Le Grand nord du Cameroun, un nouveau fief de la drogue ?
Faute de contrôle, le trafic de drogues augmente et exacerbe l'insécurité au nord du Cameroun.
Publié le 10 décembre 2024 dans
ISS Today
Par
Célestin Delanga
chargé de recherche, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
Après la Journée Internationale contre l'abus et le trafic illicite de drogues de juin, le ministre de la Santé publique du Cameroun a révélé que l'Extrême-Nord était l'une des trois principales régions du pays où les taux de consommation de drogues étaient les plus élevés. Les deux autres régions sont le Nord-Ouest et le Sud-Ouest.
En 2021, l’Extrême-Nord comptait à elle seule 43% des nouveaux consommateurs de drogues, contre 10 % en 2017 et 22 % en 2019. Le trafic de drogues alimente au moins trois types d'insécurité : la violence de Boko Haram, la criminalité urbaine et les enlèvements contre rançon. En retour, cette insécurité favorise le trafic de drogues.
La crise sécuritaire provoquée par Boko Haram a entraîné une prolifération des drogues dans la région. Les insurgés consomment des stupéfiants pour perpétrer des actes violents, ce qui provoque une ruée vers les drogues dans les zones sous leur influence.
Cette situation a aggravé une économie illicite de la drogue qui impliquent des transporteurs, des consommateurs, des distributeurs et des commerçants malhonnêtes. Le trafic de drogues est devenu une menace importante pour la sécurité dans cette partie du Cameroun, d'où l'urgence de renforcer le contrôle et la police locale.
Carte de la partie septentrionale du Cameroun
Source: ISS
|
L'Institut d'études de sécurité (ISS) a enregistré une dizaine de saisies majeures de drogue entre Garoua et Maroua de 2022 à 2024. Au moins cinq tonnes de cannabis d'une valeur estimée à un milliard de francs CFA ont été saisies, et des centaines de kilogrammes de tramadol confisquées.
En mars 2022, les autorités ont découvert 20 sacs de cannabis d'une valeur de 100 millions de francs CFA à Maroua. En novembre 2023, un camion transportant une grande quantité de cannabis et de tramadol a été confisqué à Garoua. En septembre 2024, plus de quatre tonnes de cannabis ont été saisies entre Moutourwa et Maroua. Un policier interrogé par ISS a déclaré que ces opérations n'étaient que la partie visible de l'iceberg.
La cocaïne et l'héroïne entrent au Cameroun principalement par le port et l'aéroport de Douala, en provenance d'Amérique latine et d'Asie. Elles empruntent aussi le corridor Douala-N'Djamena, transitant par le Nord et l'Extrême-Nord du Cameroun.
D’après les investigations de l’ISS, des drogues sous forme d'opioïdes, comme le tramadol, en provenance de l'Inde, pénètrent dans le Nord et l'Extrême-Nord du Cameroun par plusieurs corridors depuis le nord du Nigéria. De grandes quantités de tramadol sont transportées du nord du Nigeria vers Amchidé, Fotokol et Kousseri, notamment.
La prolifération des drogues est un symptôme et une cause de l'insécurité grandissante
Le tramadol en provenance de Mubi entre également par Boukoula et alimente le marché noir du Nord et de l'Extrême-Nord. Le fleuve Bénoué est un passage important pour le trafic de drogues. Les trafiquants se procurent de grandes quantités de tramadol à partir de Kano. Ils les dissimulent dans des produits légaux jusqu'à Djimeta, dans la région de l'Adamaoua, avant de les transférer vers Garoua sur de petites embarcations.
Le cannabis est également chargé à Djimeta et dissimulé dans des sacs de thé ou de café séché. La plupart des drogues sont destinées aux combattants de Boko Haram, aux groupes criminels des zones urbaines et aux preneurs d'otages des zones rurales.
Des ex-combattants de Boko Haram ont révélé que les insurgés consommaient des drogues pour commettre des actes de violence. Les kamikazes sont également contraints de se droguer avant d'attaquer. En 2017, 600 000 comprimés de tramadol détenus par Boko Haram ont été saisis par les douanes camerounaises à Taifara.
D’après les suspects, la drogue était destinée notamment aux kamikazes. La Force multinationale mixte signale également souvent des saisies de drogues destinées à Boko Haram.
L’usage de stupéfiants par les insurgés a provoqué une ruée vers les drogues dans leurs zones
La criminalité urbaine sévit dans les villes de Garoua, Maroua et Kousseri. Le taux de criminalité est passé de 48 % en 2020 à 66,82 % en 2021 à Garoua. Des sources policières indiquent que la prolifération des drogues est une cause importante de la montée de l'insécurité.
Les bandes criminelles, sous l'influence de drogues facilement accessibles, commettent des assassinats ciblés, des vols à main armée, des viols et sont mêlées à des bagarres mortelles à l’arme blanche. Les opérations de bouclage menées par les forces de défense et de sécurité camerounaises aboutissent régulièrement à l'arrestation de suspects en possession de drogues.
Enfin, la drogue alimente les enlèvements contre rançon dans les zones rurales du Nord. Selon les anciens otages et ravisseurs, ces derniers consomment des drogues pour violenter leurs victimes. La drogue les pousse à agir avec plus de brutalité et sans remords.
Si aucune mesure n'est prise pour lutter contre la prolifération du trafic de drogues, la région connaîtra des problèmes de sécurité profonds et durables, avec des conséquences sur la santé mentale et physique des populations.
Les acteurs impliqués dans la lutte contre le trafic de drogues déploient des efforts positifs, mais encore insuffisants, en raison d’un système de contrôle qui reste faible. La loi de 1997, qui pourrait être dissuasive, punit le trafic de drogues de 10 à 20 ans d'emprisonnement ferme et d'une amende pouvant aller jusqu'à 250 millions de francs CFA. Cependant, elle n'est pas appliquée de façon stricte.
Il est urgent de coordonner et renforcer le contrôle des drogues pour endiguer la violence
Le plan stratégique national de lutte contre la drogue 2024-2030 n'intègre pas nécessairement une approche basée sur la répression et le démantèlement des réseaux de trafiquants de drogues.
Il est donc urgent de renforcer le système de contrôle. Le comité national de lutte contre la drogue, qui coordonne et examine les problèmes liés à l'usage des stupéfiants, devrait ajouter à son agenda le contrôle et le démantèlement des réseaux de trafiquants de drogues.
Pour ce faire, une unité spéciale mobile mixte associant la gendarmerie, la police et la douane doit être mise en place. Positionnée le long du corridor Douala-N'Djamena, elle devrait être très mobile et en mesure de surveiller les routes secondaires, notamment celles conduisant au Nigeria. Une telle unité doit être équipée du matériel adapté pour la détection et le contrôle des stupéfiants.
Son travail doit impliquer des comités de vigilance locaux qui peuvent fournir des renseignements précieux. Dans les centres administratifs, il faut aussi encourager la police de proximité, en mettant l’accent sur les attentes et les besoins de la population locale, tout en favorisant un climat de franche collaboration entre la communauté et la police.
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.