Le renouvellement de l’AGOA fait consensus, mais quelles modalités envisager ?
L’enjeu est de favoriser la croissance économique de l’Afrique sans cautionner les comportements antidémocratiques.
Publié le 10 novembre 2023 dans
ISS Today
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Lors du 20e forum annuel de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act, loi sur la croissance et les perspectives économiques de l’Afrique) qui s’est tenu à Johannesburg la semaine dernière, le gouvernement et le Congrès des États-Unis, les ministres du Commerce africains et les représentants d’entreprises du continent, les syndicats et la société civile se sont entendus sur la nécessité de reconduire l’AGOA avant son expiration en 2025.
Beaucoup pensaient que le renouvellement de 2015 serait le dernier, l’AGOA étant appelée à être remplacée par un ou plusieurs accords de libre-échange (ALE) conventionnels et réciproques. L’AGOA permet aux pays d’Afrique subsaharienne éligibles d’exporter la plupart de leurs produits aux États-Unis sans droits de douane et sans obligation de réciprocité. Dix ans plus tard, aucun ALE n’est en vue pour prendre la relève, en grande partie parce que les États-Unis ont renoncé au libre-échange.
Plutôt que d’abandonner toute possibilité d’accès préférentiel au marché américain pour l’Afrique après 2025, les deux parties semblent d’accord pour prolonger l’AGOA. Les seules questions qui subsistent sont celles de la durée de cette prolongation et des modalités d’élargissement du dispositif à un plus grand nombre de pays africains.
Constance Hamilton, représentante adjointe des États-Unis au commerce extérieur pour l’Afrique, a déclaré avant le forum que l’AGOA n’avait « pas répondu aux attentes que nous avions en 2000 », au moment de sa mise en place. Si certains pays en ont effectivement tiré parti, l’AGOA n’a pas changé la donne pour le continent en renforçant son économie générale et son intégration régionale.
Beaucoup pensaient que le renouvellement de 2015 serait le dernier
Lors du forum, les parties prenantes ont donc discuté des moyens d’intégrer davantage de pays, et ce, alors même que leur nombre vient d’être ramené de 35 à 31. Le Niger et le Gabon seront exclus à partir du 1er janvier 2024 en raison des coups d’État dont ils ont été le théâtre. Quant à l’Ouganda et à la République centrafricaine, leur participation est suspendue pour cause de comportement antidémocratique.
La priorité est toutefois le renouvellement. Les ministres du Commerce des pays africains participants ont appelé à une prolongation d’au moins 10 ans et au maintien de tous les pays bénéficiaires actuels afin de préserver les chaînes de valeur et de soutenir la dynamique d’industrialisation de l’Afrique.
Les personnes présentes ont appris que l’AGOA avait contribué à la création de 155 000 emplois aux États-Unis, en plus des bénéfices qu’elle apporte à l’Afrique. Les États-Unis ont également manifesté leur appui au renouvellement de ce régime à travers des déclarations ou des messages vidéo du président Joe Biden, du secrétaire d’État Antony Blinken et de plusieurs chefs de file des deux partis au Congrès. Ce soutien bipartisan est essentiel, car c’est au Congrès que se déciderait la reconduction du dispositif.
Juste après la clôture du forum, le sénateur démocrate Chris Coons, un ami influent de l’Afrique au sein de la Commission des affaires étrangères, a publié un projet de loi prévoyant le renouvellement de l’AGOA jusqu’en 2041. « Cette prolongation à long terme offrirait aux entreprises la prévisibilité nécessaire pour investir en Afrique subsaharienne à un moment où beaucoup d’entre elles cherchent à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et à réduire leur dépendance à l’égard de la Chine », a-t-il déclaré.
Les questions qui subsistent sont celles de la durée de prolongation et des modalités d’élargissement
Reflet de nombreux aspects discutés lors du forum, son projet de loi propose plusieurs changements visant à élargir la portée de l’AGOA. Par exemple, en vue d’étendre le programme et de l’intégrer à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), le projet de loi Coons modifierait les règles d’origine de l’AGOA afin d’autoriser les intrants provenant des membres nord-africains de la ZLECAf.
Le texte aboutirait également au maintien de plus de pays dans l’AGOA en ne leur retirant leur éligibilité que s’ils se classent dans la catégorie des pays à revenu élevé pendant cinq années consécutives. Cette stratégie éviterait d’exclure puis de réintégrer certains pays dont l’économie fluctue autour du seuil d’accès au statut de pays à revenu élevé, comme ce fut récemment le cas de l’île Maurice. Le projet de loi propose également que l’éligibilité des 49 États d’Afrique subsaharienne soit examinée tous les trois ans, et non plus tous les ans.
La proposition de C. Coons comporte toutefois une mauvaise surprise. Elle entend exclure l’Afrique du Sud de l’AGOA en demandant un réexamen « hors cycle » immédiat de son éligibilité. Cette modalité reflète le ressentiment nourri par les deux partis au Congrès à l’égard de Pretoria pour les relations chaleureuses que le pays entretient avec la Russie, le Hamas et l’Iran qui le soutient.
Stephen Lande, président du cabinet de conseil international Manchester Trade, soutient ce projet de loi en le considérant toutefois comme un premier pas vers un renouvellement et une amélioration de l’AGOA. Il a indiqué à ISS Today qu’Ebrahim Patel, ministre sud-africain du Commerce, de l’Industrie et de la Concurrence, avait fait la même proposition à la fin du forum. Un renouvellement rapide permettrait d’éviter une chute des commandes dans le secteur le plus performant de l’AGOA (l’assemblage de vêtements à partir de tissus fabriqués en Extrême-Orient), sachant que le processus d’exécution de ces commandes prend environ deux ans.
Le projet de Coons entend exclure l’Afrique du Sud en demandant un réexamen hors cycle de son éligibilité Lande estime toutefois que les évolutions découlant du projet de loi de C. Coons ne résoudront pas certains écueils majeurs de l’AGOA. Il propose de donner à l’administration américaine plus de latitude pour décider quels pays doivent sortir du dispositif, au lieu de l’obliger à retirer ceux qui ne respectent pas les conditions fixées par le texte. Sur 49 pays, plus de 10 ne peuvent pas bénéficier pour l’heure des privilèges accordés par l’AGOA.
« L’administration devrait avoir la possibilité de mettre en balance l’intérêt d’exclure un pays et les dommages collatéraux que cela peut engendrer. Par exemple, permettre à un dictateur de faire des États-Unis le bouc émissaire de ses échecs personnels, laisser entrer la Chine, nuire aux groupes mêmes que l’AGOA est censée aider (les femmes travaillant dans le secteur de la couture qui ont été lésées par la suspension de l’AGOA à Madagascar et en Éthiopie) ou perturber les chaînes d’approvisionnement. »
Lande est également d’avis qu’il faudrait assouplir les règles d’origine. Aujourd’hui, les pays membres de l’AGOA doivent apporter 35 % de valeur ajoutée à un produit pour que celui-ci soit éligible. Or, compte tenu de la hausse du coût des composants par rapport à celui de la main-d’œuvre, ce seuil de 35 % ne lui paraît pas réaliste. Pour S. Lande, il faudrait lever les droits de douane sur l’importation de produits transformés à base de cacao, qui font actuellement l’objet de tarifs punitifs car ils contiennent des produits laitiers et du sucre.
L’AGOA devrait inclure tous les membres de la ZLECAf s’ils sont éligibles par ailleurs – au lieu d’en tenir compte uniquement dans le cumul des intrants, comme le propose C. Coons. Les pays d’Afrique du Nord trouveraient ainsi leur place dans l’AGOA, dont ils ne font pas partie actuellement.
Toutes ces suggestions permettraient d’approfondir et d’élargir les avantages de l’AGOA. Cependant, l’idée de S. Lande de donner à l’administration américaine plus de latitude pour intégrer d’autres facteurs stratégiques, comme la décision d’exclure ou non certains États africains pour mauvaise conduite, susciterait des débats épineux sur le plan éthique.
Qu’est-il préférable : encourager la démocratie en écartant les pays à l’attitude antidémocratique, mais au détriment du progrès économique et de l’intégration de l’Afrique ? Ou privilégier le développement économique, en partant que principe qu’il finira par favoriser la démocratie ? C’est la sempiternelle question.
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Image : © GCIS
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