L’Afrique de l’Ouest et la Turquie forgent une nouvelle alliance sur la sécurité

L’expansion de la Turquie en Afrique est instructive pour les pays de la région qui souhaitent diversifier leurs partenariats.

Si la Turquie n'est pas un nouvel acteur en Afrique, elle y devient en revanche de plus en plus importante. Sa présence en Afrique de l'Ouest suscite l’attention voire de l'inquiétude. Son discours qui promeut des relations gagnant-gagnant et d’égal-à-égal semble séduire, d'autant plus que les collaborations en matière de paix et de sécurité, comme celle avec la France, n'ont pas donné les résultats escomptés.

La politique d’ouverture d'Ankara au continent a commencé officiellement en 1998, mais sa mise en œuvre a débuté en 2005, proclamée année de l’Afrique. Depuis lors, le président Recep Tayyip Erdoğan s'est rendu plus de 40 fois en Afrique, et trois sommets Turquie-Afrique ont encadré la coopération économique et politique. De nombreuses visites de niveau présidentiel ont été effectuées de part et d’autre, et 43 ambassades ont été créées, notamment en Afrique de l'Ouest.

Après avoir renforcé sa présence en Afrique de l'Est et consolidé son influence politique et militaire en Afrique du Nord, Ankara étend son influence politique, économique et militaire à tout le continent. L'Afrique de l'Ouest a été au cœur de la transformation du soft power turc en influence politique et sécuritaire dans le contexte de la crise libyenne. La politique d'Ankara en Afrique de l'Ouest est façonnée par les leçons tirées de ses relations avec l'Afrique en général et de son approche de la Libye.

La politique étrangère de la Turquie s’est davantage tournée vers l'extérieur depuis le Printemps arabe en 2010. L'Afrique du Nord a toujours fait partie de la sphère d'influence sociale et culturelle du pays. La crise géopolitique en Méditerranée orientale, le double-jeu de la France (ou perçu comme tel) en Lybie et le positionnement  des pays du Golfe dans la crise libyenne ont offert à la Turquie l'occasion de s'impliquer activement dans la région. 

La politique ouest-africaine d'Ankara a tiré les leçons de ses relations avec l'Afrique et la Libye

La coopération militaire de la Turquie avec plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et du Sahel vise à obtenir leur soutien pour résoudre la crise libyenne. Certains signes indiquent que le faible intérêt porté à l'initiative africaine de la Turquie par des États essentiels comme l'Éthiopie et le Nigeria est en train de changer.

En mars 2018, la Turquie a soutenu la force conjointe du G5 Sahel avec une contribution de 5 millions de dollars US pour renforcer la lutte contre le terrorisme. En 2020, Ankara a signé un accord de coopération militaire avec le Niger avec la possible ouverture d'une base militaire dans l'avenir. La même année, la Turquie a signé un pacte de défense avec le Nigeria, et les deux parties ont eu des discussions sur l'approfondissement de leurs relations lors de la visite d'État d'Erdoğan au Nigeria en octobre 2021.

De même, la Turquie coopère sur le plan militaire avec plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest dans différents domaines, y compris celui de la formation et du renforcement de capacité de personnels militaires. La Turquie a signé des accords de coopération militaire avec le Togo en août 2021 et avec le Sénégal en février 2022. Cela pourrait marquer le début d'une nouvelle ère dans les relations de sécurité entre Ankara et l'Afrique de l'Ouest.

La politique africaine de la Turquie mêle des éléments de soft power et de hard power. En plus de contribuer à la lutte contre le terrorisme, Ankara investit dans l'Agence turque de coopération et de coordination (TİKA) pour s'attaquer aux moteurs économiques et sociaux de l'extrémisme violent en Afrique de l'Ouest. La TİKA dispose de 22 bureaux de coordination sur le continent et gère des projets dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, dont le Sénégal, le Tchad, le Niger et le Togo.

Les États africains sont désormais intéressés par l'achat de drones turcs

De même, la fondation turque Maarif possède aujourd'hui des écoles dans 26 pays africains, dont le Tchad, le Gabon, la Gambie, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, la Sierra Leone, le Soudan et la Tunisie.

Trois dimensions expliquent les relations de la Turquie avec l'Afrique. La première est le commerce et l'économie. Le commerce entre la Turquie et les pays africains est passé de 5 à 25 milliards de dollars après 1998, et 43  conseils d’affaires turcs ont été créés sur le continent.

La seconde est d'ordre politique. Par rapport à 2005, les relations avec l'Afrique sont montées en flèche. Bien que la plupart des interactions soient bilatérales, Ankara collabore avec des organisations telles que l'Union africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest et l'Autorité intergouvernementale pour le développement. Lors du dernier sommet Turquie-Afrique, pas moins de 16 chefs d'État et 102 ministres étaient présents.

La troisième dimension est la sécurité. Ankara se positionne comme un acteur politico-sécuritaire depuis son implication en Somalie en 2011. Ces dernières années, les États africains se sont montrés de plus en plus intéressés par l'achat d'équipements militaires turcs, notamment ses drones d’un coût plus abordable, ajoutant une nouvelle dimension à leurs relations.

La Turquie semble concurrencer les partenaires internationaux de l’Afrique de l'Ouest

Les drones turcs ont été déployés avec succès dans divers conflits, notamment la guerre Azerbaïdjan-Arménie, en Libye, en Éthiopie et récemment en Ukraine. En novembre 2021, le Niger a signé un contrat d'armement comprenant l'acquisition de drones Bayraktar TB2.

Pour beaucoup, Ankara semble concurrencer les partenaires internationaux de la région. En raison de sa rivalité avec la France au sujet de la Libye et de la crise en Méditerranée orientale, les tensions se sont accrues en Afrique de l'Ouest entre la Turquie et la France, rendant certains partenaires européens réticents à travailler avec la Turquie.

La puissance économique et militaire d'Ankara n'est peut-être pas comparable à celle des pays occidentaux et de la Chine. Mais l'engagement de la Turquie en Afrique a montré comment un pays de taille moyenne peut établir des relations à partir de rien en peu de temps et s'imposer comme un acteur clé.

Alors qu'ils font l'objet d'un intérêt croissant de leur part, les pays d’Afrique de l'Ouest doivent connaître l'approche et les objectifs des partenaires extérieurs. Cela leur permettrait de mieux éclairer la diversification de leurs partenariats et d’en nouer qui soient mutuellement bénéfiques.

Mehmet Ozkan, professeur de relations internationales, Joint War Institute, National Defence University, Istanbul, et Aïssatou Kanté, chercheuse, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

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Image : © Bureau de presse du président turc

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