Commission électorale du Ghana

Le Ghana se dirige-t-il vers des troubles électoraux ?

Alors que les élections de décembre 2024 approchent, la méfiance grandissante envers les institutions de l'État et les tensions non résolues menacent de perturber le scrutin.

Le 7 décembre, les Ghanéens voteront pour un nouveau président et 275 députés. Ce sera la neuvième élection consécutive depuis le retour du Ghana à un régime constitutionnel en 1992.

Le Ghana est réputé en Afrique de l'Ouest pour sa démocratie et sa stabilité politique, en partie parce que les contentieux sur les résultats des élections de 2012 et de 2020 ont été réglés par voie de justice. Il a connu des alternances pacifiques entre les deux principaux partis politiques, le New Patriotic Party (NPP), au pouvoir, et le National Democratic Congress (NDC), dans l'opposition, à trois reprises : en 2001, en 2009 et en 2017.

Cependant, les accusations du NDC contre le NPP de vouloir truquer les élections, et les désaccords entre les deux partis sur la neutralité de la Commission électorale (CE), des services de justice et de sécurité pourraient conduire à la violence et à l'instabilité. Le discours préélectoral déjà s’exaspère, les deux partis faisant des déclarations discordantes sur les plateformes de campagne.

Ces emportements verbaux ont toujours caractérisé les élections ghanéennes. Cependant, les scrutins de 2024 s’organisent dans un contexte de suspicion accrue, notamment en raison des développements relatifs à la CE et des retombées des scrutins de 2020, dont les résultats avaient été rejetés par le NDC.

Le NDC doute de l’indépendance des tribunaux d’instance ghanéens

La course à la présidence oppose principalement le vice-président Mahamudu Bawumia du NPP et l'ancien président John Dramani Mahama du NDC. Les enjeux sont considérables pour les deux partis, le NPP cherchant à remporter un troisième mandat, Mahama et le NDC voulant éviter une troisième défaite consécutive.

Le président sortant, Nana Addo Dankwa Akufo-Addo a déclaré qu'il ne souhaitait transmettre le pouvoir qu'à un président du NPP. Bryan Acheampong, ministre de l’Alimentation et de l’Agriculture a également déclaré que le parti au pouvoir ne céderait pas les rênes de l’État au NDC.

Mahama a qualifié ces élections d’affaire de vie ou de mort soutenu par les jeunes du parti qui ont accusé les institutions publiques de partialité.

Le NDC pense que le NPP pourrait mettre en œuvre de présumés plans de truquage avec la complicité de la CE. La méfiance est née de la révocation par Akufo-Addo en 2018 de l'ancienne présidente de la Commission, Charlotte Osei, nommée par Mahama, et de ses deux adjoints, et la nomination d'un nouveau président et de plusieurs autres commissaires soupçonnés de pencher pour le NPP. Plusieurs représentants de la société civile et des experts indépendants interrogés par l'Institut d'études de sécurité ont également fait part de leur méfiance.

La méfiance est alimentée par le vol présumé de kits d'enregistrement sous la garde de la Commission électorale

Le NPP affirme que ces nominations ont fait l'objet de consultations avec le Conseil d'État, un organe bipartite composé d'éminents Ghanéens qui conseillent le président sur les questions nationales, et qu'elles ont été approuvées par le Parlement. Cependant, les nominations du vice-président et d'un autre commissaire, qui, selon le NDC, étaient tous deux des leaders de l'aile étudiante du NPP, ont suscité la controverse.

Le mois dernier, le vol présumé de kits d'enregistrement biométrique d’électeurs sous la garde de la CE a renforcé la méfiance. Bien que celle-ci affirme que seuls sept ordinateurs portables aient disparu, et non des kits entiers (comprenant des appareils photo et des imprimantes), plusieurs personnes interrogées ont exprimé leur inquiétude quant à son manque de communication sur l'incident. Soulignons également la possibilité que ces kits soient utilisés pour l'inscription illégale d'électeurs.

Cet épisode intervient dans un contexte d'erreurs et de changements dans la compilation des résultats des élections de 2020 par la CE. Bien qu’elle ait intercepté les membres du personnel soupçonnés d'être impliqués (ils ont également été mis aux arrêts et sont dans l’attente de leur procès), cela soulève des doutes quant à l'intégrité des listes électorales et pourrait ouvrir la voie à une contestation des résultats.

La décision de la CE de limiter l'inscription des nouveaux électeurs de la session du 7 au 29 mai à moins de 2 000 centres d'inscription dans tout le pays, surtout pour des raisons logistiques et de ressources, suscite également la méfiance. Bien que 785 de ces centres aient été ouverts dans des zones reculées, cette décision soulève des inquiétudes quant à l'accessibilité et à la privation possible du droit de vote. Des erreurs de chiffres dans la publication de certaines inscriptions, que la CE a corrigées par la suite, ont renforcé ces appréhensions.

Les discours de campagne du NPP et du NDC devraient encourager la paix et le dialogue inclusif

La façon dont la CE considère le Comité consultatif interpartis (IPAC) crée un autre problème. L’IPAC est un groupe de partis politiques, de représentants de la société civile et de partenaires du développement qui sert de plateforme de consultation. Or, selon certaines personnes interrogées, la CE aurait traité l’IPAC comme un moyen de partager des informations et non comme un moyen de consultation et de construction d'un consensus. Le NDC a donc boycotté les réunions de l'IPAC pendant près de trois ans, jusqu'à ce que les efforts de médiation du Conseil national pour la paix aboutissent à son retour en décembre dernier.

Les tribunaux pourraient arbitrer en cas de contestation des résultats, comme en 2012 et en 2020, mais le NDC et le NPP se sont également opposés sur leur indépendance. En 2021, Mahama a critiqué la décision unanime de la Cour suprême qui a confirmé la victoire d'Akufo-Addo lors de son second mandat. Il affirme qu'il ne saisira pas la Cour pour régler un autre contentieux postélectoral, car, les juges étant nommés par Akufo-Addo, le NDC ne pourrait pas obtenir justice. Ceci en dépit de la décision de 2013 qui a confirmé l'élection de Mahama, contestée par Akufo-Addo et le NPP.

Le NDC accuse souvent le pouvoir judiciaire d'être partial. Une personne interrogée a soutenu ce point de vue, critiquant plusieurs décisions très médiatisées, même celles de la cour d'appel et des tribunaux d’instance, les dénonçant comme étant politiques et en faveur du NPP.

La méfiance à l'égard de la CE et du pouvoir judiciaire est renforcée par le sentiment de l'opposition et d'une partie de la société civile que les institutions ghanéennes chargées de l'application de la loi et de la sécurité pourraient ne pas être neutres lors des élections. C’est un problème récurrent, le NDC et le NPP, lorsqu'ils étaient dans l'opposition, ayant déjà contesté leur neutralité, allant jusqu’à former des groupes d'autodéfense pour assurer la sécurité.

À la suite d'un tollé provoqué par les violences commises lors d'une élection parlementaire partielle en 2019, la loi sur les groupes d’autodéfense et les infractions connexes (Vigilantism and Related Offences Act, Act 999) les a  interdits. Néanmoins, des experts indépendants affirment qu'ils sont simplement entrés dans la clandestinité et que les partis pourraient facilement les activer.

Alors que le Ghana se prépare aux élections, les acteurs nationaux et les partenaires du pays devraient s'efforcer de réduire la suspicion et la méfiance. La CE devrait adopter une approche plus consultative, assurer une plus grande transparence et une meilleure communication avec les partis afin d'instaurer la confiance. Cela est essentiel dans un contexte où plusieurs personnes interrogées ont identifié la désinformation comme une source potentielle de violence.

Le NPP et le NDC devraient être vigilants dans leur propos, en veillant à ce que les déclarations de campagne encouragent la paix et le dialogue inclusif. Le Conseil national pour la paix devrait multiplier ses efforts de médiation et de dialogue tout en s'efforçant de mieux sensibiliser toutes les parties prenantes à son mandat. 

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Partenaires de développement
Cet article a été publié avec le soutien du projet Architecture et opérations de paix et de sécurité de la CEDEAO (EPSAO), cofinancé par l'Union européenne (UE) et le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), mis en œuvre par la GIZ. Les idées exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'UE, du BMZ et de la GIZ. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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