L'Afrique a besoin d'une approche climatique axée sur les populations

À la COP28, l'Afrique doit faire prévaloir ses intérêts économiques et faire entendre les voix de ses populations.

En septembre, l'Afrique a été frappée par un événement climatique dévastateur : de fortes pluies ont provoqué l'effondrement de deux barrages en Libye, inondant Derna, une ville côtière située à l’est du pays. On estime qu’il y a eu 4 000 morts et 46 000 personnes déplacées, ce qui fait de cette inondation la plus meurtrière des cent dernières années en Afrique. Bien que l'Afrique soit le continent qui contribue le moins aux émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, on y constate une multiplication de ce type de catastrophes.

La Semaine africaine du climat, organisée par le Kenya et l'Union africaine à Nairobi du 4 au 8 septembre, a été l'occasion de trouver des solutions à la crise qui frappe l'Afrique. Elle est la première de plusieurs rencontres régionales prévues en amont des négociations de la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP28) qui se tiendra aux Émirats arabes unis à la fin de l'année. Des gouvernements, des entreprises, des organisations internationales et la société civile y participaient.

En parallèle s’est déroulée la première édition du Sommet africain du climat qui a réuni des chefs d'État et de gouvernement africains. La Déclaration de Nairobi, publiée à l’issue du Sommet, appelle à l’élaboration de plans de développement économique axés sur une croissance positive pour le climat et souligne le lien entre le progrès économique des nations en développement et leur engagement en faveur de l'action climatique.

La Semaine du climat n'a pas réussi à produire des idées novatrices pour une adaptation efficace au climat

La déclaration rejoint en grande partie le point de vue du Kenya. Sa secrétaire d'État, Roselinda Soipan Tuya, a déclaré qu'il fallait cesser de rejeter la faute sur les pays industrialisés et considérer la crise comme un défi collectif qui nécessite des investissements en Afrique pour une plus grande décarbonisation à l'échelle mondiale.

Malgré les grandes promesses de ces deux réunions, elles n'ont pas réussi à produire des idées novatrices pour une adaptation climatique efficace. L'importance excessive accordée aux solutions basées sur le marché et l'implication prédominante des institutions occidentales ont abouti à des résultats peu inspirés, sapant la confiance dans la capacité de ce type d’événements à défendre véritablement les besoins des populations africaines.

L'ordre du jour du sommet n’offrait pas la possibilité de réfléchir à un changement de système et n'abordait pas de manière appropriée l'adaptation et le redressement à la suite des pertes et dommages subis, alors que ce sont sans doute les préoccupations les plus importantes des Africains. La déclaration ne contient pas de plan d'action pour l'élimination progressive des combustibles fossiles et ne traite pas de la question de la dégradation de l'environnement ni des violations des droits de l'homme en Afrique liées à l'extraction du pétrole brut. Elle ne mentionne pas non plus le paiement de la dette climatique par les pollueurs historiques.

La société civile a mis en garde contre les approches occidentales des marchés du carbone

Tant que ces questions urgentes ne seront pas traitées de manière adéquate, l'aspiration de l'Afrique à devenir le leader mondial dans le domaine des énergies renouvelables ne sera pas possible — comme le prévoient la Semaine africaine pour le climat et la déclaration de Nairobi.

Le « Véritable sommet africain du climat », organisé par la société civile, s'est déroulé en marge des deux rencontres, à Nairobi. « L’Assemblée du peuple » a proposé une vision alternative qui remettait directement en question les approches économiques de la Semaine du climat. La société civile s'est concentrée sur la manière de mettre « les Africains aux commandes du programme d'action climatique et de développement ». Elle a fait entendre la voix des groupes marginalisés les plus exposés aux effets du climat, notamment les agriculteurs, les populations autochtones, les jeunes et les femmes.

Alors que les dirigeants du monde réunis au Sommet des chefs d'État et de gouvernement tentaient de trouver une place pour un leadership africain dans un ordre économique mondial inhospitalier, l'Assemblée des peuples proposait une solution africaine et critiquait le programme climatique du Nord imposé par le secteur privé. Cette superposition de discours souligne le besoin pressant d'une position de l’Afrique à la COP28 qui doit être de faire prévaloir ses intérêts économiques et d’impliquer ses populations à la prise de décisions.

La déconnexion entre la société civile et les dirigeants politiques a été évidente tout au long de cette Semaine. La société civile a prévenu que la Semaine africaine du climat et le Sommet africain du climat ne devaient pas se contenter de réitérer les approches occidentales des marchés du carbone et de la séquestration du carbone, qui sont de « fausses solutions [...] imposées par des intérêts occidentaux ». Cependant, le président kenyan William Ruto a, quant à lui, soutenu fermement les marchés du carbone et a déclaré que les puits de carbone africains constituaient une « mine d'or économique inégalée ».

À la COP28, l’Afrique devra négocier en évitant les solutions qui s’apparentent à une recolonisation

Les militants ont fait valoir que ces marchés ne réduiraient pas les émissions mondiales de gaz à effet de serre et qu'ils empiéteraient sur la souveraineté africaine en raison des concessions foncières. Les mesures mises en œuvre par les pays industrialisés dans l’extraction des combustibles fossiles en Afrique et un système de marché mondial du carbone pourraient conduire à un « colonialisme vert » qui ne s'attaquerait pas aux causes de la crise climatique et ne profiterait pas aux millions de personnes qui en subissent les effets.

Les solutions passent par l'arrêt des pratiques qui ont provoqué la crise climatique mondiale comme, par exemple, l'abandon progressif des combustibles fossiles. L'Afrique a besoin de toute urgence de nouveaux modèles centrés sur des mesures d'adaptation pour les 33 millions de petits exploitants agricoles du continent, les 30 millions d'Africains vivant dans des zones inondables et les 140 millions de personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë liée au climat.

À l’approche de la COP28, l'Afrique a besoin d'avoir une position de négociation plus forte, qui ne repose pas sur des solutions de marché qui pourraient recoloniser l'Afrique. Le continent doit mettre l'accent sur le principe de l’ONU de « responsabilités communes, mais différenciées, et des capacités respectives » et s'éloigner des échanges liés aux ressources extractives qui continuent de désavantager l'Afrique.

Il est clair que les anciens modèles ne fonctionnent plus. En accordant la priorité aux intérêts des populations africaines et en valorisant son expertise, les pays du continent parviendraient à redéfinir les discussions sur la croissance économique, le développement et le changement climatique.

L'Afrique est bien placée pour mener les débats sur les nouvelles solutions lors de la COP28. Cependant, elle doit présenter un front uni et défendre la responsabilité équitable, la résilience aux impacts climatiques et les besoins des personnes et des communautés vulnérables. Il reste à voir si ces objectifs peuvent être atteints par un continent confronté à des problèmes économiques et de sécurité urgents.

Ilhan Dahir, chercheuse principale, Risque climatique et sécurité humaine, ISS Nairobi

Image : © Luis Tato / AFP

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié