Le chevauchement des blocs régionaux en Afrique ne sert pas leur efficacité
L’adhésion de nombreux pays à plus d'une organisation divise les loyautés et limite les capacités et la cohésion.
Les groupes régionaux africains sont censés être les éléments constitutifs d’une Union africaine (UA) intégrée. Sur un vaste continent de 55 pays, de telles associations semblent logiques. En effet, lorsqu’elles sont exploitées de manière optimale, elles permettent aux États membres de traiter efficacement les questions de sécurité, de développement et d'économie transfrontalières et de lancer conjointement des projets proactifs.
Cependant, les huit communautés économiques régionales (CER) et les deux mécanismes régionaux du continent totalisent 106 membres. Cela signifie que la plupart des pays appartiennent à plus d'un bloc, ce qui met les capacités à rude épreuve et entraîne la confusion et des défaillances dans le fonctionnement et divisent les loyautés. L'UA envisage une « intégration progressive » pour rationaliser les blocs régionaux, mais avance lentement dans ce sens.
La semaine prochaine, par exemple, la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) tient son sommet annuel en République démocratique du Congo (RDC), qui appartient à trois CER : la SADC, la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) et la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC). La capacité diplomatique de Kinshasa sera donc mise à l’épreuve.
De plus, la performance des différents blocs varie considérablement. Avec son Parlement régional et ses projets relatifs à l’établissement d’une confédération, la CAE est la région la plus intégrée du continent sur le plan économique, selon un rapport présenté lors de la réunion de coordination de l’UA et des CER du 17 juillet à Lusaka, en Zambie. Elle est suivie par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et la SADC.
Les ressources limitées des États ne leur permettent pas de contribuer pleinement à plus d'une institution multilatérale africaine
La Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) est le bloc le moins intégré. Il date de l’époque où le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi rêvait d’être président des « États-Unis d’Afrique » et s’acharnait à créer un groupe d’États qui lui seraient fidèles. Avec 24 membres, le dernier sommet digne de ce nom organisé par la CEN-SAD remonte à 2013. Il est difficile de voir quelle est la valeur ajoutée de cette communauté, puisque tous ses membres appartiennent déjà à d’autres CER.
L'Union du Maghreb arabe (UMA), qui compte cinq membres, est une autre CER mal intégrée. Elle souffre encore des effets du conflit permanent entre l’Algérie et le Maroc et de l'implosion du gouvernement libyen en 2011. L'UMA est soutenue par un secrétariat à Rabat et est représentée aux réunions, mais pas à un niveau élevé. Paradoxalement, c’est l'UMA qui contribue le plus au budget de l'UA puisque le Maroc et l'Algérie sont parmi les cinq principaux contributeurs de leur région.
Les pays de l'UMA ont essayé de rejoindre d'autres CER, mais sans grand succès. Le Maroc a présenté sa première demande d'adhésion à la CEDEAO en février 2017. Après avoir été amené à croire qu'il avait le feu vert – malgré la réticence du Nigeria, le membre le plus éminent du bloc –, le statut du Maroc reste à confirmer. La Tunisie a également tenté de renforcer ses liens avec la CEDEAO avec laquelle elle a signé un accord en 2018. Mais ni le Maroc, ni la Tunisie ne partagent des frontières avec un pays de la CEDEAO. C’est par contre le cas de la Mauritanie, mais elle a quitté la CEDEAO en 1999.
Pour la plupart des autres États, la multiplicité de leurs adhésions – souvent appelée « spaghetti bowl » (« le bol de spaghettis ») de l’UA – exige de suivre l’évolution rapide des réalités économiques, politiques et sécuritaires. Toutefois, les ressources limitées des États ne leur permettent pas de contribuer pleinement à plus d'une institution multilatérale africaine. L’UA peine déjà à amener les États membres à payer leurs contributions annuelles.
La Communauté des États sahélo-sahariens est la CER la moins intégrée
Les ambassades à Addis-Abeba sont aussi notoirement en sous-effectif, tout comme les représentations diplomatiques aux sièges des CER. L’absence de mise en œuvre des décisions du sommet est souvent attribuée à un manque de capacité, ce qui nuit à leur réputation aux yeux du public.
La RDC a été le dernier pays à rejoindre un autre bloc en devenant membre de la CAE en avril 2022. Cette adhésion devrait apporter des avantages économiques importants à la RDC et aux six autres membres de l’organisation, à savoir le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda et le Soudan du Sud.
La RDC possède des ressources naturelles considérables, et sa population de 90 millions d'habitants ajoute à l'attrait de tout groupement régional qui l’incorpore, notamment la CAE qui est bien intégrée sur le plan économique. Un représentant d’un pays membre de la CAE a conclu que cette adhésion lui offrait désormais une portée qui s’étend de l'océan Indien jusqu’à l'Atlantique, maintenant que le port de Matadi de la RDC est entré sous son aile. Des plans sont également en cours pour envoyer une nouvelle force militaire de la CAE dans l'est de la RDC.
Lors de la réunion semestrielle de Lusaka, le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat, a déclaré qu'il devrait y avoir une orientation claire concernant les adhésions aux CER afin d’en maximiser l'efficacité. D'autres ont déclaré que la multiplicité des adhésions a semé le « chaos » et ne devrait pas être permise, compte tenu des contraintes et du manque de cohésion qu'elle implique.
Les pays de l'Union du Maghreb arabe ont présenté des demandes d'adhésion à des CER, mais sans grand succès
Les délégués se sont accordés sur les avantages de la coopération interrégionale, comme l'accord de libre-échange du Marché commun de l'Afrique orientale et australe, la CAE et la SADC. Cet exemple de réussite de coopération économique comprend maintenant 27 États membres. Cependant, il n’est pas encore entré en vigueur. Pendant ce temps, la zone de libre-échange continentale africaine progresse rapidement. Au mois de juillet, l’accord était déjà ratifié par 43 pays et signé par 54 des 55 États membres de l’UA (il manque encore l’engagement de l’Érythrée).
Au-delà de la valeur évidente pour le commerce intra-africain qui en est facilité, les blocs régionaux créent une cohérence politique et des valeurs partagées. Ils sont appelés à réagir aux coups d'État, aux changements inconstitutionnels de gouvernement et aux menaces à la sécurité, comme celles de l'extrémisme violent. Il convient de noter que la CEDEAO a bien réussi à faire front commun contre les coups d'État militaires. Néanmoins, les tentatives de faire respecter les décisions contre les candidatures des dirigeants à un troisième mandat n’ont cessé d’échouer en raison des divergences des points de vue politiques.
La SADC entretient encore des relations politiques solides avec ses anciens mouvements de libération qui détiennent le pouvoir dans plusieurs États membres. Cependant, en tant qu'organisme régional, elle n'a pas réussi à mettre en œuvre la libre circulation des personnes. La force et la viabilité de ces blocs dépendent également de la capacité de leurs organisations et de l'engagement des citoyens.
Les relations entre l'UA et les organisations régionales restent problématiques, malgré les tentatives multiples pour parvenir à une stricte répartition des tâches. Mahamat affirme qu’une proposition destinée à résoudre les frictions sera discutée lors du sommet de l’UA en février 2023. Ceci est primordial pour une meilleure coordination. Une décision sur le chevauchement des adhésions aux CER apporterait également une plus grande cohérence et efficacité aux nombreuses organisations régionales africaines.
Liesl Louw-Vaudran, chercheuse principale, ISS Pretoria
Cet article a été publié pour la première fois par le Rapport sur le CPS de l’ISS.
Image : © Amelia Broodryk/ISS
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.
Partenaires de développement
L’ISS exprime sa reconnaissance aux membres suivants du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.