Le Maroc tient les migrants dans une main de fer
La mort tragique de 37 migrants à Melilla met en lumière la politique sécuritaire du régime autoritaire marocain.
À l’aube du 24 juin dernier, environ 2 000 migrants en provenance de l’Afrique subsaharienne, qui s’étaient rassemblés la veille au nord-est du Maroc, sont partis franchir la frontière pour rejoindre la ville espagnole de Melilla à environ 4 km de là.
Il a été rapporté que nombre d’entre eux étaient armés de matraques, de pierres et de couteaux. Selon plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), dont l’Association marocaine des droits humains (AMDH), la police antiémeute marocaine aurait riposté brutalement, tuant 37 migrants et blessant des centaines d’autres.
Les affrontements ont eu lieu alors que les migrants parvenaient à la clôture de barbelés qui encercle Melilla. Les autorités marocaines ont déclaré que les migrants avaient fait usage de la violence en tentant de rejoindre leur destination. Dires contestés par un porte-parole de l’AMDH, qui a affirmé que la police marocaine avait réagi de façon disproportionnée en utilisant des gaz lacrymogènes et des matraques, sans que la police espagnole n’intervienne. Des migrants blessés sont restés sans soins pendant neuf heures, avant que n’arrivent des ambulances et les services d’urgence.
Même après ces décès et l’arrestation de 60 à 70 migrants, la police marocaine a continué d’user de violence envers des migrants soudanais et nigérians, alors qu’ils étaient désarmés et appelaient à l’aide. L’opinion publique a été choquée par les images qui ont circulé, à l’inverse de la communauté internationale, tant sur le plan politique que diplomatique. Tout en reconnaissant que les migrants s’étaient montrés violents, le maire de Melilla, Eduardo de Castro, a été l’un des seuls à dénoncer la « riposte disproportionnée » du Maroc.
Des migrants blessés sont restés sans soins pendant neuf heures avant que les secours n’arrivent
Cette tragédie, qui s’est déroulée aux portes de l’Europe, n’est pas sans rappeler des affrontements similaires avec des migrants en mai 2021 à Ceuta, une autre enclave espagnole située au nord du Maroc. Le Maroc a ouvert ses frontières pour faire pression sur l’Espagne lorsque celle-ci a autorisé l’hospitalisation sur son sol de Brahim Ghali, dirigeant de la République arable sahraouie démocratique et du Front Polisario. Environ 8 000 migrants sont parvenus à Ceuta.
Cet incident a envenimé les relations diplomatiques entre Rabat et Madrid, ce dernier accusant le Maroc d’agression. Depuis lors, les liens entre les deux pays se sont renoués, chaleureusement d’ailleurs, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, ayant reconnu le 18 mars 2022, de façon unilatérale, l’autorité du Maroc sur le territoire occupé du Sahara occidental. Le roi du Maroc, Mohammed VI, a récemment appelé ses partenaires à clarifier leur position sur le Sahara occidental et à soutenir le Maroc « sans ambiguïté ».
Rabat estime être le premier rempart africain contre le terrorisme et les migrations illégales vers Europe, jouant ainsi la carte de l’allié sur lequel l’Union européenne (UE) et les États-Unis peuvent compter. C’est pourquoi l’UE ne condamne que rarement les tragédies comme celles de Melilla.
Le Maroc, qui bénéficie de fonds européens, joue un rôle de premier ordre pour empêcher l’arrivée de migrants africains en Europe. En guise de remerciement, Rabat a droit au silence face à des désastres tels que Melilla, ou, comme cela a été le cas avec l’Espagne, à la reconnaissance du Sahara occidental en tant que territoire occupé. Bien qu’il se soit par la suite rétracté, Sanchez a même salué la collaboration entre l’Espagne et le Maroc à la frontière, qualifiant la tentative de migration d’« attaque brutale contre l’intégrité territoriale de notre pays », attaque qui, selon lui, a été correctement gérée.
L’UE et les alliés du Maroc ne condamnent que rarement les tragédies comme celles de Melilla
Dans son communiqué du 26 juin, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a exprimé son « profond désarroi » et a demandé que l’incident fasse immédiatement l’objet d’une enquête. Il a rappelé « à tous les pays leur devoir, en vertu du droit international, de traiter tous les migrants avec dignité. »
Toutefois, l’UA n’a pas condamné le Maroc pour ce qui a été qualifié de massacre. L’organisation continentale s’exprime rarement sur les actions de l’un de ses États membres, d’autant plus que dans ce cas, le Maroc est l’un de ses principaux contributeurs financiers.
Deux jours après la tragédie du 24 juin, l’AMDH a publié une image montrant les autorités marocaines creusant ce qui semblait être 20 tombes, destinées, pense-t-on, aux migrants décédés lors de leur passage. Il est à craindre que les autorités marocaines aient l’intention d’enterrer les morts sans qu’aucune enquête, autopsie ou identification ne soit effectuée afin de dissimuler la catastrophe. Le 25 juin, neuf ONG espagnoles et marocaines, dont l’AMDH et l’Organisation démocratique du travail du Maroc, ont demandé qu’une enquête judiciaire indépendante soit immédiatement ouverte.
Puisque les migrants s’étaient rassemblés la veille de l’incident, les services de renseignements marocains devaient être informés de leurs préparatifs. Rabat s’enorgueillit régulièrement du professionnalisme et de l’efficacité de ses services de sécurité. Ces derniers auraient donc pu empêcher l’arrivée des migrants à Melilla et éviter le massacre.
La police marocaine aurait probablement pu empêcher l’arrivée des migrants à Melilla et éviter le massacre
Le Maroc est souvent présenté comme un pays moderne et progressiste, surtout par rapport à d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. L’année dernière, Laura Palatini, cheffe de mission de l’Organisation internationale pour les migrations a déclaré : « Le Maroc est l’un des rares pays qui fait figure de modèle pour sa gestion des questions migratoires et son traitement décent des étrangers, tout en offrant une vie digne ».
Ce portrait idéalisé induit en erreur. Sean Yom, spécialiste des régimes du Moyen-Orient et du Maroc, a écrit en 2017 que le Maroc « a une bonne image uniquement parce que les autres régions laissent beaucoup à désirer.
» Le Maroc apparaît comme un pays prometteur sur le plan de sa capacité à se réformer comparé aux autres monarchies du Golfe, dont font partie certaines des dictatures les plus fermées et les plus liberticides du monde. Mais, considéré hors de cet environnement et analysé en tant que tel, le régime de la dynastie alaouite du Maroc perd de son attractivité. »
En une seule année, les autorités marocaines ont été impliquées dans deux crises meurtrières liées aux migrants. Dans les deux cas, les alliés et les partenaires européens de Rabat ont ignoré le sort des migrants.
Comme le journal Le Monde l’a souligné lors de la crise de Ceuta, la politique migratoire de Rabat est révélatrice de l’autoritarisme du régime qui gouverne le pays d’une main de fer. À la suite du massacre de Melilla, il est certainement « temps pour les chancelleries occidentales, ainsi que celles de l’UA, de questionner leur naïveté » envers leur proche allié, le Maroc, en commençant par le sanctionner.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, ENACT, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du lac Tchad
Image : © Javier Bernardo/AP
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