Le Burkina Faso a-t-il tourné la page des immixtions militaires dans la politique?

À mesure que le nouveau gouvernement du Burkina Faso prend forme, la définition du rôle des forces armées sera l'un des principaux défis de l'État.

Après une transition mouvementée de 13 mois et des élections pacifiques organisées le 29 novembre 2015, le nouveau président civil du Burkina Faso, Roch March Christian Kaboré, a été investi le 29 décembre 2015. Alors que le gouvernement a été constitué le 13 janvier, l’un des nombreux défis auxquels les nouvelles autorités seront confrontées concerne l’armée et sa place dans la vie politique et institutionnelle du pays.

Cette question est d’autant plus importante que les militaires ont jusqu’à très récemment, ce depuis janvier 1966, été au devant de la scène politique Burkinabè. C’est en effet à cette date que Maurice Yaméogo, le premier président civil élu après l’indépendance du pays le 5 août 1960, fut renversé par le général Sangoulé Aboubacar Lamizana. Ce coup d’État fut le début de la série d’immixtion des militaires dans la vie institutionnelle du pays : novembre 1980, novembre 1982, août 1983 et octobre 1987 avec l’arrivée au pouvoir du capitaine Blaise Compaoré. Ce dernier instaura un régime militaire qui au fil de 27 ans au pouvoir parvint à se « civiliser », avant d’être à son tour éjecté en octobre 2014 par une insurrection populaire dans laquelle l’armée a joué un rôle de premier plan.

Le rôle et la place de l’armée demeure un des défis pour les nouvelles autorités

Malgré le départ de Blaise Compaoré, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), sur lequel le pouvoir de l’ancien régime s’était largement appuyé, a brillé par ses multiples interférences dans la marche de la transition politique. Certains de ses éléments, sous la férule du Général Gilbert Diendéré, se sont ainsi rendus coupables d’une tentative de coup d’État le 17 septembre 2015, précipitant la dissolution de ce corps dans la foulée de son échec.

Ce coup d’État n’était qu’une des conséquences du peu d’avancées concrètes dans les efforts visant à neutraliser le RSP. Si la dissolution de ce vestige de l’ancien régime décidée le 25 septembre lors du premier conseil des ministres post-putsch, le désarmement de ses éléments et leur réaffectation à d’autres postes au sein de l’armée, ont pu être considérés comme une nécessité, des inquiétudes persistent quant à la menace que pourrait encore représenter certains de ses éléments pour la sécurité et la stabilité du Burkina. Enfin, le démantèlement du RSP a sans doute créé un vide capacitaire qu’il serait nécessaire de combler compte tenu de l’environnement régional volatil et instable dans lequel évolue le Burkina.

Outre cet acte plus que symbolique, des mesures visant à réduire l’ingérence des militaires dans la vie politique et institutionnelle avaient déjà été prises par la transition. C’est notamment le cas de la loi n°19-2015/CNT relative au statut des personnels des forces armées nationales adoptée le 5 juin 2015 par le Conseil national de transition (CNT). En son article 12, cette loi consacre la mise à l’écart des militaires des affaires politiques. Il est précisément exigé des militaires qui veulent s’engager en politique qu’ils démissionnent au préalable de l’armée. De plus, il est interdit à tout militaire d’adhérer à des groupements politiques.

En 55 ans d’indépendance le Burkina a connu 49 ans de régime d’exception

Avec la loi du 5 juin, le militaire qui renonce à son statut pour briguer un poste politique ne peut plus, quelque soit l’issue du vote, réintégrer son corps d’origine. Ceci est un changement notable par rapport à l’ancienne loi qui offrait au militaire la possibilité de se porter candidat à une élection après une simple mise à disponibilité.

Le militaire pouvait ainsi suspendre sa carrière militaire et réintégrer les forces armées en cas d’échec ou à la fin de ses activités politiques. Les nouvelles dispositions mettent ainsi fin au débat autour des candidatures de certains militaires aux échéances électorales prochaines. Par ailleurs, l’exigence de la démission peut également décourager les candidatures opportunistes au sein de l’armée.

À travers l’interdiction d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique, l’objectif de la loi est de préserver l’armée de toute influence politique. La mise en œuvre de cette disposition devrait cantonner l’armée et les militaires à leurs missions de défense et de protection du territoire national, de la population et des institutions de la République, renforçant ainsi sa neutralité.

Si cette évolution est à saluer, il paraît tout de même nécessaire d’en relativiser la portée et de ne pas en sous-estimer les difficultés. De fait, dans un pays qui a connu en 55 ans d’indépendance 49 ans de régimes militaires, certains militaires pourraient bien ne pas accepter de renoncer aussi facilement à de vieux réflexes en restant cantonnés dans leurs casernes. De plus, il est important de préciser que l’influence des militaires sur la vie politique emprunte des canaux autres que celui du militantisme politique.

La réforme des forces armées sera une entreprise de longue haleine

Les liens entre acteurs politiques et militaires - lesquels demeurent une réalité de la vie politique burkinabè – rendent possibles la collusion d’intérêts et l’instrumentalisation de franges de l’armée pour des desseins politiques. Ces liens étroits tenaient à la nature même de l’ancien régime et à l’existence de son « bras armé », le RSP. De ce point de vue, la mue qu’a opérée le système politique burkinabè au cours des treize derniers mois devrait réduire cette possibilité.

En outre, plus qu’une séparation radicale entre politique et armée, ce qui peut paraître illusoire, c’est le renforcement du professionnalisme et de l’esprit républicain au sein des forces armées qu’il serait question de poursuivre. C’est ce à quoi s’attèle la commission sur la réforme des armées mise en place le 08 décembre 2015. Cette dernière dispose d’un délai de six mois pour rendre ses conclusions sur la place et le rôle des forces armées nationales dans l’ancrage de la démocratie. La commission devrait faire des propositions allant dans le sens d’une mise à l’écart définitive de l’armée de la politique. Ses conclusions devraient également aider à l’élaboration du plan stratégique 2017-2021 sur la réforme des forces armées nationales du Burkina Faso.

La réforme des forces armées sera une entreprise de longue haleine qu’il incombe aux nouvelles autorités de poursuivre dans tous ses aspects. Elles devraient ainsi œuvrer au renforcement de la neutralité politique des forces armées, de la cohésion en leur sein, de la discipline et bien entendu de ses capacités opérationnelles (formation et équipement). C’est à ce prix que le Burkina pourra espérer tourner le dos aux coups d’État et donner vie au slogan « plus rien ne sera comme avant ».

Pascaline Compaoré, chercheur boursier, Analyse des risques et préventions des conflits, Dakar

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