Le défi démographique de l’Afrique est bien réel

Pour stimuler la croissance économique et réduire la pauvreté, la population africaine en âge de travailler doit être supérieure à celle des personnes à charge.

Les propos comme ceux du président John Magufuli déclarant récemment que les femmes tanzaniennes devraient « renoncer aux moyens de contraception » et qu’il ne voyait « aucune raison de contrôler les naissances en Tanzanie » sont infondés.

La Tanzanie est l’un des pays africains qui a le taux de fertilité le plus haut avec le Niger, la République démocratique du Congo, le Mali, l’Angola et l’Ouganda. John Magufuli risque de condamner son pays à une  pauvreté importante et durable, étant donné le niveau très élevé du taux de fertilité qui exclut la possibilité d’une croissance raisonnable des revenus en Tanzanie.

Dans un pays donné, lorsque la population en âge de travailler (soit les personnes entre 15 et 64 ans) est de loin supérieure à celle des personnes à charge (les personnes très jeunes et les personnes âgées), s’ouvre une fenêtre économique d’opportunité appelée dividende démographique. Le ratio entre la population active et les personnes dépendantes est si important qu’il explique un tiers, voire la moitié du taux moyen annuel de croissance économique à long terme. Ce ratio est déterminé par le nombre moyen d’enfants par femme au cours de sa vie.

Actuellement, en Afrique, une femme a, en moyenne, 4,5 enfants. Dans le reste du monde, la moyenne est proche de deux enfants par femme – chiffre généralement considéré comme étant le taux de renouvellement de la population et permettant de conserver la stabilité de la taille de la population. En Tanzanie, ce taux est de cinq enfants par femme.

En raison de sa population extraordinairement jeune, l’Afrique bénéficiera d’une démographie favorable, mais seulement à long terme et peut-être dans une moindre mesure que ne le prévoient la plupart des Africains (voir figure 1).

 
Source: International Futures v7.36

 

Deux voies s’offrent aux pays pour leur permettre de bénéficier du dividende démographique. La première consiste à réduire rapidement le taux de fertilité afin de parvenir dès que possible à un ratio élevé de personnes en âge de travailler par personne à charge. C’est ce qui s’est produit dans l’économie chinoise et celle des Tigres asiatiques (Hong-Kong, Singapour, la Corée du Sud et Taïwan) et qui a contribué à expliquer leurs taux de croissance économique élevés.

Dans ces pays, les taux de fertilité totaux ont décliné rapidement, passant de six enfants par femme à moins de deux en l’espace de deux générations. Cette baisse s’est traduite par un ratio exceptionnellement élevé de personnes actives par rapport aux personnes à charge, ce taux culminant à 2,8 personnes actives pour chaque personne dépendante, avant de commencer à baisser, depuis peu. Le résultat fut une croissance des revenus incroyablement rapide.

La stratégie alternative consiste à demeurer à un ratio moindre, mais cependant favorable, de personnes en âge de travailler par personne à charge pendant une période prolongée – c’est l’une des principales raisons de l’amélioration soutenue du niveau des revenus aux États-Unis et dans les pays scandinaves durant plusieurs décennies successives.

Les États-Unis, par exemple, ont pu bénéficier d’un dividende démographique pendant trois-quarts de siècle, avec un ratio qui a fluctué entre 1,5 et deux actifs par personne à charge. Le taux de fertilité aux États-Unis a toujours été légèrement supérieur à celui d’autres pays à niveaux de revenus similaires. De plus, l’afflux important et constant de jeunes migrants a contribué à augmenter la taille de sa population active par rapport à celle des personnes à charge.

L’Afrique n’a pas eu cette chance. Le taux de fertilité moyen était de près de sept enfants par femme durant l’ère des indépendances, dans les années 1960. Le ratio des personnes actives par personne dépendante (principalement des enfants) a en fait diminué pendant plusieurs décennies passant de 1,2 (ce qui était déjà faible) à moins de 1,1 à la fin des années 1980.

Ce déclin résulte de la lente baisse des taux de fertilité en Afrique, qui ont progressivement atteint un niveau légèrement inférieur à six enfants par femme autour de 1990. Les revenus d’un groupe plus restreint de personnes actives ont dû être répartis entre des personnes à charge plus nombreuses, constituant le principal obstacle à l’augmentation des revenus moyens.

La baisse des taux de fertilité en Afrique connaît actuellement une faible accélération et le ratio d’actifs par personne à charge s’améliore. Cette tendance continuera à long terme. Le ratio d’actifs par personne à charge se situe autour de 1,3. D’ici 2030, il atteindra 1,4 et culminera finalement autour de deux en 2070 (voir figure 2). À partir de 2050, lorsque le ratio dépassera 1,7, l’Afrique pourrait connaître une période de solide croissance économique.

 
Source: International Futures v7.36

 

Ces liens de causalité pourront, bien entendu, être affectés par d’éventuelles découvertes dans les domaines des sciences et de la santé. Il est évident que les personnes vivront plus longtemps et en meilleure santé dans le futur, et elles travailleront probablement un peu plus longtemps.

En utilisant le système de prévision International Futures de l’université de Denver, on estime que le taux de croissance économique futur de l’Afrique dans sa période d’apogée du dividende démographique atteindra péniblement une moyenne de 5 % par an. Ceci est dû en partie à son ratio relativement modéré d’actifs par personne à charge. Cette croissance est bien trop faible pour fournir suffisamment d’emplois et améliorer les moyens de subsistance pour une population en expansion rapide.

En améliorant le planning familial, l’accès à l’eau potable, l’assainissement ainsi que l’éducation, cela pourrait changer. Un récent rapport de l’Institut d’études de sécurité sur la démographie présente une simulation dans laquelle le dividende de l’Afrique progresse grâce à un meilleur approvisionnement en eau et en assainissement, à une plus grande autonomie des femmes, à la réduction de l’écart entre les sexes dans l’éducation et la satisfaction de la demande de moyens de contraception, que les estimations de l’ONU traduisent comme équivalant à deux enfants de moins par femme.

 
Source: International Futures v7.36

 

Dans ce scénario, le continent compterait, d’ici 2063, 418 millions de personnes en moins. La pauvreté serait largement éliminée et l’économie africaine pèserait 1,7 billion de dollars US de plus. Les revenus moyens en Afrique seraient alors bien plus élevés (voir figure 3).

Les Africains doivent s’engager dans des débats publics et dans l’analyse des incidences de la structure par âge de la population du continent sur l’économie et le développement. Il est essentiel que les responsables politiques s’impliquent dans le débat sur les inégalités entre les sexes et sur la taille des familles. De même, des campagnes médiatiques publiques doivent être réalisées sur les bienfaits, en termes de santé et d’économie, de la famille de taille restreinte. Ce sont les faits, bien réels, et non les idées sans fondement, qui doivent être à l’origine des politiques.

Jakkie Cilliers, Chef, Futurs africains et Innovation, ISS Pretoria

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Photo : UNPhoto/Flickr

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