Le nord du Nigeria a besoin d’emplois, pas de pétrole
L'heure n'est pas à l'exploration pétrolière, en particulier lorsqu'elle risque de marginaliser davantage la région la plus vulnérable du pays.
Le projet de loi sur l’industrie pétrolière du Nigeria a été adopté le 1er juillet, ce qui pourrait mettre fin à l’impasse qui prévaut depuis 13 ans, lorsqu’il avait été présenté pour la première fois en 2008. Ce projet de loi est censé réformer radicalement l’industrie pétrolière et gazière du Nigeria afin que ses citoyens bénéficient davantage de ses richesses pétrolifères. Cependant, certaines dispositions semblent aller à l’encontre de cet objectif.
L’une d’entre elles est l’affectation des revenus pétroliers à l’exploration dans la région nord du pays.
Les ressources naturelles peuvent constituer une bonne base pour la croissance et la prospérité. Mais ce qu’implique l’économie politique du pétrole au Nigeria pour la production dans le nord pourrait aggraver la situation sécuritaire, politique et socioéconomique déjà déplorable de la région. En outre, il est peu probable qu’elle fournisse le nombre important d’emplois dont la stabilisation de la région dépend de toute urgence.
Le projet de loi stipule que 10 % des rentes des licences de prospection pétrolière et des baux d’exploitation pétrolière et 30 % des recettes pétrolières perçues par la Nigerian National Petroleum Corporation doivent être affectés à un fonds d’exploration des zones frontalières. Ce fonds a été créé dans le but de financer l’exploration pétrolière soutenue par l’État dans les régions appelées « bassins frontaliers ». Ces derniers comprennent les bassins du lac Tchad, de Gongola, d’Anambra, de Sokoto, de Dahomey et de Bida ainsi que le fossé de la Bénoué, tous situés principalement dans le nord du Nigeria.
Les bassins frontaliers du Nigeria (cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
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En février 2020, le ministre d’État nigérian aux Ressources pétrolières, Timipre Sylva, a annoncé la découverte d’une zone pétrolifère d’un milliard de barils de pétrole brut dans le bassin de Gongola, dans le nord-est du pays. Cette annonce a été accueillie avec scepticisme par le grand public.
La mauvaise gestion par le Nigeria de son secteur pétrolier et sa dépendance à l’égard des exportations de pétrole brut et des importations d’essence sont au cœur de maintes luttes politiques et économiques. Loin de connaître la prospérité économique, la région du delta du Niger, productrice de pétrole dans le sud du pays, souffre de la dégradation de l’environnement, de l’aggravation des problèmes de santé de la population et de l’érosion des moyens de subsistance. Elle connaît également la violence et l’instabilité politique, avec l’émergence de groupes armés depuis 2004.
Compte tenu de la situation dans le delta du Niger, l’augmentation des investissements soutenus par l’État dans la prospection pétrolière est certainement la dernière chose dont le nord du Nigeria a besoin, contrairement à l’idée selon laquelle celle-ci favoriserait l’industrialisation.
La région nord du Nigeria affiche des résultats médiocres par rapport au sud pour presque tous les indicateurs de développement humain
Par rapport au sud du pays, le nord affiche des résultats médiocres pour la quasi-totalité des indicateurs de développement humain. Selon la Banque mondiale, 87 % des pauvres du Nigeria vivent dans le nord du pays, dont près de la moitié dans le nord-ouest. Les données du Bureau national de la statistique montrent que sept des dix États les plus touchés par le chômage et le sous-emploi se situent dans le nord. Ces problèmes affectent également d’autres domaines, tels que la mortalité maternelle et infantile, les taux d’alphabétisation et d'autres aspects de la vie en général.
Les disparités entre le nord et le sud affectent également la prévalence des conflits. Le nord-est est l’épicentre de l’insurrection de Boko Haram au Nigeria, qui aurait causé la mort d’environ 350 000 personnes à ce jour. Les activités de gangs criminels se sont également intensifiées dans le nord-ouest et dans le centre-nord. C’est dans cette région que les affrontements meurtriers entre éleveurs et agriculteurs ont été les plus nombreux. La région a également été touchée de manière disproportionnée par la crise croissante des enlèvements dans le pays.
Les défis auxquels le gouvernement est confronté pour résoudre le conflit dans le nord révèlent la nécessité de s’attaquer aux causes profondes du dénuement socioéconomique et de la faible présence de l’État.
À titre d’exemple, des efforts ont été lancés pour stabiliser le nord-est, qui fait partie du bassin du lac Tchad. La restauration des moyens de subsistance et la création de nouvelles sources de revenus sont au cœur de ces efforts. Les extrémistes violents tirent parti de ces taux d’emploi élevés lors des campagnes de recrutement.
Il faut investir les ressources disponibles dans la protection des vies et des moyens de subsistance et dans la création d’emplois
Par conséquent, c’est bien d’emplois dont le nord a besoin. Or, la production de pétrole brut, à forte intensité de capital, ne peut remplir ce rôle. Au contraire, elle pourrait entraîner la perte de moyens de subsistance en raison de la pollution des terres agricoles et des sites de pêche. L’exploration pétrolière dans le nord du Nigeria ne peut que creuser l’écart de développement avec le sud. Elle peut également aggraver la situation sécuritaire en faisant monter les enchères pour la capture des ressources entre l’État et les extrémistes violents qui cherchent à prendre le contrôle de la région.
Les changements intervenus dans l’industrie pétrolière mondiale, motivés par l’atténuation du changement climatique, vont également à l’encontre d’investissements à long terme dans ce secteur. L’un des principaux producteurs de pétrole du Nigeria a d’ores et déjà fait savoir que ses activités dans le pays ne correspondent plus à ses engagements en matière de stratégie verte. L’environnement réglementaire difficile du pays est un facteur supplémentaire de dissuasion pour les investissements étrangers.
La dépendance du Nigeria à l’égard des exportations de pétrole, qui constituent la principale source de recettes publiques et de devises, place constamment le pays dans des situations économiques difficiles. En 2020, 97 % des recettes de l’État ont été consacrées au service de la dette en raison de la baisse de la demande de pétrole induite par la pandémie de COVID-19.
Le Nigeria doit s’engager sur la voie de l’industrialisation, notamment en se concentrant moins sur la production et l’exportation de matières premières comme le pétrole brut, et davantage sur les produits manufacturés. L’un des moyens d’y parvenir est de transférer les ressources allouées au secteur pétrolier vers des secteurs plus productifs, qui créeront des emplois, tels que l'industrie agroalimentaire pour l’exportation et la consommation intérieure. Ce secteur a le potentiel d’employer davantage de personnes à des niveaux de qualification inférieurs à ceux requis par l’industrie pétrolière.
En pariant sur le pétrole, les dirigeants du Nigeria risquent de marginaliser davantage la région la plus vulnérable
Il est nécessaire d’investir dans la résolution des problèmes qui entravent la production alimentaire de base et plus élaborée. Il s’agit notamment de l’enjeu du stockage inadapté, qui entraîne des pertes importantes de production agricole, ainsi que de celui des installations et infrastructures de traitement et de transport. Il convient en outre de tirer parti des projets commerciaux à l’échelle du continent, tels que l’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine. Le Nigeria doit étudier les moyens d’intégrer les producteurs du nord dans les chaînes de valeur nationales et régionales. L’insécurité est l’une des plus grandes menaces pour les activités agricoles de la région.
Le secteur pétrolier nigérian doit se concentrer sur l’amélioration de l’efficacité, la lutte contre la corruption et la recherche de moyens permettant de remonter dans la chaîne de valeur de la production. Ce n’est pas le moment pour les dirigeants du pays de parier sur le pétrole, au risque de marginaliser davantage sa région la plus vulnérable, d’autant plus que rien ne prouve que le gouvernement ait tiré les leçons de ce qui s’est passé dans le delta du Niger.
Les ressources devraient plutôt être investies dans la sécurisation des vies et des moyens de subsistance dans la région et dans la recherche de moyens visant à créer suffisamment d’emplois pour sa population. C’est de ce type d’attention dont le nord a besoin de la part du gouvernement fédéral.
Teniola Tayo, chargée de recherche, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar
Cet article a été publié grâce au soutien financier du Programme des Nations Unies pour le développement et du gouvernement des Pays-Bas.
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