L’accord entre le Rwanda le Royaume-Uni met à mal les conventions sur les réfugiés et l’approche africaine

La sous-traitance des demandes d’asile n’a jamais fonctionné et l’accord pourrait nuire aux relations sur le continent.

Le 14 avril, la ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, Priti Patel, et le ministre rwandais des Affaires étrangères, Vincent Biruta, ont signé un accord visant à envoyer des demandeurs d’asile du Royaume-Uni au Rwanda pour le traitement de leur dossier.

Les détails de l’accord n’ont pas été révélés à ce jour, mais le Premier ministre britannique Boris Johnson a déclaré que des « dizaines de milliers » de demandeurs d’asile seront escortés vers le Rwanda. Les candidats retenus recevront des visas de protection leur permettant de séjourner au moins cinq ans dans ce pays situé au centre-est de l’Afrique.

Cette phase d’essai de cinq ans s’accompagnera d’un investissement de 120 millions de livres sterling dans le développement économique du Rwanda. L’accord fait l’objet de nombreuses critiques qui le qualifient d’inhumain, de coûteux pour le Royaume-Uni, d’irréalisable et comme étant contraire au droit international. L’affirmation de Johnson selon laquelle le Rwanda est « l’un des pays les plus sûrs au monde » est également contestée. En 2021, le Royaume-Uni s’inquiétait encore de l’absence d’enquêtes sur les violations des droits de l’homme au Rwanda.

Les mesures d’externalisation des frontières des pays européens ciblent l’Afrique depuis l’accroissement de la pression migratoire en 2015. Il s’agit notamment de mise en place de camps « hotspot », de « centres de débarquement » et d’accords de retour et de réadmission. Les pays africains et l’Union africaine (UA) les ont rejetées à la quasi-unanimité. En 2021, l’UA a qualifié de « xénophobes et totalement inacceptables » les informations faisant état d’un accord similaire avec le Danemark. Le Ghana a nié à maintes reprises les rumeurs selon lesquelles il envisageait de conclure son propre accord avec le Royaume-Uni.

Les pays africains et l’UA ont rejeté à la quasi-unanimité d’autres mesures d’externalisation des frontières

Les mesures restrictives qui entravent la libre circulation vont à l’encontre des priorités de l’Afrique et ont eu un impact négatif sur les pays du continent. Les dirigeants africains qui coopèrent avec l’Europe pour bloquer les migrants et les demandeurs d’asile pourraient en payer le prix dans les urnes. Mais Paul Kagame est dans sa 22e année à la tête du pays et il est peu probable qu’il s’inquiète d’une quelconque pression électorale. Il doit cependant tenir compte des relations diplomatiques et des impacts de cet accord à long terme.

L’approbation du Rwanda à la demande du Royaume-Uni s’inscrit dans la campagne de longue haleine qu’il a entreprise pour être perçu comme un pays avant-gardiste, proposant des solutions sophistiquées à des problèmes complexes. M. Kagame affirme que le Royaume-Uni a approché le Rwanda en raison de ses bons résultats concernant le problème des réfugiés et de sa volonté historique d’aider les populations en détresse. « Nous ne sommes pas un pays riche, nous ne sommes pas un grand pays, mais il existe des solutions. Nous pouvons toujours aider », déclare Paul Kagame.

Il fait ici référence au centre du Mécanisme de transit d’urgence que le Rwanda accueille en partenariat avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’UA, financé par l’Union européenne et des pays membres. Ce centre évacue les demandeurs d’asile vulnérables qui se trouvent en situation dangereuse en Libye.

Il a accueilli 900 personnes depuis sa création en 2019. Deux tiers d’entre elles se sont réinstallées dans des pays tiers. Ce dispositif est fondamentalement différent et repose sur la coopération et le financement du HCR et de pays tiers – des éléments qui ne figurent pas dans l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda.

Le Rwanda fait campagne pour être perçu comme un pays avant-gardiste, proposant des solutions sophistiquées à des problèmes complexes

Le Rwanda avait par le passé conclu un accord secret avec Israël par lequel il acceptait les demandeurs d’asile africains envoyés « volontairement ». Les détails de ce dispositif sont peu connus, et le Rwanda étouffe et nie son existence. Entre 2014 et 2017, des milliers de demandeurs d’asile africains se sont vu promettre des papiers, de l’argent et des visas s’ils acceptaient de quitter Israël pour le Rwanda. Israël a finalement renoncé à cet accord.

Certaines informations indiquent que l’on a refusé de délivrer des papiers à des personnes, qu’on les a empêchées de demander l’asile et qu’on les a forcées à quitter le pays. La plupart d’entre elles vivraient en situation irrégulière en Afrique de l’Est. Beaucoup ont poursuivi leur route vers l’Europe via la Libye.

Seule une minorité de migrants qui parviennent au Royaume-Uni sont africains. La proportion la plus importante de migrants est iranienne (voir tableau). On ne sait pas si le Royaume-Uni prévoit d’envoyer des ressortissants de toutes les nationalités au Rwanda, ou s’il n’y enverra que des Africains, ce qui ne manquera pas de soulever une nouvelle série de questions éthiques. Le débat est d’ores et déjà lancé en ce qui concerne l’accueil disproportionné de réfugiés ukrainiens, par certains pays, par rapport à des migrants d’autres nationalités.

L’autre question porte sur la capacité du Rwanda à prendre en charge davantage de réfugiés. Il s’agit du pays le plus densément peuplé du continent : il accueille déjà près de 130 000 réfugiés. Cette intervention souffre d’un sous-financement chronique et les réfugiés ont organisé des manifestations contre la réduction des rations alimentaires qui ont donné lieu à des violences policières. De ce point de vue, l’envoi de milliers de demandeurs d’asile depuis le Royaume-Uni est très discutable.

Le Royaume-Uni et le Rwanda introduisent une confusion entre migrants, demandeurs d’asile et réfugiés

Il n’existe pas de bon exemple d’externalisation des procédures d’asile. Des rumeurs ont circulé sur des accords « informels » tenus secrets, mais l’Australie est le seul pays signataire connu de la Convention de 1951 sur les réfugiés qui envoie de force des demandeurs d’asile à l’étranger dans le cadre de sa politique officielle. Depuis 2012, le pays a transféré 4 000 demandeurs d’asile considérés comme des « arrivées maritimes illégales » vers des centres situés à Nauru et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Plus de 200 d’entre eux sont toujours détenus à l’étranger.

Ce système coûte au moins un milliard de dollars australiens par an depuis 2012 et n’a pas atteint tous ses objectifs, notamment celui de mettre fin au trafic de migrants. Ces restrictions n’empêchent pas les gens de fuir la guerre ou les persécutions en quête d’un avenir meilleur. Au contraire, elles les poussent à avoir recours à des moyens irréguliers.

Le Royaume-Uni et le Rwanda introduisent délibérément une confusion entre migrants, demandeurs d’asile et réfugiés. Ils utilisent des termes tels que « illégal » et « non autorisé » pour criminaliser les déplacements et rendre les restrictions plus acceptables pour le grand public. Or, la demande d’asile est légale, que les personnes voyagent par bateau ou à pied. Leur droit d’entrer dans un pays est protégé par le droit international, quel que soit leur mode d’arrivée ou les papiers qu’elles détiennent.

Pour le Royaume-Uni, l’objectif de l’accord avec le Rwanda est de dissuader les futurs arrivants. Cela crée un précédent inquiétant et dégrade le système de réfugiés, qui était déjà malmené. Le Danemark va d’ailleurs de l’avant en passant un accord similaire.

Le Danemark et le Royaume-Uni étaient parmi les 11 premiers pays à signer la Convention de 1951 sur les réfugiés, mais ils sont en train de modifier leur législation afin de rendre légal l’envoi de demandeurs d’asile à l’étranger. Cela, une fois acquis, ouvrira la porte à d’autres États qui souhaiteront faire de même. Rien n’empêche le Rwanda, par exemple, de délocaliser les demandeurs d’asile vers d’autres pays.

Aimée-Noël Mbiyozo, consultante de recherche principale, Migration, ISS Pretoria

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Image : © UK Home Office/Flickr

Partenaires de développement

L’ISS exprime sa reconnaissance aux membres suivants du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.

Contenu lié