Le Rapport des Nations Unies sur la nutrition relance le débat en Afrique

Les niveaux de sécurité alimentaire dans le monde ne s’améliorent plus et les tendances pour l’Afrique sont particulièrement inquiétantes.

Le dernier rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (SOFI) montre un déplacement prochain de l’insécurité alimentaire mondiale vers l’Afrique. Il met également en évidence de multiples tendances qui menacent de compromettre des décennies de progrès réalisés partout dans le monde en vue de garantir un accès universel à une alimentation sûre et nutritive.

Selon le rapport, environ 690 millions de personnes dans le monde souffraient de sous-alimentation en 2019. L’Afrique ne compte pas le plus grand nombre de personnes sous-alimentées en termes absolus (environ 250 millions sur le continent contre 380 millions en Asie). Cependant, elle a la plus grande proportion de citoyens n’ayant pas accès à une quantité suffisante de calories (environ 19 % de sa population, contre 8,3 % de la population asiatique).

Mais ce n’est pas tout. Entre 1990 et 2012, le pourcentage de personnes souffrant de sous-alimentation dans le monde est passé de près de 25 % à environ 9 %, soit une réduction de près de 500 millions de personnes. Sur la même période, en Afrique, le pourcentage de personnes sous-alimentées est passé de 29 % à 17 % de la population totale du continent.

La sous-alimentation consiste dans le nombre de personnes « dont la consommation alimentaire habituelle est insuffisante pour fournir les niveaux d’énergie alimentaire requis pour mener une vie normale, active et saine ».

Entre 2014 et 2019 cependant, ce chiffre a cessé de baisser. Le pourcentage de personnes souffrant de sous-alimentation dans le monde oscillait autour de 8,5 % (le chiffre pour l’Afrique était d’environ 18,5 %, mais restait relativement stable). Toutefois, en raison de la croissance démographique mondiale, le nombre total de personnes souffrant de sous-alimentation a augmenté d’environ 40 millions dans le monde, dont 30 millions vivent en Afrique.

Depuis 2014, en Afrique, huit conflits ont altéré les systèmes alimentaires et contribué à accroître la faim

Plusieurs raisons expliquent la stagnation mondiale de la sécurité alimentaire depuis 2014. Les perturbations des conditions météorologiques causées par le changement climatique ont accru les périodes de sécheresse dans certains endroits du globe et perturbé la production agricole par des inondations et des tempêtes tropicales dans d’autres. Selon le cabinet de conseil McKinsey, la variabilité et la volatilité croissantes des températures et des précipitations sont amenées à se poursuivre et devraient causer davantage de problèmes de production et de distribution alimentaires en Afrique, indique.

Il existe également un lien fort et inversement proportionnel entre la sécurité alimentaire et les conflits violents. Le rapport SOFI cite huit conflits africains qui ont altéré les systèmes alimentaires et contribué à accroître la prévalence de la faim et de la sous-alimentation depuis 2014. Lorsque les affrontements se prolongent, ils peuvent « facilement détruire la résilience de systèmes alimentaires qui fonctionnent bien », et ce, longtemps après que la situation a été résolue.

Le rapport souligne que l’insécurité alimentaire, le changement climatique et les conflits ne sont pas des problèmes distincts, ils sont inextricablement liés aux ressources naturelles et à d’autres éléments critiques de la vie quotidienne.

En ce qui concerne l’Afrique, l’étude SOFI note que le changement climatique et la « propagation connexe des nuisibles et des maladies » ces 15 dernières années contribuent aux « cercles vicieux de la pauvreté et de la faim, en particulier lorsqu’ils sont exacerbés par des institutions fragiles, par des conflits, par la violence et par le déplacement de populations entières ».

Aux personnes souffrant d’insécurité alimentaire chronique viennent s’ajouter deux milliards de personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire modérée dans le monde. Cela signifie que leur approvisionnement alimentaire est imprévisible et qu’elles peuvent être amenées à réduire leur apport calorique en raison des fluctuations saisonnières de leurs revenus ou d’autres ressources.

D’ici 2030, l’Afrique devrait compter la moitié des personnes sous-alimentées dans le monde, contre 19 % aujourd’hui

Si l’on additionne ces deux catégories, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire en Afrique atteint les 675 millions, soit environ la moitié de la population. En outre, les aliments plus sains comme les fruits et les légumes sont relativement chers dans les pays à faible revenu. Par conséquent, les régimes alimentaires sont riches en denrées de base comme les céréales, les racines et les tubercules, des aliments qui ne favorisent pas nécessairement le développement physiologique et mental des enfants et qui peuvent présenter des dangers pour les femmes pendant la grossesse.

Selon le rapport, environ 965 millions de personnes en Afrique (environ 75 % de la population) n’avaient pas les moyens d’avoir une alimentation saine de façon régulière en 2017. Cela a des conséquences importantes sur le développement humain et économique à long terme. Selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 37 % des enfants souffrant d’un retard de croissance dans le monde vivent en Afrique.

Là encore, malgré les améliorations apportées pour faire baisser la proportion d’enfants souffrant d’un retard de croissance, le nombre absolu continue d’augmenter. L’OMS indique qu’en 2020, environ 31 % des enfants en Afrique souffraient d’un retard de croissance, contre environ 45 % en 1990. Toutefois, sur la même période, le nombre total d’enfants souffrant d’un retard de croissance est passé de 49 millions à environ 61 millions. Ce chiffre stagne depuis 2015.

Le retard de croissance est irréversible. Les enfants touchés par ce problème ont moins de chances de développer des fonctions cognitives appropriées ou de réussir à l’école ; ils sont plus à risque de souffrir de problèmes de santé liés à la nutrition, tels que le diabète, plus tard dans leur vie. Ces mêmes enfants sont statistiquement plus susceptibles d’occuper des emplois mal rémunérés à l’âge adulte, ce qui peut perpétuer le cycle sur plusieurs générations. 

Des données probantes de la période allant de 2014 à 2019 montrent que les efforts actuels ne sont pas suffisants pour atteindre les cibles du deuxième Objectif de développement durable (ODD) visant à éliminer la faim, à assurer la sécurité alimentaire, à améliorer la nutrition et à promouvoir une agriculture durable. Et le rapport SOFI indique que la pandémie de COVID-19 pourrait ajouter entre 83 et 132 millions de personnes aux 690 millions qui étaient sous-alimentées en 2019.

La solution à l’insécurité alimentaire ne réside pas dans une simple augmentation de la production agricole totale

Même sans tenir compte des effets disproportionnés de la pandémie de COVID-19 sur les systèmes alimentaires, l’Afrique reste la région du monde la moins à même de réaliser le deuxième ODD. Si la tendance actuelle se poursuit, l’Afrique devrait compter environ 430 millions de personnes souffrant de sous-alimentation d’ici 2030, soit environ la moitié du nombre total mondial estimé pour cette année-là, contre seulement 19 % actuellement.

Le problème ne réside pas dans des déficits de production. Nous disposons aujourd’hui de suffisamment de cultures vivrières pour nourrir toute la population mondiale, si la répartition était équitable. La solution à l’insécurité alimentaire ne peut cependant résider dans un simple accroissement de la production agricole, et ce, pour plusieurs raisons. Actuellement, le système alimentaire mondial est responsable de 37 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et de près de 70 % de la consommation mondiale d’eau.

Malheureusement, il n’existe pas de solution miracle pour résoudre le problème de la sécurité alimentaire, mais des lignes directrices de portée générale qui permettent de construire un système alimentaire sain ont déjà été formulées. L’International Food Policy Research Institute propose sept éléments à prendre en compte, comme la coordination des efforts de purification de l’eau avec les interventions en matière de nutrition et de santé, et l’amélioration de la gestion de l’eau destinée à l’irrigation.

Cette liste n’est pas exhaustive, et certaines interventions seront mieux adaptées à certaines parties du continent qu’à d’autres. Par exemple, on ne peut pas s’appuyer sur des technologies sophistiquées si l’on ne dispose pas des infrastructures nécessaires à leur utilisation. De nombreuses communautés africaines peuvent néanmoins s’attaquer aux inégalités sociales existantes dans les liens entre l’eau et la nutrition, notamment lorsque les femmes constituent une grande partie de la main-d’œuvre agricole.

Le plus important est sans doute la nécessité pour les décideurs politiques de réfléchir de manière globale au lien entre l’alimentation, l’eau, l’énergie et le changement climatique, tout en s’efforçant d’utiliser les conditions et les connaissances locales dans la mesure du possible. C’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, mais à défaut, les interventions risquent de nuire aux personnes mêmes qu’elles sont censées aider. 

Zachary Donnenfeld, chercheur consultant, ISS

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