L’avenir du monde et ses divisions

Alors que des bouleversements transforment le monde sous nos yeux, quatre scénarios décrivent leurs effets à long terme.

Le monde est entré en terrain inconnu depuis que les changements attendus pour les dix prochaines années risquent d’avoir des répercussions plus importantes que la chute du mur de Berlin en 1989.

Pensez aux 15 dernières années. La pandémie de COVID-19 a frappé au moment où le monde se relevait de la crise financière de 2008-2009. Alors que la pandémie commençait tout juste à reculer, la Russie envahissait l’Ukraine en menaçant la sécurité énergétique en Europe et la sécurité alimentaire en Afrique. Outre la crise de la dette, l’Afrique fait désormais face à une urgence alimentaire, ainsi qu’à une pénurie d’engrais.

Il en résulte une instabilité généralisée et le déclin global de la démocratie, assortis d’une flambée de coups d’État en Afrique occidentale et centrale. Cependant, l’Afrique n’est pas la plus mal lotie des régions. L’Europe occidentale et les États-Unis livrent une guerre par procuration contre la Russie, leur ancien ennemi de la guerre froide. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) considère depuis peu la Chine comme une nouvelle menace. La Chine et les États-Unis sont à couteaux tirés au sujet de Taïwan.

Cependant l’Afrique est rapidement transformée en champ de bataille où s’affrontent la Chine, les États-Unis et l’Union européenne (UE). L’époque précédente, caractérisée par la compétition bilatérale entre l’Est et l’Ouest, semble peu de chose en comparaison. Or, ces évènements se produisent alors que les effets du changement climatique s’accélèrent d’année en année.

L’Afrique est rapidement transformée en champ de bataille où s’affrontent la Chine, les États-Unis et l’UE

Afin d’explorer les répercussions des différents mondes qui pourraient émerger de ces bouleversements, le programme Futurs africains et Innovations de l’Institut d’études de sécurité mène actuellement une recherche prospective de grande ampleur. Deux dimensions influencent les futurs possibles : le degré de coopération ou de division à l’échelle internationale et la recherche plus ou moins forte de la durabilité.

Quatre grands scénarios émergent : un monde durable, un monde divisé, un monde en guerre et un monde de la croissance. Les incidences ont été modélisées au moyen de la plateforme de prévision International Futures de l’université de Denver. Les résultats sont actuellement présentés pour discussion et validation au cours d’une série de manifestations publiques.

Compte tenu de la trajectoire actuelle, le scénario d’un monde divisé apparaît comme le plus probable. Il se traduit par un ordre mondial plus fragmenté et le recul progressif des systèmes régulés. Les pays puissants, dont les États-Unis et la Chine, passent tour à tour de l’élaboration d’objectifs mondiaux constructifs à l’isolationnisme. Si Donald Trump était réélu à la présidence des États-Unis en 2024, la probabilité que ce scénario se réalise est la plus élevée, et se fera au détriment de l’Occident et, en fin de compte, de lui-même.

Dans un monde où les États-Unis et l’UE n’agissent pas de concert, le potentiel de croissance de la Chine pourrait dépasser celui de l’UE en 2027 et celui des États-Unis en 2031. Sur la base de cette trajectoire, les Nations unies perdent constamment et rapidement en légitimité, en influence et en importance et l’Afrique en pâtit. Le maintien de la paix et les efforts en ce sens s’amenuisent également sur le continent.

Si les États-Unis et l’UE n’agissent pas de concert, le potentiel de croissance de la Chine pourrait dépasser celui de l’UE en 2027 et celui des États-Unis en 2031

Dans le scénario d’un monde en guerre, la concurrence entre puissances fortes domine. Trois facteurs pourraient déclencher ce scénario. Le premier est l’escalade de la guerre russe contre l’Ukraine et sa transformation en une confrontation militaire avec l’OTAN. Ou bien alors, la Chine pourrait envahir Taïwan, ce qui pousserait les États-Unis et d’autres pays à intervenir militairement.

Un troisième facteur déclenchant, moins probable compte tenu de leurs capacités militaires largement inégales, pourrait être un conflit frontalier, ou même une guerre, entre l’Inde et la Chine. Bien que les capacités militaires de l’Inde soient et resteront sensiblement inférieures à celles de la Chine, ces deux pays, qui ont en commun une longue frontière, sont entrés dans une concurrence de plus en plus vive aux niveaux régional et mondial. La rivalité à propos du Cachemire entre le Pakistan, doté de l’arme nucléaire et soutenu par la Chine, et l’Inde pourrait être un facteur déclencheur, notamment si ces deux pays cherchent à instaurer une relation équilibrée avec Washington et Pékin.

Dans le scénario d’un monde en guerre, la Russie et la Chine nouent une alliance militaire officielle, en opposition frontale avec l’OTAN. D’autres pays finissent par rejoindre le traité sino-russe, notamment l’Iran, qui nourrit de longue date un différend avec les pays occidentaux.

Dans le scénario d’un monde en guerre, l’Afrique devient une zone clé où s’exacerbe la concurrence pour le contrôle de ses ressources minérales stratégiques. La Chine s’est assurée la première une source d’approvisionnement en minerais nécessaires à la transition vers une société fondée sur les énergies renouvelables, notamment le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse et le palladium. Les pays occidentaux rattrapent désormais leur retard, mais de façon agressive.

Le scénario le plus ardu est le seul où l’Afrique atteint les objectifs de l’Agenda 2063

L’économie néolibérale, qui s’appuie sur le principe du ruissellement et est peu soucieuse de l’environnement, caractérise le scénario d’un monde de la croissance. Dans ce monde où la croissance est forte et inégalitaire, l’extrême pauvreté diminue lentement. Les mesures visant à taxer au minimum les entreprises n’aboutissent pas. Les grandes entreprises du secteur du numérique, notamment les sociétés américaines, continuent de voir leurs bénéfices augmenter tout en étant physiquement absentes des pays où elles opèrent.

L’évasion fiscale par le transfert des bénéfices vers des juridictions faiblement imposées mène à un nivellement vers le bas, les pays se faisant concurrence pour attirer les investissements directs étrangers. Les pays en développement en pâtissent. Les sorties de capitaux, licites comme illicites, des 46 pays africains à revenu faible ou intermédiaire s’accélèrent.

Le scénario d’un monde durable est celui dont la réalisation est la plus ardue. Contrairement aux trois autres, il nécessite en effet des choix délibérés, ainsi qu’un leadership fort pour obtenir des améliorations malgré des résistances nationales inévitables. Dans ce scénario, la communauté internationale cherche à équilibrer la croissance et la redistribution en réduisant la consommation globale et en limitant les émissions de gaz à effets de serre. La collaboration et l’élaboration de normes s’étendent à de multiples secteurs.

Le scénario d’un monde durable est le seul dans lequel l’Afrique parvient à concrétiser ses ambitions inscrites dans l’Agenda 2063 pour un continent intégré, prospère et en paix.

Trois évolutions pourraient permettre à cet avenir durable de se réaliser. La première est la démocratisation de la Chine et de la Russie, aussi improbable que cela puisse paraître. La deuxième est un élan mondial qui inverserait le déclin des systèmes régulés en appliquant résolument un processus de démocratisation et d’évolution structurelle. La troisième est l’accélération des effets du changement climatique et l’apparition de pandémies mondiales qui obligeraient une communauté internationale réticente à riposter de manière collective.

Des experts mondiaux testent et affinent actuellement ces scénarios. Les ateliers et leurs résultats sont consultables sur le site Internet de Futurs africains et Innovations, lancé au début de l’année et qui propose des prévisions pour l’Afrique à l’horizon des deux prochaines décennies.

Jakkie Cilliers, responsable de Futurs africains et Innovations, ISS Pretoria.

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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