Le Japon a-t-il une carte à jouer sur les problématiques sécuritaires en Afrique de l’Ouest ?

L’expérience du Japon en matière de reconstruction et de développement économique pourrait profiter aux États de la région.

Alors que les partenaires extérieurs peinent à trouver des réponses adaptées aux défis multiformes auxquels fait face l’Afrique de l’Ouest, l’approche japonaise pourrait constituer une option intéressante à explorer.

Contrairement à d’autres acteurs extérieurs mobilisés sur le front de la sécurité, le Japon jouit d’une image plutôt positive auprès des pays de la région. Outre son approche collaborative et son absence de passé colonial sur le continent, le pays n’est pas soupçonné de vouloir contrôler les ressources ou de poursuivre des objectifs cachés afin d’endiguer la migration.

L’attaque d’In Amenas en Algérie, en janvier 2013, a constitué un tournant dans l’engagement du Japon en Afrique de l’Ouest. 10 ingénieurs japonais ont perdu la vie lors de cette prise d’otages revendiquée par un groupe dissident d’Al-Qaïda. Le Japon a alors pris conscience de la nécessité de s’engager sur les questions de sécurité qui agitent un continent de plus en plus associé à ses intérêts stratégiques. L’enjeu est notamment d’encourager les investissements en Afrique, de concurrencer la Chine (très présente sur le marché africain) et de maintenir l’image d’un Japon qui contribue activement à la paix.

Après l’attaque de 2013, le Japon a adopté trois nouveaux piliers en matière de politique étrangère : renforcer les mesures contre le terrorisme international, soutenir la stabilisation au Sahel, en Afrique du Nord et dans les pays arabes, et promouvoir le dialogue et les échanges avec les pays islamiques et arabes.

Le Japon a renforcé ses activités dans les régions d’Afrique confrontées au terrorisme

Lors de la 5e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD5) en 2013, le Japon s’est engagé à fournir une aide humanitaire et au développement d’un montant de 1,3 milliard de dollars à destination du Sahel. Lors de la conférence suivante, en 2016, le pays s’est engagé à allouer 120 millions de dollars au renforcement des capacités de lutte contre la menace terroriste. Ces initiatives ont marqué le début de l’élargissement de l’engagement du Japon, qui se concentrait traditionnellement sur la croissance économique et la sécurité humaine de l’Afrique.

Lors de la TICAD7 en 2019, le Japon a adopté la Nouvelle approche pour la paix et la stabilité en Afrique (NAPSA) qui constitue, avec les piliers de la TICAD 7, le cadre de sa stratégie en Afrique.

Le Japon a depuis renforcé ses activités dans les régions de la Corne de l’Afrique, du Sahel et du bassin du lac Tchad confrontées à des conflits et au terrorisme. À titre d’exemple, il a rejoint le G5 Sahel en tant que membre observateur en juillet 2019 et apporté un soutien financier au processus de stabilisation dans la région du Liptako Gourma et le bassin du lac Tchad.

La NAPSA vise à s’attaquer aux causes profondes de la violence en renforçant les institutions et la gouvernance, en soutenant les initiatives sur le continent et en stabilisant les zones de conflit. Elle prévoit également une aide humanitaire aux réfugiés et aux déplacés internes. Au cours de la TICAD7, le Japon a manifesté sa volonté de modifier sa stratégie en passant d’une aide massive au développement à une augmentation des investissements publics et privés afin de contribuer à l’amélioration de la sécurité humaine.

Contrairement à d’autres acteurs extérieurs, le Japon jouit d’une image plutôt positive en Afrique de l’Ouest

Dans la pratique, toutefois, le Japon n’a pas réussi à effacer l’image d’un bailleur de longue date d’aide publique au développement. En Afrique, son soutien à la paix et à la sécurité reste bilatéral et multilatéral, comme en témoignent ses contributions financières et techniques à l’Organisation internationale pour les migrations, au Programme des Nations unies pour le développement et à l’Agence des Nations unies pour les réfugiés. Le Japon est actuellement le neuvième plus grand contributeur financier au Fonds pour la consolidation de la paix des Nations unies, la plupart de ses projets étant mis en œuvre dans des États africains.

La contribution du Japon consiste également à fournir des équipements relatifs à la sécurité et à soutenir le renforcement des capacités des acteurs de la sécurité et de la justice. Toutefois, l’impact de ces formations reste limité en raison du manque de connaissances des formateurs japonais sur le contexte et les dynamiques internes des pays africains.

En outre, l’Afrique, perçue comme éloignée et sujette à des risques sécuritaires, attire peu les investisseurs japonais. Ce manque d’intérêt et de connaissances explique le faible niveau d’investissement privé en Afrique de l’Ouest. Les pays anglophones d’Afrique de l’Est et australe constituent les principales zones d’implantation des entreprises japonaises.

Le Japon fait néanmoins des efforts pour encourager les investissements privés et rattraper son retard sur le marché africain. Les entreprises japonaises sont également invitées à se positionner sur le marché ouest-africain, notamment dans le cadre du projet d’Anneau de croissance en Afrique de l’Ouest, qui couvre le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin.

L’Afrique attire peu les investisseurs japonais, qui la considèrent comme éloignée et peu sûre

Ce projet vise à développer les infrastructures de base et à lever les obstacles au commerce et au transport afin de promouvoir le développement de la région et d’attirer les investissements directs étrangers. Soutenue par l’Agence japonaise de coopération internationale, l’initiative vise à favoriser l’implantation d’entreprises japonaises en Afrique de l’Ouest.

Ces spécificités de l’engagement du Japon sur le continent pourraient offrir aux décideurs japonais une marge de manœuvre pour effectuer des choix de politique étrangère qui impulseront des changements, à un moment où l’Afrique de l’Ouest en a besoin. L’expérience avérée du Japon en matière de reconstruction et de développement économique pourrait profiter aux États confrontés à une variété de défis. Ces derniers devraient se préparer en développant des stratégies pour mieux se positionner par rapport aux partenaires extérieurs.

Aïssatou Kanté, chercheure, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

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Image: © TOSHIFUMI KITAMURA/AFP

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