L'Afrique est en train de perdre la bataille contre l'extrême pauvreté
Le continent n’atteindra probablement pas les cibles de l’ODD sur la pauvreté, mais l’adoption de politiques appropriées pourrait réduire le nombre de pauvres de manière significative.
Lorsque la COVID-19 a éclaté en 2020, environ 30 millions d'Africains de plus ont été poussés dans l'extrême pauvreté (vivant avec moins de 1,90 dollar par jour). Avant la pandémie, plus de 445 millions de personnes – représentant 34 % de la population africaine – vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Et même alors, ce chiffre s’élevait à presque neuf fois la moyenne enregistrée dans le reste du monde.
En 2015, les Nations unies ont adopté les objectifs de développement durable (ODD) comme plan de paix et de prospérité dans le monde. Au cœur de ce plan 17 ODD composés de 169 cibles ont été définis portant sur la santé, l’éducation, l’inégalité, la croissance économique et le climat. Les États membres ont convenu de les atteindre à l’horizon 2030.
À mi-parcours du délai fixé et en raison de l’aggravation de la situation due à la pandémie, l’Afrique a peu de chances d’atteindre l’ODD 1, qui est d’éliminer la pauvreté sous toutes ses formes, pour 97 % de la population. En effet, l’Afrique affiche la plus grande part des taux d’extrême pauvreté dans le monde, avec 23 des 28 pays les plus pauvres au monde pour lesquels le taux d’extrême pauvreté est supérieur à 30 %.
Dans les années 1990, les niveaux de pauvreté du Nigeria, de Madagascar et de la Zambie étaient comparables à ceux de la Chine, du Vietnam et de l'Indonésie
En se basant sur le seuil de pauvreté fixé à 1,90 dollar par jour, le taux d'extrême pauvreté de l'Afrique en 1981, soit 43,1 %, était presque égal à la moyenne du taux du reste du monde, soit 42,8 %. Cependant, en 2015, le taux d’extrême pauvreté de l’Afrique, qui était d’environ 35,5 %, était 6,8 fois supérieur à la moyenne du reste du monde (voir figure 1).
Figure 1 : Taux de pauvreté de 1,90 dollar pour l'Afrique et le reste du monde (1981-2021) Source : La version 7.84 de IFs, données issues des indicateurs du développement dans le monde. (cliquez sur le graphique pour l'image en taille réelle)
|
Dans les années 1990, les niveaux de pauvreté du Nigeria, du Lesotho, de Madagascar et de la Zambie étaient comparables à ceux de la Chine, du Vietnam et de l'Indonésie. Néanmoins, alors que ces derniers ont réussi à réduire considérablement l’extrême pauvreté, les pays africains ont échoué.
En Afrique, les taux de pauvreté les plus importants sont concentrés en Afrique subsaharienne. On note que l'Afrique centrale a le taux de pauvreté extrême le plus élevé (54,8 %), suivie de l'Afrique australe (45,1 %). Les taux en Afrique de l'Ouest et de l'Est sont respectivement de 36,8 % et 33,8 %. Quant à l'Afrique du Nord, elle a atteint la cible fixée par les ODD, ayant réduit son taux de pauvreté sous le niveau de 3 %, en 2019.
Ces différences régionales reflètent l’importance des écarts entre les 54 pays africains. Dix d’entre eux possédaient des taux de pauvreté extrême excédant 50 % en 2019. Le Soudan du Sud, le pays le plus pauvre d'Afrique, a enregistré un taux supérieur à 80 % et le Burundi, Madagascar, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo ont tous enregistré des taux de pauvreté extrême supérieurs à 70 %.
D'autres pays ont réalisé de bons résultats. Par exemple, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, les Seychelles et Maurice ont eu des taux de pauvreté extrême inférieurs à 1 % en 2019. L’Égypte, le Cap-Vert et la Libye ont également atteint la cible fixée par les ODD.
L'incapacité de l'Afrique à réduire son taux élevé de pauvreté extrême a été attribuée à de nombreux facteurs, le premier étant que sa croissance est fortement tributaire des ressources naturelles au lieu de dépendre du développement du secteur agricole et rural, qui caractérise 85 % des moyens de subsistance des Africains. En plus d’une faible détention des actifs et d’un accès limité aux services publics, les niveaux de pauvreté initialement plus élevés font que les foyers ont du mal à tirer parti de la croissance. Il faut ajouter que la mauvaise gouvernance, la corruption et les fortes inégalités dans les revenus ne font qu’exacerber la pauvreté.
Les taux de fécondité élevés entraînent des taux de croissance économique qui se traduisent par une augmentation plus faible du revenu par habitant
Les taux de fécondité élevés en Afrique entraînent des taux de croissance économique qui se traduisent par une augmentation plus faible du revenu par habitant. Alors que le taux de pauvreté extrême pourrait probablement diminuer, le nombre de pauvres risque d’augmenter en raison du taux élevé de la croissance démographique en Afrique.
Selon la trajectoire actuelle, on estime que 479 millions d’Africains (soit 28,1 % de sa population) vivront dans une extrême pauvreté d’ici 2030 – un scénario de maintien du statu quo utilisé par International Futures (IF) pour l’analyse des tendances à long terme. Cette estimation indique que l’Afrique centrale continuera d'être la région la plus pauvre, avec un taux de pauvreté extrême de 44,6 % en 2030. L'Afrique du Nord consoliderait ses résultats avec un taux de pauvreté extrême de 1,8 %.
Bien qu’une chute du taux de pauvreté soit prévue pour tous les pays, les tendances varieraient. Neuf pays (Algérie, Cap-Vert, Égypte, Gabon, Libye, Maroc, Maurice, Seychelles, Tunisie) atteindront la cible des ODD d'ici 2030. Inversement, le taux de la population vivant dans l'extrême pauvreté continuera à être supérieur à 30 % dans 24 autres pays.
A l’horizon 2043 – année de fin du deuxième cycle décennal de l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) – l’Afrique peinera encore à atteindre les ODD de 2030. A ce moment-là, les personnes extrêmement pauvres du continent constitueront 17,8 % de sa population. Ce qui est inquiétant, c'est que sept pays africains auront encore des taux de pauvreté extrême supérieurs à 30 % d'ici 2043.
Selon les hypothèses de la trajectoire actuelle, l’Afrique n’atteindra pas la cible des ODD en matière de pauvreté extrême, même d’ici 2043. Pour qu’elle y parvienne d'ici 2030, elle devrait quadrupler son taux de réduction de la pauvreté par rapport à 2013 et 2019, ce qui rend la réalisation de l’objectif quasiment impossible.
Une révolution agricole pourrait, à elle seule, sortir 110 millions de personnes de l'extrême pauvreté à l’horizon 2043
Cependant, avec des interventions politiques adéquates et un soutien politique approprié, l'Afrique pourrait réduire considérablement l'extrême pauvreté au cours des deux prochaines décennies. Il est donc nécessaire d’adopter une approche intégrée qui s’attaque à la transition démographique, à la corruption, à la mauvaise gouvernance, à la pénurie d'infrastructures, au manque d'intégration commerciale régionale et à la mauvaise qualité de l'éducation. La plateforme de modélisation IFs montre qu'une telle approche combinée (le scénario combiné de l’Agenda 2063) abaisse la pauvreté extrême à 6,4 % d'ici 2043 (voir figure 2).
Figure 2 : Taux de pauvreté de 1,90 dollar pour la trajectoire actuelle pour l’Afrique et le reste du monde, et le scénario combiné de l’Afrique dans l’Agenda 2063 (2019-2043) Source: IFs 7.63 initialising from World Development Indicators data (cliquez sur le graphique pour l'image en taille réelle)
|
De tels progrès permettraient à 27 pays africains d'éliminer l'extrême pauvreté au cours de cette période, soit 17 pays de plus par rapport aux prévisions de la trajectoire actuelle. En effet, une révolution agricole pourrait à elle seule sortir 110 millions de personnes supplémentaires de l'extrême pauvreté à l’horizon 2043. De même, la mise en œuvre de l'accord sur la zone de libre-échange continentale africaine sortirait 80 millions d'Africains de plus de l'extrême pauvreté.
Bien que l'élimination de l'extrême pauvreté d'ici 2030 soit hors de portée de la plupart des pays africains, intervenir au niveau des secteurs clés ferait une grande différence à l’horizon 2043. À moins que les gouvernements africains ne recentrent leurs efforts sur la mise en œuvre de politiques appropriées, le continent ne parviendra probablement pas à exploiter son potentiel de développement avant la fin de l'Agenda 2063.
Enoch Randy Aikins, chercheur, et Du Toit McLachlan, chargé de recherche, African Futures and Innovation, ISS Pretoria
Image : © Amelia Broodryk/ISS
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.
Partenaires de développement
La recherche menée dans le cadre de cet article a été financée par les gouvernements des Pays-Bas et de la Norvège. L’ISS exprime sa reconnaissance aux membres suivants du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.