Le « Président » Biden devrait prendre l'Afrique beaucoup plus au sérieux
S'il est élu le mois prochain, Joe Biden devra faire plus que revenir à l’époque pré-Trump.
Joe Biden, qui semble être en bonne voie pour battre Donald Trump le 3 novembre, ferait-il une grande différence pour l'Afrique s’il est élu président ? On pourrait s'y attendre vu qu’il n’a pas de gros souliers à remplir. Lorsque Trump n’ignorait pas le continent il l’insultait, notamment par sa fameuse remarque qualifiant certains pays africains de « pays de merde ».
Il ne s'est jamais rendu en visite officielle en Afrique et il semble peu probable qu'il le fasse s’il arrive à transformer une défaite annoncée en victoire le mois prochain. Sa seule réalisation concrète, bien qu'elle soit en grande partie attribuable au Congrès, a peut-être été la loi de 2018 pour une meilleure utilisation des investissements conduisant au développement (BUILD Act).
Cette loi a notamment transformé l'ancienne Overseas Private Investment Corporation en US Development Finance Corporation. Elle a doublé le plafond des projets d'infrastructure du secteur privé que le gouvernement américain pouvait garantir dans les pays en développement à 60 milliards de dollars. Mais cet acte a été largement considéré comme une réponse tardive et peu enthousiaste à la construction et au financement massifs d'infrastructures en Afrique par la Chine.
Sous Trump, les États-Unis ont également orienté une plus grande partie de leur attention vers l’engagement militaire en Afrique, en particulier à travers une guerre contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest, au Sahel et en Somalie. En outre, ils ont à leur actif les sanctions imposées au Zimbabwe en vue de maintenir la pression pour une amélioration de la gouvernance. En République démocratique du Congo (RDC), des sanctions visant à libérer le président Félix Tshisekedi de l'influence néfaste de son prédécesseur ont été appliquées.
Une présidence Biden collaborerait avec l’Afrique plutot en tant que continent qu'un simple ensemble de pays
Qu'est-ce qu'un Président Biden ferait différemment en Afrique ? Beaucoup de choses, d’après certains démocrates à Washington ; en commençant, bien sûr, par montrer au continent un plus grand respect. Une visite présidentielle serait prévue l'année prochaine et Biden accueillerait bientôt un sommet des dirigeants africains, comme l'a fait Barack Obama en 2014.
Le respect de l'Afrique impliquerait, par exemple, la levée de la condition que le Soudan reconnaisse Israël afin d’être retiré de la liste des États qui parrainent le terrorisme. « Les relations de M. Biden avec l'Afrique seraient axées sur ce qui bénéficie à l'Afrique et aux États-Unis, et non à des tiers », a déclaré un ancien diplomate américain en Afrique à ISS Today.
De même, une administration Biden adopterait une position plus nuancée sur la Chine que celle de Trump. Cela signifierait ne pas la considérer uniquement, ou principalement, comme un rival en Afrique, mais reconnaître également sa contribution à l'Afrique et travailler avec elle au profit du continent.
Une autre priorité serait la négociation d'accords de libre-échange réciproques avec l'Afrique, soit au niveau bilatéral, soit au niveau régional. À terme, ces accords remplaceraient la Loi sur la croissance et les perspectives économiques de l'Afrique (AGOA), une loi non réciproque qui autorise les exportations à partir de pays africains éligibles vers les États-Unis, en l’absence de tout droit ou contingent.
Aussi, des experts africains de l'Institut d'études de sécurité (ISS) attendent, ou du moins espèrent, qu'une présidence Biden collaborerait avec l’Afrique plutôt en tant que continent qu'un simple ensemble de pays.
L'administration Trump a empêché l'ONU de financer les opérations de maintien de la paix de l'UA
Le chercheur de l'ISS Mohamed Diatta note que Trump a mené une politique étrangère, en Afrique et ailleurs, principalement fondée sur des relations bilatérales avec des pays qu'il considère comme des partenaires stratégiques, indépendamment des intérêts africains plus larges. Gustavo de Carvalho, chercheur principal à l'ISS, note comment l'administration Trump a empêché les Nations Unies de fournir un financement durable aux opérations de maintien de la paix de l'Union africaine (UA). Il envisage qu'une administration démocrate changerait cette politique.
Tout cela montre que les démocrates américains sont généralement vus comme une meilleure alternative pour l'Afrique que les républicains. Cette opinion peut néanmoins aussi conduire à une certaine complaisance. Certains présidents républicains ont réalisé des progrès plus concrets pour le continent. Après tout, c'est le président George W Bush qui a lancé l'AGOA et le Plan présidentiel américain d'aide d'urgence à la lutte contre le sida (PEPFAR), bien qu’il ait bénéficié du plein appui des démocrates.
Howard French, ancien correspondant en Afrique, et Bret Stephens, chroniqueur d'opinion du New York Times, ont suscité une controverse à Washington à ce sujet. Ils ont laissé entendre qu'un président Biden ne ferait pas plus que de rétablir la politique américaine à l'égard de l'Afrique telle qu'elle était sous les présidents démocrates Bill Clinton et Barack Obama, ce qui est bien trop peu.
Ils ont tous les deux critiqué Susan Rice, qui pourrait devenir la secrétaire d'État de M. Biden s'il gagne, pour son rôle passé en Afrique. Elle a été l'une des principales instigatrices et actrices de la politique américaine en Afrique sous les administrations Clinton et Obama.
French et Stephens soulignent son influence présumée dans la décision de Clinton de ne pas intervenir dans le génocide rwandais, et son soutien à des dirigeants autrefois prometteurs comme l'Éthiopien Meles Zenawi, l'Érythréen Isaias Afwerki, le Rwandais Paul Kagame et l'Ougandais Yoweri Museveni, et ce, après qu'ils sont devenus des « autocrates impitoyables », selon Stephens.
Avec une UA plus affirmée, les relations américano-africaines sous Biden gagneraient à se différencier sur le plan qualitatif
Un groupe de 47 anciens hauts fonctionnaires américains en Afrique, issus des deux partis, dont des secrétaires d'État adjoints, des directeurs et des ambassadeurs du Conseil national de sécurité pour l'Afrique, ont écrit une lettre ouverte défendant fermement le bilan de Mme Rice sur l'Afrique. Selon eux, ce dernier comprend notamment des efforts en vue de rétablir la paix entre l'Éthiopie et l'Érythrée, le Rwanda et l'Ouganda, ainsi qu’en RDC, au Burundi et au Soudan.
S’agit-il simplement d’une querelle entre africanistes américains ? Une présidence Biden apporterait-elle un changement réel pour l'Afrique ?
French met également en garde la présidence Biden contre une importance purement théorique accordée à l’Afrique. Selon lui, le continent a changé de manière spectaculaire au cours des 25 dernières années, avec l'essor de la démocratie, des économies plus fortes et une UA plus affirmée. La présidence Biden doit donc s'engager en tant qu'acteur sérieux.
« Le respect contribuera grandement à relancer les relations américano-africaines si M. Biden est élu », déclare M. Diatta. « Cependant, la politique étrangère américaine a été et continuera d'être guidée par un fort réalisme basé sur la garantie de la "sécurité nationale" et la poursuite des "intérêts nationaux". Cela ne changera pas, qu’un démocrate ou un républicain soit à la Maison Blanche, et je crois que de nombreux décideurs du continent le comprennent. »
Cependant, avec une UA plus affirmée, les relations des États-Unis avec l'Afrique sous une administration Biden gagneraient à se différencier sur le plan qualitatif. Paul-Simon Handy, conseiller régional principal de l'ISS, affirme qu'une administration Biden aurait besoin d'une « stratégie pour l'Afrique qui devra être discutée avec ses homologues africains », ce que l'administration Trump n'avait pas.
Tous ces changements, et peut-être plus, seront nécessaires pour qu'une administration Biden répare les dommages causés par Trump aux relations étrangères américaines en général et restaure une partie de l'autorité morale perdue par les États-Unis, particulièrement en Afrique.
Peter Fabricius, consultant ISS
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