L’Afrique doit prendre les commandes de sa relation avec la Chine

Pour obtenir des résultats positifs, le continent doit se montrer plus ferme, mieux préparé et plus intraitable que la Chine.

« L’image que les démocraties libérales occidentales ont de la Chine ne reflète pas la perception qui domine dans le reste du monde. » C’est l’une des conclusions d’un nouveau rapport publié par l’Institut Mercator d’études chinoises (MERICS), basé à Berlin. En s’appuyant sur le travail de chercheurs dans huit pays en développement, l’étude tente d’ouvrir les yeux de son lectorat européen sur une réalité que beaucoup ne soupçonnent pas : la Chine est plutôt appréciée dans les pays du Sud. 

Le constat n’est pas nouveau pour ceux qui suivent les mesures de la perception que l’Afrique a de la Chine effectuées par des sondages d’opinion tels que l’Afrobaromètre. De fait, les enquêtes montrent depuis un certain temps que la Chine et les États-Unis jouissent d’une cote de popularité relativement forte et étonnamment équivalente dans de nombreux pays africains. 

Ces conclusions cadrent mal avec le point de vue de Pékin autant que celui des capitales occidentales. La polarisation actuelle du paysage géopolitique donne l’avantage aux récits concurrents au détriment des visions nuancées. Des deux côtés, on a donc intérêt à présenter la Chine et l’Occident comme étant diamétralement opposés. 

Il existe pourtant des similitudes frappantes. Ils se présentent tous deux comme des parangons du développement et de la modernité du XXIe siècle, alors que leur modèle repose sur une dépendance aux hydrocarbures tout droit sortie du XIXe siècle. Ils conjuguent des ambitions planétaires avec des politiques intérieures étroites qui s’arrêtent aux frontières de l’État-nation.

La Chine et les États-Unis jouissent tous deux d’une forte popularité dans de nombreux pays africains

Leur discours sur leur aspiration à répondre aux besoins universels de développement est donc à prendre avec des pincettes. Et bien sûr, si l’Occident comme la Chine rejettent l’idée d’inviter quiconque à « choisir son camp », tous deux souhaiteraient ardemment que les pays du Sud le fassent – en leur faveur, de préférence. 

L’Afrique peut faire jouer cette rivalité à son avantage. Mais pour cela, elle doit déterminer ce que les deux parties peuvent lui offrir et ce qu’elle souhaite – notamment vis-à-vis de la Chine. 

En effet, la puissance occidentale est déjà bien connue en Afrique et son pouvoir incitatif pourrait avoir atteint ses limites. L’Occident tire son influence d’un âge d’or fondé sur les faibles niveaux des taux d’intérêt, des prix à la consommation et de l’inflation, grâce en partie au long règne de la production chinoise à bas coût. Cette époque est en passe d’être révolue. Les grands pays occidentaux n’ont pas saisi cette occasion pour adopter des solutions énergétiques plus durables, alors même que les délocalisations et la financiarisation affaiblissaient leur classe moyenne. 

Le résultat saute aux yeux de responsables politiques tels que Liz Truss, la Première ministre britannique : des prix de l’énergie qui atteignent des sommets du fait du conflit en Ukraine, une aggravation rapide de la crise climatique et un électorat amer et pris à la gorge.

L’Afrique peut tirer parti de la rivalité entre l’Occident et la Chine, mais elle doit déterminer ce qu’elle souhaite

Quels que soient les arguments avancés, il sera difficile, dans cette ambiance, de vendre aux électeurs des initiatives d’infrastructures axées sur l’Afrique, telles que le Partenariat pour l’infrastructure et l’investissement mondial du G7. Les puissances occidentales pourraient encore s’imposer comme des partenaires de développement finançant des infrastructures transformatrices, comme le promettent ces initiatives, mais probablement pas à court terme.

Avec le ralentissement économique et le vieillissement rapide de sa population, la Chine voit surgir des contraintes similaires. Des différences fondamentales se dégagent néanmoins. Tout d’abord, la volonté politique qui sous-tend la nouvelle route de la soie coïncide en grande partie avec les priorités du secteur privé chinois. La nouvelle route de la soie vise à diversifier les sources d’approvisionnement en produits stratégiques de base, à trouver de nouveaux marchés pour exporter les capacités industrielles excédentaires et à nouer des alliances politiques avec les pays du Sud. Cette convergence des priorités ne se retrouve pas nécessairement en Occident, où les gouvernements et les conglomérats ont généralement des objectifs différents.

Ensuite, les compétences des entreprises chinoises sont souvent en phase avec les réalités africaines. Qu’il s’agisse de construire des réseaux de données dans les régions rurales ou de vendre des téléphones portables à bas prix, les entreprises chinoises ont su cerner la demande africaine et trouver des moyens de la satisfaire à des tarifs qui excluent d’ordinaire la concurrence.

De façon plus générale, la Chine perçoit l’Afrique par le prisme de sa propre trajectoire de développement qui l’a vu passer du statut de pays pauvre à celui de géant mondial. Cela se traduit souvent par une vision optimiste de pays africains que certains observateurs occidentaux considèrent comme des cas désespérés.

L’histoire de l’Afrique pourrait être celle d’un continent pionnier qui changerait le cours de l’histoire

Mais pour pouvoir tirer profit de sa relation avec la Chine, l’Afrique doit regarder certaines réalités en face. Premièrement, la Chine est là pour servir ses propres intérêts. Deuxièmement, de nombreux acteurs chinois se préoccupent peu de la qualité des produits qu’ils financent ou qu’ils vendent. C’est aux Africains qu’il incombe de faire le nécessaire pour obtenir les infrastructures et les technologies qu’ils souhaitent et qui favoriseront leur développement.

En clair, si l’Afrique veut tirer des résultats positifs de ses interactions avec la Chine, elle doit se montrer plus ferme, mieux préparée et plus intraitable que les Chinois. Cela suppose de se présenter à la table des négociations avec des équipes juridiques internationales de même envergure que celles des entreprises chinoises. Cela suppose d’être intransigeant sur la formulation des contrats et prêt à renoncer à des accords qui ne servent pas les objectifs d’un développement inclusif. Cela suppose aussi de réprimer toute atteinte au droit du travail ou à l’environnement de la part d’entreprises étrangères.

Pour mener à bien ces négociations, les pays africains doivent se doter d’une base de technocrates, soutenir et inclure leur société civile et leur jeunesse dans la planification des projets et renforcer l’application de leurs propres lois. Ils doivent également poursuivre les fonctionnaires corrompus, rendre publics tous les contrats de prêt et travailler avec les pays voisins pour coordonner les plans de développement, au lieu de laisser les entités chinoises attiser les rivalités.

Il s’agit donc, globalement, de placer l’Afrique au centre de sa propre histoire. Le continent devrait également cesser d’adhérer aux récits géopolitiques agitant l’idée d’une « nouvelle guerre froide » et ne se prêter au jeu de ces puissances que si cela sert ses objectifs. Mais pour y parvenir, l’Afrique doit savoir où elle va – précisément et pas seulement dans les grandes lignes. 

Les tensions actuelles entre la Chine et les pays occidentaux se traduisent par des récits concurrents. Si l’Afrique ne construit pas son propre récit, elle sera condamnée à jouer les seconds rôles dans l’histoire des autres. Ce serait bien dommage. Avec la plus jeune population au monde, l’histoire de l’Afrique pourrait être celle d’un continent de nouveaux talents, initiateurs de dynamiques et de formes de développement inédites qui changeraient radicalement le cours de l’histoire.

L’idée est autrement plus séduisante que les histoires arides de charbon, de pétrole et de géopolitique racontées par Pékin et Washington.

Cobus van Staden, directeur de la rédaction du projet Afrique-Chine et adjoint de recherche principal à l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA).

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow, le blogue du programme Futurs africains de l’ISS.

Image : © GCIS/Flickr

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