçu de vaccins et ont été empêchés de fabriquer les leurs. Ils ont été confrontés à des chocs alimentaires et énergétiques démesurés en raison d’une guerre dans laquelle ils n’étaient pas impliqués et ont subi les ravages d’un dollar fort et de taux d’intérêt élevés aux États-Unis et en Europe, qui ont fait grimper leur coût de financement et ont eu des effets inflationnistes significatifs. De plus, on leur demande de remédier à un problème (la crise climatique) qu’ils n’ont pas créé.
Tout cela est d’autant plus choquant que l’Afrique est confrontée à un dilemme inédit. On demande au continent de se démocratiser et de s’industrialiser en même temps, dans un contexte de désindustrialisation prématurée, tout en l’incitant à verdir son économie — ce qu’aucun autre continent n’a fait. Cela a alimenté la colère autour des règles disparates que l’Afrique doit suivre, contrairement aux nations industrialisées.
Dans ces désillusions émerge une troisième question : que veulent réellement les pays du Sud global ?
Sur le plan institutionnel, de nombreuses organisations conçues pour soutenir la gouvernance mondiale à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ne sont plus adaptées. Par exemple, le Conseil de sécurité des Nations unies a été créé à un moment où la plupart des nations africaines étaient encore sous domination coloniale, et sa représentation reflète encore de manière embarrassante une époque révolue. Il en va de même pour d’autres institutions et forums multilatéraux déterminants : l’Union africaine n’a été admise au G20 que l’année dernière, à la demande d’un autre pays du Sud global, l’Inde.
L’essor du Sud global est le signe d’un rééquilibrage des rapports de force internationaux
Ces institutions continueront à manquer de légitimité si elles ne s’élargissent pas de manière à mieux refléter les intérêts du monde entier et non plus seulement ceux de l’Occident. C’est un point sur lequel les pays du Sud exercent une pression importante. L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud assurant la présidence du G20 entre 2023 et 2025, il s’agit là d’une bonne occasion d’apporter de grands changements à l’architecture de la gouvernance mondiale. Le changement de dynamique a également donné un nouvel élan à d’autres alliances, comme le forum IBAS (Inde-Brésil-Afrique du Sud), en tant que blocs d’autonomisation pour le Sud global.
Sur le plan financier, il existe un désir de réformer l’architecture financière mondiale, comme en témoignent des efforts tels que l’initiative de Bridgetown, un plan de développement et de lutte contre le changement climatique visant à réformer le système financier mondial. Comme le dit le secrétaire général des Nations unies, António Guterres : « C’est une architecture financière internationale à courte vue, sujette aux crises et qui n’a aucun rapport avec la réalité économique d’aujourd’hui ». Lors du sommet de Paris de l’année dernière, le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’est fait l’écho de la nécessité de réformer le Fonds monétaire international (FMI), refusant par là même que les Africains soient traités comme des mendiants.
En conséquence, la « dédollarisation » et la réforme des institutions de Bretton Woods, telles que l’Organisation mondiale du commerce et le FMI, figurent en bonne place à l’ordre du jour des pays du Sud global. De nouvelles structures financières alternatives, comme la Nouvelle banque de développement, sont également appelées de leurs vœux afin de réduire la dépendance à l’égard des financements conditionnels de l’Occident.
Sur le plan politique, la montée en puissance du groupe des BRICS+ offre une autre vision de l’avenir et fait contrepoids à l’ordre libéral mondial. À une époque où le monde passe d’un ordre géopolitique unipolaire à un ordre géopolitique multipolaire, le nouveau groupe, qui représente près de 50 % de la population et du PIB au niveau mondial et qui détient les plus grandes réserves mondiales de pétrole et de gaz, est tout simplement trop important pour être ignoré. Même si des contradictions subsistent, il possède collectivement un niveau d’influence économique et politique qui peut transformer le système multilatéral afin qu’il reflète les réalités actuelles.
Du point de vue de l’Afrique, la montée en puissance du Sud global est le signe d’un rééquilibrage déterminant des rapports de force internationaux, qui n’a que trop tardé et qui est essentiel à la réalisation des objectifs de développement du continent.
Il remet l’accent sur le libre arbitre de l’Afrique et permet aux pays africains d’utiliser l’influence collective du Sud pour plaider en faveur d’un système international plus équitable et plus juste.
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